Garder le cap sur des marchés tempétueux

Michael Strobaek & Nannette Hechler-Fayd’herbe, Banque Lombard Odier

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En dépit du ralentissement du marché de l’emploi, tant l’économie que les consommateurs américains se portent plutôt bien.

Points clés

  • Les inquiétudes liées au fléchissement du marché américain de l’emploi ont aggravé la détérioration du sentiment des investisseurs. Une situation encore accentuée par le positionnement très exposé de ces derniers, la faible liquidité et les risques géopolitiques élevés
  • Nous anticipons des baisses de taux d’intérêt lors de chacune des prochaines réunions de la Fed, en septembre, novembre et décembre. Les chiffres de l’emploi d’août détermineront probablement l’ampleur de la réduction de septembre, à savoir si elle sera de 25 ou de 50 points de base 
  • En dépit du ralentissement du marché de l’emploi, tant l’économie que les consommateurs américains se portent plutôt bien à nos yeux; les risques de récession nous semblent limités
  • Nous maintenons le risque du portefeuille et sur les actions à des niveaux stratégiques, avec une préférence pour les titres britanniques. Les marchés boursiers pourraient se stabiliser au cours des prochaines semaines, mais nous nous attendons à une volatilité qui demeure élevée. Le franc suisse devrait rester soutenu par la demande pour les valeurs refuges.

Le rapport décevant sur l’emploi aux États-Unis pour le mois de juillet a entériné le revirement de sentiment de marchés, apparu durant l’été. En quelques jours, les marchés financiers sont passés d’un scénario parfait « d’atterrissage en douceur » de l’économie américaine, à celui d’un possible atterrissage brutal avec des risques accrus de récession. Les rendements des bons du Trésor américain à 10 ans ont brutalement chuté, s’échangeant à 3,7% à l’heure d’écrire ces lignes, tandis que les attentes en matière de baisse des taux d’intérêt par la Réserve fédérale (Fed) ont grimpé en flèche pour atteindre 125-130 points de base (pb) de réductions cumulées d’ici fin 2024. Ces attentes ont connu de fortes variations en début d’année. Après les inquiétudes concernant une possible surchauffe de l’économie américaine, nous nous retrouvons désormais dans un scénario où les risques de récession sont au premier plan. À quelques rares exceptions près, dont la Chine, les bourses ont vécu des séances difficiles. L’indice Nikkei a dévissé de plus de 20% par rapport à ses sommets de juillet.

Risques de récession aux États-Unis et perspectives pour la Fed

Les inquiétudes se sont concentrées sur les signes de faiblesse évidents dans le rapport sur le marché américain de l’emploi, dit aussi des « non-farm payrolls » ou emplois non agricoles, de juillet 2024. L’économie américaine n’a créé que 114’000 emplois non agricoles en juillet, contre 175’000 attendus. Le taux de chômage, quant à lui, a augmenté à 4,3% en juillet, contre 4,1% attendu. À ce stade, les risques pour la Fed semblent bien liés plutôt à la faiblesse du marché de l’emploi qu’à la persistance de l’inflation. Après avoir opté pour le statu quo en juillet, nous nous attendons désormais à ce qu’elle prenne les devants lors de sa prochaine réunion. Elle pourra le faire soit en débutant son cycle d’assouplissement par une réduction de 50 pb en septembre, rattrapant ainsi la décision de juillet de garder les taux stables, soit en abaissant les taux de 25 pb tout en annonçant des orientations fermes concernant la trajectoire des réductions futures. Dans le deuxième cas, nous nous attendrions, de la part des décideurs politiques, à des projections indiquant des baisses de taux successives durant le restant de l’année. Le rapport sur les emplois non agricoles du mois d’août, qui sera publié avant la réunion de septembre de la Fed, sera probablement l’élément déterminant de la trajectoire de baisse des taux. Il pourrait s’agir soit de réductions de 50, 25 et 25 pb en septembre, novembre et décembre respectivement, soit de trois séries de réductions de 25 pb.  

Soulignons également que si le fléchissement du marché de l’emploi est source d’inquiétude et, pour la Fed, une raison d’entrer en action, le tableau d’ensemble comprenant les données du PIB, la croissance des revenus, la situation bilantaire des entreprises du secteur privé, ainsi que l’emploi, reste celui d’une économie américaine en bonne santé. Les données mensuelles sur l’emploi peuvent être volatiles. À quoi s’ajoutent des conditions météorologiques extrêmes, notamment un ouragan au Texas, qui ont affecté les chiffres du mois de juillet. La remontée du taux de chômage est due à un ralentissement des embauches plutôt qu’à une augmentation des licenciements, restés stables à de faibles niveaux. De plus, une grande partie de cette hausse s’est concentrée sur des postes à salaires élevés. Certes, les demandes hebdomadaires d’allocations de chômage ont augmenté, mais elles demeurent plus ou moins conformes aux tendances saisonnières. Nous anticipons une réactivité de la Fed, qui a déjà opéré des changements importants dans sa rhétorique. Si la banque centrale américaine prend effectivement les devants en septembre et suit la trajectoire des taux directeurs que nous anticipons, cela devrait suffire à écarter les risques de récession. De notre point de vue, la probabilité d’une récession aux États-Unis est de 20%, voire moins.

Perspectives de marché et stratégie  

Les marchés actions ont réagi aux risques accrus de récession, tandis que les marchés obligataires intègrent désormais plus de cinq baisses de 25 pb des taux des fonds fédéraux d’ici la fin de l’année, contre moins de trois en début de semaine dernière. La récente correction boursière pourrait avoir été amplifiée par le positionnement extrême des investisseurs, la faible liquidité estivale et les risques géopolitiques. Nous prévoyons une stabilisation des marchés boursiers en amont du prochain rapport sur l’emploi américain et la réunion de septembre de la Fed. Nous constatons que le récent recul des valeurs technologiques s’est focalisé sur les semi-conducteurs, la partie du marché la plus « surachetée », ou celle dont les cours avaient précédemment grimpé le plus rapidement. Les titres des sociétés de matériel et de logiciels ont mieux résisté. À la suite de cette correction, nous nous attendons à ce que les marchés fortement exposés aux semi-conducteurs, comme celui de Taïwan, se stabilisent au cours des prochaines semaines.

Cela étant, après l’assassinat du chef politique du Hamas Ismaïl Haniyeh, tué à Téhéran, les risques géopolitiques au Moyen-Orient ont augmenté. Les craintes portent sur une confrontation entre Israël et l’Iran et sur un élargissement du conflit, impliquant plusieurs autres pays, dont les États-Unis. La campagne pour l’élection présidentielle américaine devrait également constituer pour les marchés un point central d’incertitude dans les semaines à venir. À l’heure d’écrire ces lignes et après avoir été modéré pendant la majeure partie de l’année 2024, l’indice VIX de la volatilité des marchés boursiers américains a grimpé à plus de 50, un mouvement journalier qui, s’il se maintient, serait le plus important depuis octobre 2020. Nous nous attendons à une volatilité qui reste élevée ces prochains mois, comme le soulignent nos Dix convictions d’investissement pour le second semestre 2024 et notre dernier Investment Strategy Monthly.

Compte tenu du contexte actuel, nous maintenons pour l’instant notre allocation actions à son niveau stratégique. Les titres à forts dividendes, y compris dans le secteur de l’énergie, et les régions offrant des valorisations attrayantes devraient surperformer. Parmi nos régions préférées, nous mettons en avant les actions britanniques, qui conjuguent une valorisation attrayante et des perspectives de croissance en amélioration. Dans notre nouvelle approche thématique, rethink investments, nous anticipons une surperformance du thème « repenser la longévité », axé sur le vieillissement de la population. Les six thèmes d’investissement conservent de puissants moteurs structurels et nous restons convaincus de leur pertinence en matière d’investissement. Nous considérons le récent recul des marchés comme une opportunité pour renforcer l’exposition à ces thèmes à forte conviction.

Du côté des devises, nous prévoyons que le franc suisse restera fort, en particulier par rapport à l’euro. Nous nous attendons également à ce que le yen japonais poursuive son chemin vers sa juste valeur, même si sa récente appréciation pourrait ralentir, dans la mesure où elle a été dopée ces derniers jours par une liquidation rapide des positions des investisseurs, laquelle pourrait ne pas se répéter.

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