2019, l’année des réponses

Salima Barragan

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Lars Kalbreier, stratège chez Vontobel, estime qu’un mur d’incertitudes a pénalisé les marchés en 2018.

La récente correction des marchés suggère une anticipation de la guerre commerciale qui semble peu probable pour Lars Kalbreier, stratège chez Vontobel. Bien que certaines incertitudes géopolitiques persistent, elles ne devraient pas impacter les marchés internationaux car beaucoup de réponses seront apportées en 2019. Ainsi, pour l’établissement zurichois, ce sont les grandes tendances structurelles, les mégatrends, qui guideront l’évolution des marchés. 

Comment voyez-vous les incertitudes géopolitiques évoluer en 2019?

C’est un mur d’incertitudes qui a pénalisé les marchés cette année. Les risques persisteront mais ne devraient pas influencer les marchés en 2019 car la plupart de leurs sources seront réglées. 2019 devrait être l’année de la résolution de la guerre commerciale avec plus d’ouverture, ce qui serait positif pour le commerce mondial. Sur le front politique européen, nous aurons des réponses sur le Brexit, sur le bras de fer du gouvernement populiste italien avec l’UE et sur le futur de l’Allemagne, où la chancelière la plus durable vacille. 

«La guerre commerciale débouchera sur une renégociation d’accords intéressants.»
Ainsi, la guerre commerciale qui a marqué cette année, ne continuera pas à influencer les marchés?

La guerre commerciale débouchera sur une renégociation d’accords intéressants. Ceux du WTO (World Trade Organization) ont plus de 20 ans! Je ne pense pas que l’on se dirige vers une confrontation car aux États-Unis, l’économie est boostée par les baisses fiscales qui ne seront pas éternelles alors que le commerce mondial s’intensifie. La Chine qui deviendra la plus grande économie mondiale, est en train de s’ouvrir à un rythme de plus en plus rapide.

Vous avez identifié les technologies disruptives comme un des facteurs de croissance structurelle. Comment modifient-t-elles le monde dans lequel nous vivons?

Le monde semble instable, pourtant celui dans lequel nous entrons est plein de nouvelles possibilités. Grâce aux nouvelles technologies, nous arrivons à un monde intégré où les frontières disparaissent. Regardez l’aspect positif de Facebook qui supprime les barrières physiques. Mais avec le problème de la confidentialité des données, on s’est vite aperçu qu’une réglementation s’imposait. Chaque nouvelle technologie suit ce même processus. L’euphorie temporaire fait place à un besoin de réglementations. Par exemple, en 1910, Ford lance son premier modèle de série, la Ford T. Ce n’est que 40 ans plus tard que la ceinture a été introduite, puis devenue obligatoire, pour faire face à l’augmentation des accidents de la route. L’attaque du virus global, le wannacry, est un autre exemple clef. Il s’est étendu sur 150 pays, à des entreprises importantes comme FedEx, mais aussi à des sites  gouvernementaux qu'il a été capable de paralyser. Mais ce genre d’attaque a également permis l’essor du secteur de la cyber sécurité.

Dans quel domaine ces technologies sont le plus bénéfique pour la société?

Les technologies vont réduire les coûts de la santé. La télémédecine, très répandue dans les pays scandinaves, permet d’avoir une consultation médicale en ligne et de recevoir une ordonnance par email. Quant aux médicaments, ils sont livrés par service express. Le coût de la consultation par internet s’élève à 45 dollars US contre 150 pour une classique. En outre, on sait que chaque crise cardiaque est précédée d'une irrégularité du pouls quarante-huit heure avant. Certaines puces peuvent nous avertir de cette irrégularité. Enfin, si l’on fusionne ces technologies avec les assurances, le système de santé en sera plus efficace ce qui conduira à une population plus saine. On voit l’explosion des coûts mais on ne s’intéresse pas à comment la technologie peut y remédier.

«Comme dans le domaine médical,
on va également utiliser le big data dans l’agriculture.»

L’agriculture est un second domaine qui va changer radicalement grâce à l’utilisation de drones à caméra infrarouge capables de calculer les quantités d’eau optimales. L’agriculteur deviendra ainsi un opérateur logistique qui réduira sa consommation d’eau et d’utilisation de pesticides grâce aux procédés de smart farming. Autre exemple, le vertical farming éclot au milieu des villes. Ce sont des fermes qui nécessitent moins d’eau et de pesticides, qui ne connaissent pas les saisons et dont les voies d’acheminement des produits sont moins longues. Comme dans le domaine médical, on va également utiliser le big data dans l’agriculture.

N’y a-t-il pas des domaines où le big data pourrait montrer ses limites?

Dans la recherche contre le cancer nous assistons à une convergence entre le big data et le traitement des données, ce qui rendra les traitements personnalisés possibles avec la médecine cellulaire. Mais ces traitements personnalisés seront très couteux et nous pouvons nous demander si nous n’allons vers un système de santé à deux vitesses. Différencié entre «ceux qui peuvent se le permettre» et «ceux qui ne le peuvent pas». De plus, les gouvernements vont devoir donner de nouvelles directives pour assurer la protection des données. lIs devront adapter les textes de loi aux nouvelles technologies.

Comment les entreprises non technologiques s’adaptent à ces changements?

La technologie s’immisce dans tous les secteurs et modèles d’affaire car elle diminue les coûts, en délocalisant les entrepôts dans des zones moins chères. Les détaillants s’adaptent en imaginant un e-commerce révolutionnaire dans les quartier chics des villes. Par exemple, Zara propose d’essayer des vêtements dans des magasins luxueux et Ikea a ouvert un pop-up store à la Bahnoftrasse. La pharma, qui embrasse aussi le big data, va pouvoir profiter de ces changements. D’autres entreprise s’allient comme Volvo, Ford et Amazon. Elles ont créé un concept où les voitures des clients sont pistées afin que les livreurs, sur la base d’une liste d’achat, remplissent directement leur coffre! Les sociétés qui ne peuvent pas s’adapter vont devoir disparaître. Kodak n’a pas voulu s’adapter à la digitalisation et s’est fait dépasser. Nokia a loupé le smartphone. Dans ce cas, c’est le problème du leader du marché; celui qui a toujours le plus de difficulté à s’adapter.

«Les entreprises familiales bénéficient d’une vraie philosophie de gestion.»
Comment implémentez-vous ces megatrends dans les portefeuilles de vos clients?

Ces mégatrends sont ce que nous appelons, le deuxième alpha d’un portefeuilles construit en pyramide. Le premier alpha est une fondation forte qui consiste en une diversification aussi bien géographique que par classes d’actifs pour naviguer dans les crises. Ensuite, viennent les thèmes de croissance, dont nous avons discuté, qui sont moins corrélés avec la croissance mondiale. Enfin, au sommet, nous trouvons des opportunités micro-économiques à court et moyen terme, spécifiques à des entreprises ou des situations spéciales, comme des changements de CEO, qui représentent la troisième source d’alpha.

Dans vos idées d’investissement, vous privilégiez les entreprises familiales. Pour quelles raisons?

C’est un thème permanent car les entreprises familiales bénéficient d’une vraie philosophie de gestion. Une entreprise menée par un fondateur est gérée différemment car la famille représente aussi les actionnaires. Il y a donc un meilleur équilibre entre le management et les actionnaires. Leur vision est à long terme et ils sont plus conservateurs car leur propre fortune est en jeu. Les entreprises familiales ne sont pas tentées de couper dans la recherche et le développement pour être plus profitables et battre les pronostics du marché à court terme. Lors de la crise de 2008, les entreprises familiales ont mieux résisté car leurs bilans étaient plus sains et comportaient moins de dette.

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