Hier l’Office de la Statistique annonçait une inflation à 1,3% sur un an en Suisse. Un chiffre modeste au regard de celui des autres pays développés mais toujours en ligne avec la tendance générale observée en Europe et aux Etats-Unis. Au cœur de tous les débats depuis fin 2021, l’inflation – et son corollaire le durcissement des politiques de taux des banques centrales - a pris la main sur les économies et sur les marchés financiers. Le pire semble derrière nous, la hausse des prix décélère cette année même si des incertitudes planent sur certaines projections. On attend désormais des coupes des principaux taux directeurs. Examen des différents cas avec Bill Papadakis, stratégiste macro à la Banque Lombard Odier.
A 1,3% sur un an, l’inflation annoncée en Suisse est faible. A son plus élevé en 2022, elle n’a jamais dépassé 3,5%. Pourquoi la Suisse a-t-elle mieux résisté à l’inflation que d’autres pays?
Les raisons sont structurelles: le niveau de prix y est plus élevé que dans les autres pays, les loyers sont réglementés, le mix énergétique repose principalement sur l’hydroélectrique et le nucléaire, et, surtout, le franc suisse est fort, ce que les autorités savent parfaitement utiliser sans avoir à relever les taux d’intérêt dans la même mesure qu’ailleurs.
L’inflation en Europe a décru significativement (2,8% en janvier contre 2,9% en décembre selon Eurostat). Ces chiffres sont-ils fiables? Ou peut-on soupçonner un effet différé de la baisse du prix des matières premières?
Oui, ces chiffres sont fiables et effectivement, ils font abstraction du différé de la baisse de prix des matières premières. Ma réponse n’est pas contradictoire, même si le niveau d’inflation en Europe de 2,8% surestime peut-être un peu la décélération. Ce qui importe est qu’ils soient toujours établis sur la même base d’une période à l’autre afin que la tendance soit clairement reflétée. Il n’y a aucun doute que l’inflation en Europe affiche une tendance baissière. Rappelons aussi que ces chiffres sont une agrégation de la situation dans 27 pays, et non ceux d’un unique territoire, ce qui nécessite une certaine harmonisation.
a politique agressive des banques centrales est efficace. Il y aura peut-être encore un peu de «bruit» mais la tendance est claire.
Pourtant les prix en Europe paraissent avoir beaucoup augmenté sur 20 ans, bien avant l’inflation de 2022.
C’est le cas. La stabilité des prix telle que la conçoivent les banques centrales se situe à 2% d’inflation par an. Ce qui, en termes réels, génère une augmentation importante des prix en 20 ans.
Cette tendance baissière va-t-elle durer?
Oui. Cette tendance à la baisse n'est pas un hasard. Il s'agit d'une tendance globale car la poussée inflationniste de 2022 était le fruit des mesures prises pendant la pandémie et du choc énergétique né de la guerre en Ukraine. La politique agressive des banques centrales est efficace. Il y aura peut-être encore un peu de «bruit» mais la tendance est claire. Sans oublier que la Chine exporte de la déflation de manière encore plus prononcée aujourd’hui.
Au plus haut à 8% en 2022, l’inflation aux Etats-Unis pointe sur 3,9% sur un an. Avec une masse monétaire considérable, un stimulus budgétaire important et une consommation qui ne ralentit pas, cette baisse durera-t-elle?
Tout le laisse penser. Le plus étonnant est la manière dont les Etats-Unis ont réussi à maîtriser l’inflation sans compromettre la croissance. Pour ce qui est de la masse monétaire, notez que la Fed réduit son bilan de presque 1000 milliards de dollars annuellement. Le déficit budgétaire reste certes élevé, mais moins que l’an dernier et il ne génère plus réellement de stimulus. Bien sûr, tout cela pourrait être remis en cause si Donald Trump est élu et choisit de réduire une nouvelle fois les impôts.
Quand pensez-vous que la Fed baissera les taux?
La Fed a le sentiment d’avoir accompli sa tâche et va donc réduire progressivement les taux afin d'assouplir les perspectives de croissance. Elle s’approche du but, mais estime ne pas l’avoir tout à fait atteint et attend de nouveaux signes qui le lui confirment. Il est donc probablement encore tôt pour le faire et mars semble trop proche. Mai me paraît plus plausible.
A quel rythme?
Elle devrait réduire les taux de 25 points de base par trimestre, soit 1% d'ici la fin de l'année. La Banque centrale européenne et la Banque d’Angleterre suivront un rythme parallèle. En fin d’année, les taux devraient atteindre 4,5% aux Etats-Unis et 3% en Europe. La Banque nationale suisse devrait réduire plus lentement, probablement en deux fois, de 1,75 à 1,25% en fin d'année.
Pour les marchés, c'est la finalité qui compte. La tendance générale sera conforme aux prévisions.
Quel impact sur l’économie et sur les marchés financiers?
Sur le plan macro, ces baisses ne changeront pas la donne économique mais soulageront les secteurs sensibles comme l’industrie et l’immobilier. Quant aux marchés financiers, ils ont déjà anticipé ces baisses et, sauf effet de surprise, n’en attendent aucun effet supplémentaire sur les rendements.
Doit-on prévoir une certaine volatilité?
Ponctuellement, autour des annonces du FOMC, probablement, mais pas de manière générale. Pour les marchés, c'est la finalité qui compte. La tendance générale sera conforme aux prévisions.
Les marchés boursiers paraissent peu touchés par les tensions politiques, Comment l’expliquez-vous?
Cette relative indifférence est la conclusion d’une observation superficielle. Au niveau des grands indices, cela peut sembler le cas mais n’oublions pas que la récente performance des indices américains n’est tirée que par un très petit nombre d’entreprises. Et que la Bourse n’est pas nécessairement le reflet de l'économie.
Pour s’arrêter un instant de plus sur les Etats-Unis, 4,5% n’est pas négligeable. Cela correspond à un coût de refinancement de 8 à 9% pour les entreprises petites et moyennes.
C’est exact, mais ce n’est pas la première fois que les entreprises doivent payer leur capital. On ne pouvait pas laisser indéfiniment les taux à zéro.
Dans ce contexte, quelles classes d’actifs recommanderiez-vous?
L’environnement est favorable au marché obligataire, mais les marchés actions peuvent donner de très bons résultats.