Il n’y a aucune raison d’être sous-investi

Emmanuel Garessus

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Sans surchauffe ni récession, l’économie américaine retrouve son rythme de croisière, selon Samy Chaar, de Lombard Odier. La hausse des actions ne se limitera plus à la tech US.

Les secousses qui ont provoqué une correction des marchés financiers au début août et une envolée de la volatilité incitent à la réflexion. Les facteurs fondamentaux et techniques se mêlent pour justifier ces turbulences. Mais progressivement les marchés repartent à la hausse et, pour reprendre le langage de Wall Street, grimpent un mur d’incertitudes. Comment se positionner pour ces prochains mois? Samy Chaar, chef économiste et CIO Suisse du groupe Lombard Odier, répond aux questions d’Allnews:

Quelle est la situation de l’économie et des marchés après les secousses du début août?

L’économie a traversé des chocs violents ainsi qu’une réverbération de ces chocs au cours des dernières années. Le retour à la normale a été long à se dessiner et survient après avoir intégré divers effets secondaires. Ce phénomène de réverbération a créé de la volatilité dans les comportements et les données économiques.

La fin de l’année dernière et le début de 2024 mettent en lumière ce retour progressif à la normale. En l’absence de nouveau choc et si les taux d’intérêt sont réduits, notamment aux Etats-Unis, mon scénario de base est celui d’un retour à un rythme de croisière. Cela peut paraître complaisant mais ce point de vue s’appuie sur l’ensemble des données disponibles.

«Les marchés sont toutefois encore très perturbés aussi bien par les chocs passés que par leur réverbération.»

Les marchés sont toutefois encore très perturbés aussi bien par les chocs passés que par leur réverbération. J’en veux pour preuve que cette année, les craintes sur l’économie américaine donnent l’image d’un jeu de ping pong entre deux risques pourtant opposés, la persistance de l’inflation et le risque de récession. Lors d’une année normale personne ne s’inquiète de ces deux risques au même moment, c’est soit l’un soit l’autre, pas les deux en même temps.

Qu’en déduisez-vous?

Ce jeu de ping pong révèle que le marché est encore obsédé par la volatilité économique post-choc. Il n’est pas naturel de s’inquiéter la même année de la surchauffe et de la récession. On sent que les vecteurs d’inflation sont en train diminuer, tant du côté de l’offre que de la demande. Les statistiques d’inflation de juillet, publiées mercredi dernier, le confirment (+2,9% sur base annuelle). L’inquiétude continue de se dissiper. La voie est ouverte à des baisses de taux d’intérêt. La décision aurait du se passer en juillet. Il s’agira de rattraper le temps perdu.

Il était important d’insister sur le rôle de la croissance salariale dans la hausse des prix. La persistance de l’inflation dans le secteur des services venait de la demande, en particulier de la vigueur du marché de l’emploi et de la hausse des salaires.

Est-ce que le marché a raison de se faire peur sur le risque de récession aux Etats-Unis?

Le marché de l’emploi américain s’est refroidi. En juillet, des phénomènes spécifiques sont intervenus dans les statistiques, comme l’arrivée de nouveaux entrants sur le marché du travail et le fait que des employés n’ont pas pu se rendre au travail pour des raisons météorologiques. Mais le marché du travail ne semble pas subir de stress inquiétant, tels que de vastes plans de restructuration et d’inscriptions massives au chômage. Une récession suppose précisément un stress dans les bilans et les comptes de résultats des entreprises. Ce n’est pas ce que nous observons actuellement.

La consommation ne ralentit-elle pas sérieusement comme le révèle certains résultats d’entreprises?

Il est un peu tôt pour parler de sérieux ralentissement. Les indicateurs à haute fréquence de la consommation américaine et les ventes au détail restent bons. Il faut placer ce ralentissement dans le contexte d’une économie qui a tourné en surrégime. L’économie américaine n’est pas en train de baisser pavillon mais plutôt de retrouver son rythme de croisière.

Qu’en est-il, dans les secousses de cet été, des problèmes techniques des marchés, tels que l’explosion du portage sur le yen et du bond de la volatilité?

Le rapport de l’emploi américain a certes réveillé le risque de récession. Ce signal fondamental n’était toutefois pas assez significatif pour provoquer une telle augmentation de la volatilité. Il a été exacerbé par deux autres facteurs: une liquidité réduite du fait de la période estivale et le positionnement des acteurs financiers. En effet, tout le monde avait en tête un atterrissage en douceur de l’économie américaine ou même une absence d’atterrissage. Personne n’accordait une probabilité significative au risque de récession aux Etats-Unis. Les acteurs de marché ont relevé légèrement cette probabilité. Je l’estime autour de 20%. Ceux qui accordaient une probabilité de 0% ont dû ajuster leur portefeuille afin d’intégrer des actifs qui se comportent favorablement en cas de récession, à l’image des obligations souveraines. Les portefeuilles ont été ajustés à un risque de récession qui avait disparu et qui est reconsidéré, sans qu’il soit devenu le scénario de base.

«Nous croyons toujours à la tech, mais nous avons besoin d’investir également dans d’autres secteurs».

Depuis la correction des marchés, de nouvelles données, comme les inscriptions au chômage, les ventes au détail et l’indice des directeurs d’achats pour le secteur des services, ont rassuré et ne pointent pas vers l’imminence d’une récession.

Si la Banque du Japon, après une interruption temporaire, devait décider de procéder à de nouveaux relèvements de taux, est-ce que les marchés plongeraient à nouveau?

Les marchés anticipent encore une hausse des taux de 25 points de base au Japon, en ligne avec nos attentes. Il paraît donc raisonnable que la Banque du Japon relève ses taux en raison d’une inflation domestique soutenue par la croissance des salaires, sans que cela ne soit particulièrement disruptif pour les marchés.

Faut-il s’inquiéter du cours du yen vis-à-vis du dollar?

Lorsque le dollar valait 160 yens, il était dangereux d’être short sur le yen. Nous estimons la juste valeur vers 140 yens (ndlr. cours de 147 yens actuellement). Le taux de change est donc moins vulnérable actuellement qu’à la fin juillet.

Est-ce qu’il faut être «risk-on» au deuxième semestre?

Nous avons un scénario de continuité. Nous ne voyons ni un risque de récession ni de persistance de l’inflation et nous pensons que la Réserve fédérale baissera ses taux d’intérêt. Ce contexte soutient la profitabilité des entreprises, comme en témoigne la récente saison des résultats trimestriels tant aux Etats-Unis qu’en Europe. Il n’y a pas de raison d’être sous-investi. Des risques demeurent, notamment géopolitiques (Iran, élections américaines), mais la situation purement économique continue d’être relativement favorable.

Les liquidités sont-elles suffisantes pour continuer d’alimenter la hausse des marchés?

Les liquidités sont traditionnellement plus faibles en août. J’ai le sentiment qu’on a atteint la limite du fait d’avoir appuyé sur les freins et enlevé une grande partie de l’excès de liquidité. Les taux d’intérêt ont été fortement augmentés aux Etats-Unis et en Europe. Le débat qui a porté durant une bonne partie de l’année sur l’absence d’impact de la hausse des taux américains sur l’économie n’a plus lieu d’être aujourd’hui. Le marché de l’emploi n’est pas insensible à cette hausse de taux. Il faut maintenant entamer le processus de retour au point neutre de ces taux d’intérêt.

Les marchés avaient commencé à procéder à une rotation en faveur de small & mid caps avant les récentes turbulences. Quels secteurs privilégier maintenant?

Nous sommes dans un cycle d’investissement dans la technologie et de compétition stratégique entre la Chine et les Etats-Unis centrée sur la technologie. Nous croyons toujours à la tech, mais nous avons besoin d’investir également dans d’autres secteurs. Nous ne sommes pas sous-investis dans la tech américaine, mais le mouvement de marché est en train de s’étendre plutôt que de se résorber. Il se déploie un peu hors de la tech pour intégrer des éléments plus cycliques du marché, ainsi que l’Europe, le Royaume-Uni et certains marchés émergents hors de la Chine.

Quelles sont ces nouvelles opportunités?

Après la correction, nous considérons par exemple les marchés japonais, en particulier dans les small & mid caps, et le marché suisse. Nous investissons dans le cycle, l’industrie, l’énergie et les métaux industriels. L’idée de base est celle d’une hausse qui ne reste plus concentrée sur la tech américaine.

Quelles sont vos premières convictions pour 2025?

Je reviens à l’idée d’un régime stationnaire qui a succédé aux chocs et à leurs réverbérations. Nous roulons maintenant sur l’autoroute à un rythme de croisière, en espérant éviter un nouveau choc externe.

La croissance a été freinée par les politiques monétaires mais soutenue par les politiques budgétaires. En 2025, verrons-nous des politiques monétaires neutres et des politiques budgétaires moins expansives en raison de la dette?

La croissance devrait atteindre environ 2% aux Etats-Unis, 1 à 1,5% en Europe et en Suisse, entre 4 et 4,5% en Chine. Je ne m’attends pas à des politiques d’austérité budgétaire aux Etats-Unis l’année prochaine, que ce soit avec Kamala Harris ou Donald Trump. Le déficit budgétaire ne sera pas incrémentalement négatif pour la croissance, ni positif d’ailleurs.

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