«Nous sommes relativement prudents au sujet des actions»

Yves Hulmann

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La hausse récente des marchés s’est faite surtout sur la base du re-rating, et pas tellement sur une révision à la hausse des estimations de bénéfices, observe Laurent Denize d’ODDO BHF.

Le deuxième trimestre se termine mieux qu’il a commencé sur les marchés des actions. Faut-il miser sur une poursuite du mouvement de reprise qui s’est mis en place à partir de la mi-avril - ou faut-il au contraire faire preuve de prudence à l’approche de la saison des résultats à fin juin qui débutera en juillet ? Le point sur les marchés et les perspectives économiques pour le deuxième semestre avec Laurent Denize, co-directeur des investissements du groupe ODDO BHF.

Le deuxième trimestre a été particulièrement mouvementé sur les marchés, commençant par une forte chute début avril, suivie d’un net rebond en mai, puis d’une évolution latérale en juin. Comment analysez-vous l’évolution sur les marchés depuis avril?

La remontée des marchés a été rapide et elle s’explique par plusieurs raisons. Premièrement, la crédibilité des déclarations de l’administration Trump au sujet des droits de douanes a diminué au fil des semaines. Beaucoup d’annonces fracassantes ont été suivies par des retraits de ces mesures ou leur report. L’apparition de l’acronyme TACO («Trump Always Chickens Out»), qui pourrait se traduire plus ou moins par Trump finit toujours par se dégonfler, résume bien le doute affiché par les marchés au sujet de ces annonces.

Un deuxième facteur a aussi contribué à stabiliser les marchés à partir de mai: l’apaisement entre l’administration Trump et la Réserve fédérale. Donald Trump n’a plus l’intention de limoger Jerome Powell, même s’il n’a pas ménagé ses critiques. Si le président américain s’est attaqué à un grand nombre d’administrations aux Etats-Unis, il ne l’a pas fait avec la Fed.

«Une fermeture d’Ormuz pourrait tirer le rebond des prix du pétrole dans la zone des 100 dollars, mais qu’une telle situation puisse perdurer nous semble très peu probable.»

Troisièmement, la saison des résultats à fin juin des entreprises, qui commenceront à être publiées durant le mois de juillet, se présente sous un jour plus positif que ce que les marchés anticipaient il y a encore un ou deux mois. Nombre d’entreprises sont capables de faire passer des hausses de prix sans avoir à subir des baisses de volumes. Et beaucoup d’entreprises ont aussi des marges suffisamment solides pour supporter l’impact des droits de douanes.

Quatrièmement, il n’y a pas eu, pour l’instant, de convergence entre les données dites molles («soft data»), souvent en net repli ce printemps, et les chiffres concrets («hard data»). En juin, le taux de chômage aux Etats-Unis est resté stable à 4,2%. La consommation des ménages demeure solide dans l’ensemble. Il ne faut pas oublier que les prix du pétrole ont évolué à la baisse de janvier à début juin, ce qui a redonné du pouvoir d’achat aux ménages américains.

L’escalade militaire entre Israël et l’Iran depuis le 13 juin a toutefois entraîné un rebond des prix du pétrole à près de 77 dollars le baril (ndlr: situation au jeudi 19 juin), soit 10 dollars de plus qu’au début du mois de juin. Les ventes au détail en mai aux Etats-Unis ont aussi reculé davantage que prévu (-0,9%, comparé à -0,6% attendu par le consensus). Cela pourrait-il remettre en question l’évolution de la croissance, de l’inflation, voire modifier la trajectoire de la Fed en deuxième moitié d’année?

Le vif rebond du prix du baril, de plus de 30% depuis son point bas de début mai, impressionne certainement. Ces prix spot en USD demeurent néanmoins en deçà du pic récent de janvier, sans même évoquer les passages au-delà de 120 dollars en 2022 ou 140 dollars en 2008. Au vu des tensions géopolitiques, on pourrait initialement juger que ce rebond demeure timide et même que l’or noir demeure bon marché: toutefois les raisons structurelles de déséquilibre offre/demande qui expliquaient le fort recul des prix jusqu’en mai perdurent. Le scenario le plus probable nous semble donc celui d’une remontée limitée et temporaire du prix du baril: on peut d’ailleurs noter que les prix des contrats pour une livraison plus lointaine n’ont que très peu réagi (le baril livrable en décembre 2026 étant par exemple juste remonté à 65 dollars. Une fermeture d’Ormuz pourrait tirer le rebond dans la zone des 100 dollars, mais qu’une telle situation puisse perdurer nous semble très peu probable.

Un autre sujet marquant du premier semestre qui s’achève est la surperformance de nombreux indices boursiers européens, notamment le DAX allemand, par rapport aux grands indices américains dont la performance a elle été beaucoup plus mitigée. Les flux d’investissements des Etats-Unis vers l’Europe peuvent-ils se poursuivre à un tel rythme en deuxième moitié d’année?

Il ne faut pas nécessairement jouer les actions européennes contre les actions américaines. La détention d’actions américaines se situe d’ailleurs à un niveau toujours très élevé. Il y a certes eu des flux importants d’argent qui ont été investis dans les actions européennes – près de 58 milliards d’euros depuis le début de l’année, donc une grande part dans des ETF. Il s’agit d’une nouvelle dynamique qui est positive pour l’Europe. Cela ne signifie pas pour autant qu’il faut se détourner des actions américaines.

Le manque de visibilité quant à l’évolution des droits de douane, en raison des annonces et contre-annonces qui se sont succédé depuis avril, ne risque-t-il pas de pénaliser les entreprises américaines en deuxième moitié d’année?  

Les droits de douane correspondent à des taxes sur la consommation. Ils vont donc, d’une manière ou d’une autre, affecter la croissance aux Etats-Unis. Comme déjà évoqué auparavant, il faut replacer les annonces faites par l’administration Trump avec ce qui s’est ensuivi. L’exemple du programme d’économies DOGE l’illustre bien, celui-ci était censé permettre d’économiser quelque 2000 milliards de dollars, et a abouti à quelques centaines de milliards d’économies. On pourrait citer plusieurs annonces qui n’ont pas été suivies de résultats tangibles. En fin de compte, c’est surtout dans le domaine de la réduction de l’immigration que les annonces ont été vraiment appliquées. Ce qui pose la question du risque de pénurie de personnel dans certains domaines et l’impact sur l’évolution des salaires.

«Les entreprises allemandes auront besoin de sous-traitants en France, en Espagne en Italie. Une entreprise italienne comme Leonardo profitera aussi du programme d’investissement dans la défense annoncé outre-Rhin.»

On peut aussi évoquer les promesses faites de réduire les impôts pour les entreprises aux Etats-Unis. Ici aussi, il y aura des baisses d’impôts mais qui passeront d’environ 18% en moyenne à peut-être 15%.

Enfin, il ne faut pas sous-estimer la capacité d’adaptation des entreprises. Même si des droits de douanes plus élevés sont appliqués sur certains pays, les sociétés ont commencé à s’organiser. Elles peuvent parfois passer par des pays où les droits de douane seront moindres, par exemple au Royaume-Uni où ils se limitent à 10%, pour ensuite réexporter des biens vers les Etats-Unis. Dans ce type de situations, on assiste souvent à une réorganisation des chaînes d’approvisionnement qui peut être extrêmement rapide.

Que pensez-vous de l’évolution du déficit budgétaire qui dépasse déjà les 6% du PIB aux Etats-Unis: faut-il s’en inquiéter - ou est-ce que le pays bénéficie d’une sorte d’exception en la matière, notamment grâce à sa devise?

Pendant de nombreuses années, il y avait une sorte d’accord tacite entre les Américains et le reste du monde: les Etats-Unis offraient leur protection à d’autres pays du monde, notamment en Europe. En échange, ils s’autorisaient un déficit budgétaire énorme. Les Etats-Unis avaient plus déficit que les autres mais ils avaient aussi plus de croissance économique, davantage d’innovation. Maintenant, cet ordre mondial est remis en question sur plusieurs plans. Dans le domaine technologique, le leadership des Etats-Unis dans l’IA a été remis en question par l’arrivée de DeepSeek au début de cette année. Il y a aussi eu un changement géopolitique important à la suite de l’entrée en fonction de l’administration Trump en janvier: les Etats-Unis tendent à s’occuper plus de ce que certains appellent les «USA+», à savoir des pays comme le Canada ou le Groenland qui sont proches de leurs intérêts immédiats et moins de ce qui se passe dans le reste du monde.

Existe-t-il encore un privilège spécifique lié au dollar?

Le dollar américain reste de loin première monnaie de réserve mondiale. Cela n’est pas remis en question. En revanche, certains investisseurs s’inquiètent de savoir si l’accès au dollar comme actif accessible en tout temps est encore garanti. Le gel des avoirs en dollars n’a pas été rassurant et a désécurisé certains investisseurs qui recherchent des alternatives. De manière générale, si un plus grand nombre d’investisseurs sont réticents à acheter de la dette en dollars, cela peut pousser à la hausse les taux des emprunts à 10 ans. En conclusion, il ne sera pas possible pour les investisseurs de se passer du dollar américain du jour au lendemain mais il y a quand même un questionnement croissant sur la nécessité de diversifier les placements vers d’autres monnaies, voire en matières premières.

«Nous restons également positifs au sujet des valeurs bancaires européennes.»

En Europe, un fait marquant au cours du premier semestre a été l’annonce par l’Allemagne d’un gigantesque programme d’investissement dans les infrastructures, à hauteur de 500 milliards d’euros, plus celui consacré à la défense. Quel sera l’impact de ces programmes sur la croissance européenne?

Ces programmes d’investissements dans les infrastructures et la défense sont une très bonne nouvelle non seulement pour l’Allemagne mais aussi pour l’Europe car ils profiteront également aux autres pays. Après une longue période d’austérité fiscale outre-Rhin, le multiplicateur budgétaire pourrait en sus être particulièrement élevé. Les entreprises allemandes auront besoin de sous-traitants en France, en Espagne en Italie. Une entreprise italienne comme Leonardo, par exemple, profitera aussi du programme d’investissement dans la défense annoncé outre-Rhin.

De manière générale, quelles sont les placements que vous sur- ou sous-pondérez en vue du deuxième semestre?

Nous sommes relativement prudents au sujet des actions. Les valorisations des actions européennes, qui se négocient à plus de 15x les bénéfices estimés pour 2025, sont supérieures à leur moyenne historique. C’est certes inférieur à celles des actions américaines qui se négocient avec un ratio P/E de l’ordre de 22.

Il faut donc bien relever que la hausse récente des marchés s’est faite essentiellement sur la base du re-rating, et pas tellement sur une révision à la hausse des estimations de bénéfices.

Par secteurs d’activité, nous favorisons aussi les entreprises plus axées sur le marché domestique, comme les opérateurs télécoms qui sont moins exposés à la problématique des droits de douanes. Nous restons également positifs au sujet des valeurs bancaires européennes. Nous restons «long» sur le cours de l’euro contre le dollar qui peut encore remonter à 1,20.  

L’appréciation du cours de l’or, qui a atteint 29% depuis le début de l’année, peut-elle se poursuivre?

L’or est un actif refuge qui continue d’être recherché par les investisseurs en tant qu’actif de diversification. On ne voit donc pas de raison structurelle pour que son prix baisse significativement.

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