Les statistiques d’inflation en avril aux Etats-Unis sont rassurantes, après quelques mois qui exprimaient une inquiétude sur la réduction de la hausse des prix. Les marchés ont réagi positivement. Les actions ont poursuivi leur hausse tandis que le rendement des bons du Trésor à 10 ans est tombé sous la barre des 4,4%. Samy Chaar, chef économiste et CIO Suisse du groupe Lombard Odier, répond aux questions d’Allnews:
Vous aviez présenté l’indice américain des prix à la consommation (IPC) comme une mesure atypique de l’inflation. Est-ce qu’avec les statistiques favorables de ce mercredi nous assistons à une normalisation du scénario de désinflation?
Effectivement. Le processus de désinflation global a été assez convaincant ces derniers trimestres, avec une baisse significative par rapport à son pic. Mais depuis le début de cette année, le doute a porté sur les Etats-Unis, en particulier sur l’inflation dans les services. L’indice des prix à la consommation en avril rassure un peu. Il contraste avec ces derniers mois et signale que l’on reprend lentement mais sûrement la voie de la désinflation aux Etats-Unis.
Deux facteurs ressortent de ce rapport d’inflation: Au niveau des biens, on assiste à une déflation qui se creuse encore davantage. Au niveau des services, on observe des progrès, en particulier au niveau du coût du logement. La composition de ce dernier dans l’indice est calculé différemment des autres pays. Son poids est plus important qu’ailleurs et son intégration dans l’indice d’inflation me paraît discutable. C’est cet élément qui a freiné les progrès dans la lutte contre la hausse des prix ces 3 derniers mois aux Etats-Unis. Aujourd’hui, le coût du logement commence enfin à répondre au scénario de désinflation.
L’indice des prix à la production a, lui, déçu. Comment l’intégrer à votre raisonnement?
Il a rebondi mais son niveau n’envoie pas un signal négatif par rapport à la tendance historique. De plus, une partie des composantes de cet indice est intégrée à un autre indice d’inflation, le PCE. Or ces dernières composantes montrent plutôt des signes rassurants. C’est pourquoi le marché, après une réaction initiale négative mardi, a salué la publication de l’indice des prix à la production en clôture.
«Pour les taux à 10 ans, nous sommes donc dans une zone de juste valeur autour de 4%»
Qu’en déduisez-vous pour la politique de la Fed?
Le processus de désinflation avance comme prévu, même s’il est très graduel. Plusieurs éléments concordent, de la dynamique des salaires aux ventes au détail. Le scénario d’atterrissage de l’inflation devrait nous mener vers une recalibration de la politique monétaire.
Nous devrions très probablement assister à 2 baisses des taux directeurs de la Fed à partir de septembre, mais une baisse dès juillet est également possible, à condition que tout se passe bien, et même si la probabilité d’un tel scénario est ténue. Ténue mais pas nulle.
Jérôme Powell a par ailleurs parlé d’un équilibre entre les mandats d’inflation et d’emploi. Le président de la Fed ne se concentre plus uniquement sur l’inflation, maintenant que celle-ci a beaucoup baissé. Compte tenu des dernières statistiques de l’emploi, la possibilité d’une baisse dès juillet est maintenue.
Il reste encore 2 rapports d’inflation et 2 rapports de l’emploi avant le meeting de la Fed en juillet. Si les progrès se confirment d’ici là, il serait imprudent d’annuler l’idée d’une baisse en juillet même si ce scénario paraît non consensuel.
Au-delà du débat sur une réduction en juillet ou septembre, la réalité s’impose. C’est celle de la désinflation. En 2022, les principales banques centrales ont monté agressivement les taux. En 2023, elles ont fait une pause. En 2024, toutes baissent les taux.
Après le soulagement sur l’inflation, les marchés vont-ils craindre un risque de récession, au vu des statistiques du commerce de détail plutôt molles et de l’augmentation des retards de paiement des consommateurs?
Au début de l’année, les marchés s’attendaient à 7 baisses de taux directeurs. Puis on est allé jusqu’à craindre une absence de baisse de taux. Et maintenant on revient vers un atterrissage en douceur. Les marchés se feront sans doute à nouveau peur sur le risque de croissance, mais il ne faut pas céder à la volatilité des basculements de scénarios. La croissance demeure résiliente et l’inflation baisse. La Fed devrait baisser les taux cette année. L’environnement économique me paraît sain, avec un risque de récession relativement contenu.
Le rendement des bons du Trésor à 10 ans est tombé de presque 5% à moins de 4,4% mercredi. Est-ce qu’il cassera la barre des 5% ou des 4%?
Je pense qu’il franchira les 4% à la baisse, mais nous sommes à l’aise avec la fourchette de 4 à 4,5%. Le scénario macroéconomique légitime une recalibration de la politique monétaire mais pas un cycle intégral de baisse de taux.
«Nous devrions très probablement assister à 2 baisses des taux directeurs de la Fed à partir de septembre, mais une baisse dès juillet est également possible».
J’évalue le taux d’équilibre, lequel permet à l’économie de croître autour du potentiel, entre 3,5 et 4%. Pour les taux à 10 ans, nous sommes donc dans une zone de juste valeur autour de 4%. S’il tombait sous cette barre, le rendement des bons du Trésor deviendrait un peu cher.
Pour les actions, l’indice des prix renforce-t-elle l’idée selon laquelle la correction n’aura pas lieu pour l’instant?
La volatilité ne va pas disparaître. Mais une vraie correction de marché devrait être liée à un risque de récession et de contraction des profits. Compte tenu de notre discussion, ce n’est pas notre scénario.
Est-ce qu’un nouveau thème est en train de monter?
On navigue dans les grands basculements de narration des marchés avec des mouvements marqués sur les taux. Les risques sont bien établis: les élections américaines, les risques géopolitiques. Mais des coûts de l’énergie aux chaînes de valeurs, une forme de réorganisation est en cours.
La discussion sur la soutenabilité des dettes persiste également. Si l’on s’inquiète des dettes, il ne faut pas oublier que si les Etats-Unis présentent un déficit public important, ils le doivent à leurs investissements dans une logique de protection de leur marché et de sécurisation de leur chaîne de valeur. La géopolitique doit être intégrée à la discussion sur la dette publique.
N’est-ce pas plutôt la guerre des tarifs douaniers sur les véhicules électriques et les panneaux solaires qui devrait vous préoccuper?
C’est une autre question géopolitique. Derrière les droits de douane se cachent deux réalités. Joe Biden a peur de perdre des Etats clés, les «Swing States». Il cherche aussi à protéger le marché domestique dans une logique géopolitique de protection des chaînes de valeur par rapport à la Chine. Economiquement, l’impact est modeste, mais il souligne la volonté des Américains de protéger leur marché. Que font les Européens pendant ce temps? Cela est encore économiquement viable de produire des véhicules électriques et des panneaux solaires aux Etats-Unis, mais plus en Europe. Les Américains nous offrent une leçon que nous devrions méditer.