
En dehors d’UBS et Credit Suisse et des banques cantonales et régionales, il existe 83 banques helvétiques qui sont principalement actives dans la gestion de fortune. C’est à cet univers, dominé par huit grandes banques privées – Edmond de Rothschild, EFG, J. Safra Sarasin, Julius Bär, Lombard Odier, Pictet, UBP et Vontobel – que s’intéresse l’étude «Clarity on Swiss Private Banks» publiée chaque année par KPMG et l’Université de Saint-Gall (HSG). Sur la base des indications fournies par 71 banques privées actives en Suisse, le cabinet d’audit et de conseil observe que si le nombre des établissements spécialisés dans la gestion de fortune a diminué de près de moitié en quinze ans en Suisse, leurs affaires se sont améliorées l’an dernier.
L’augmentation des commissions et des opérations de négoce a compensé la baisse des revenus d’intérêts
Malgré un recul des revenus d’intérêts l’an dernier, les banques privées suisses ont vu leurs bénéfices nets augmenter de près d’un milliard de francs, pour dépasser les 4 milliards de francs en 2024 (3,1 milliards en 2023). Comment expliquer cette amélioration des résultats en 2024 ? Christian Hintermann, responsable de l’étude et expert bancaire chez KPMG, estime que deux effets se sont contrebalancés en 2024. Alors que les produits nets d’intérêts ont reculé d’environ 10% à 4,6 milliards de francs en 2024 (contre 5,1 milliards en 2023) pour l’ensemble du secteur des banques privées – une baisse qui a atteint 16% pour les petites banques, précise-t-il -, cet effet a été plus que compensé par l’augmentation des commissions et des opérations de négoce. De plus, les actifs sous gestion des banques privées suisses ont augmenté de 14% par rapport à l’an précédant, atteignant un total de plus de 3,4 billions (3400 milliards) de francs, portés par l’évolution positive des marchés financiers l’an dernier.
En comparaison historique, les bénéfices cumulés des banques privées suisses, qui ont bondi de 30% sur un an pour atteindre 4 milliards en 2024, ne sont toutefois pas si exceptionnels, met en perspective Christian Hintermann. En 2021, ils avaient déjà dépassé les 4 milliards de francs, rappelle-t-il. Dans l’ensemble, les résultats enregistrés en 2024 sont qualifiés de «stables à un niveau élevé» par l’expert. En 2023, l’évolution des taux d’intérêt avait été très favorable pour les banques privées suisses. En 2024, les revenus d’intérêts ont été encore bons mais en recul – une tendance qui a été compensée par l’augmentation des revenus issus des commissions et opérations de négoce, résume-t-il.
Les ratios coûts/revenus présentent de grandes disparités entre banques
Le rapport entre les coûts et les revenus des banques privées s’est établi à 75,5% en 2024, contre 74,3% en 2023. N’est-ce pas trop élevé? Les banques privées suisses pourraient-elles améliorer leur profitabilité à l’avenir? A ce sujet, Christian Hintermann tient à rappeler que dans ce segment d’activité, le ratio coût-revenu des banques privées a souvent varié entre 80 et 83% par le passé. C’est seulement à partir de 2023 que ce ratio a fortement diminué, profitant des revenus supplémentaires obtenus grâce à des taux d’intérêt plus élevés. Selon l’expert, le ratio coût-revenu actuel est historiquement bas, même s’il tend à remonter. Il estime aussi que l’on ne peut pas comparer directement la structure des coûts des banques privées avec celle de banques régionales ou axée sur la clientèle de détail. Les banques privées suisses font par exemple face à la complexité beaucoup plus élevée des activités avec la clientèle transfrontière («cross boarder») qui engendre aussi des coûts plus élevés. Enfin, il observe que les écarts entre établissements sont considérables, allant d’un ratio coût-revenu inférieur à 40% jusqu’à 120% dans certains cas.
Recruter des conseiller à la clientèle: un parcours semé d’embûches
Selon l’étude de KPMG, les banques privées de taille moyenne ont connu un succès notable l’an dernier dans leurs efforts pour attirer de nouveaux de dépôts de clients. L’engagement de nouveaux conseillers à la clientèle provenant de banques tierces reste toutefois un exercice difficile qui est loin d’être toujours courroné de succès. «L’embauche de conseillères et de conseillers à la clientèle d’UBS/CS n’a eu qu’un effet limité sur les apports d’argent frais», observe Christian Hintermann.
Vaut-il encore la peine de recruter des conseillers, voire des équipes entières de gérants, auprès d’autres établissements concurrents? Pour Christian Hintermann, on revient ici au dilemme de savoir comment une banque privée peut croître. «La croissance via des acquisitions ou des transactions de type M&A est longtemps restée à l’arrêt. Ce n’est que maintenant que les opérations de fusions et acquisitions ont repris», observe-t-il.
Dans un contexte où les possibilités de croissance via des acquisitions restent limitées, il est compréhensible que des banques privées cherchent à croître en recrutant des conseillers à la clientèle. Pour autant, il n’y a pas beaucoup de banques privées qui dévoilent les résultats obtenus via une telle stratégie. Un exemple cité par Christian Hintermann est EFG qui a vu ses afflux nets d’argent frais croître de 6,5% l’an dernier - une croissance due en grande partie grâce au recrutement de conseillers à la clientèle ou relationship managers (RM).
De manière générale, l’expert constate que les banques sont devenues beaucoup plus exigeantes lorsqu’il s’agit d’engager des conseillères ou conseillers à la clientèle. «Un plan d’affaires précis doit être établi. Et si le changement n’est pas courroné de succès, il arrive souvent que les conseillers doivent repartir. Cela peut faire hésiter certains conseillers à changer d’employeur», observe-t-il.
La reprise de Saxo Bank par Safra Sarasin a été la plus grande transaction depuis dix ans
L’acquisition annoncée l’an dernier de Saxo Bank par Safra Sarasin a ainsi été la plus grande transaction impliquant une banque privée au cours des dix dernières années, relève l’étude. Les autres transactions en 2024 ont impliqué les établissements suivants: acquisitions de Société Générale Private Banking (Suisse) par UBP, Banque Thaler par CA Indosuez, Cité Gestion par EFG, ONE swiss bank par Gonet & Cie, à quoi s’est ajoutée la reprise du portefeuille de clients de IHAG Privatbank par Vontobel.
La diminution du nombre des banques privées se poursuit
En 2010, l’étude de KPMG dénombrait encore 156 banques privées en Suisse (hors UBS et Credit Suisse). A la fin du premier semestre 2025, elles n'étaient plus que 83 (contre 85 en 2022, 2023 et 2024). Elles emploient plus de 40'000 personnes en Suisse. Parmi ces 83 établissements, l’étude dénombre huit banques de grande taille, les «Big 8», avec des actifs sous gestion de plus de 100 milliards de francs, 25 banques privées de taille moyenne (entre 10 et 100 milliards) et 50 petites banques privées (moins de 10 milliards).
Faut-il s’attendre à une poursuite du mouvement de consolidation? Christian Hintermann observe, d’une part, que la baisse du nombre d’établissements s’explique principalement par la disparition de nombreuses petites banques, passées de 118 établissements au début de la dernière décennie à 50 instituts actuellement. «Parmi les petites banques, celles qui restent aujourd’hui sont celles qui ont réussi à s’adapter», constate-t-il. Certaines d’entre elles ont recentré leur modèle d’affaires sur quelques pays seulement. D’autres ont bénéficié des taux d’intérêt plus élevés en 2023.
Les banques privées de taille moyenne sont mises au défi
L’expert estime, d’autre part, que les défis sont importants pour les banques privées de taille moyenne. «Les banques de taille moyenne ont souvent une présence dans plusieurs pays à l’étranger. Pour autant, elles sont encore souvent très éloignées des «Big 8». Elles ont ainsi l’ambition d’agir comme des grandes banques mais sans disposer de la taille nécessaire», observe-t-il. En outre, la pression exercée par les exigences accrues de la réglementaton se fera ressentir aussi chez les banques de petite et moyenne taille. Dans tous les cas, le processus de consolidation devrait se poursuivre, anticipent les auteurs de l’étude. D’ici à la fin de l’année, le nombre de banques privées en Suisse devrait passer en dessous de 80 instituts.
Combien en restera-t-il à la fin de cette décennie? Sans formuler un chiffre précis, Christian Hintermann s’attend à ce qu’entre 15 et 20 banques privées suisses disparaissent d’ici à la fin de 2030.