L’art de savoir dire «je ne sais pas»
Il est rare, dans notre métier, d’entendre des experts expliquer qu’ils ne savent pas, surtout au cours d’une même journée. Mercredi dernier a commencé en compagnie de grands noms de la place, membres de l’ISAG, qui s’interrogeaient sur la direction de l’économie et des marchés. Force est de constater que certains d’entre eux s’avouaient impuissants et dubitatifs face à la politique menée par l’administration Trump. Cette journée très singulière s’est achevée par l’allocution de Jerome Powell à l’issue du FOMC. Que nous a dit le patron de la Fed à plusieurs reprises? «Je ne sais pas». Il est frappant de constater dans quel tourbillon nous entraîne le président américain ainsi que son équipe chargée de faire en sorte que le pays soit «de nouveau grand». Une chose est certaine: si la visibilité est faible, la direction est plus claire puisque Donald Trump va faire ce qu’il dit et va dire ce qu’il fait. Il faut donc prendre à la lettre tout ce qu’il annonce. Le problème, c’est de savoir ou plutôt de décrypter où cela va nous mener.
«I don’t know», c’est ce que nous retenons en premier lieu de ce FOMC sans grande surprise par ailleurs. Les membres de la Fed sont aussi dubitatifs que nous sur la trajectoire que va prendre l’économie américaine (c’est rassurant pour nos egos!), avec des perspectives de croissance largement revues à la baisse, contrairement à l’inflation. Le scénario de stagflation est en quelque sorte validé par la banque centrale et comme nous l’avions prévu (mais nous ne sommes pas les seuls, loin de là), le Quantitative Tightening est réduit à sa portion congrue afin de faire patienter les colombes avec cette «baisse de taux sans baisse de taux» (notre chronique du 25 février).
Si à mi-mandat, Donald Trump est perçu comme quelqu’un qui n’a pas résolu le problème de l’inflation, il risque de perdre très gros à l’occasion des élections mid-term.
Ce que nous constatons, c’est que l’inflation n’est pas prête de baisser et qu’elle constitue un bien plus grand danger que l’essoufflement de la croissance. Après tout, une croissance ramenée à 1,7%, c’est faible mais ce n’est pas la récession. Rappelons-nous que Donald Trump a été élu (et très bien élu) car les Américains ont, à tort ou à raison, tenu l’administration Biden pour responsable de la forte poussée inflationniste de ces dernières années. Si à mi-mandat, Donald Trump est perçu comme quelqu’un qui n’a pas résolu ce problème d’inflation, il risque de perdre très gros à l’occasion des élections mid-term. C’est en ce sens que nous estimons que Jerome Powell est finalement son meilleur allié car il est le gardien ultime de la lutte contre la hausse des prix.
Le patron de la Fed a également affirmé que l’impact des droits de douane sur l’économie risquait d’être «transitoire». Nous n’aurions pas choisi ce terme qui rappelle de mauvais souvenirs mais ce qui est dit est dit. La Fed va tout mettre en œuvre pour lutter contre le fléau numéro un qui reste l’inflation alors que les marchés se sont récemment focalisés sur le sujet des craintes de récession. Un jour peut-être, le président Trump remerciera la Fed mais ce n’est pas demain la veille et en attendant, le 2 ans est à 4% tandis que le vernis des spreads de crédit commence à se craqueler.
Taux allemands, nominaux ou réels?
Mardi dernier, nous vous invitions à regarder de plus près les taux allemands. Notre intuition nous suggérait d’investiguer du côté des taux réels plutôt que de celui des taux nominaux. A première vue, nous avons l’impression que cette idée n’est pas brillante puisque les deux DBRI liquides (avril 2030 et avril 2033) nous suggèrent des breakevens d’inflation à 5 ans et 8 ans à respectivement 1,9% et 1,95%. Le 5 ans est éventuellement intéressant si nous estimons que l’inflation est clairement sous-évaluée. Dans ce cas, acheter un peu de DBRI 5 ans à 0,5% de rendement réel peut se justifier en termes de diversification dans une stratégie exclusivement axée sur les emprunts d’états de la zone euro.
Pour battre significativement un 2,4% de taux nominal à 5 ans, il faudrait que l’inflation de la zone euro (et non l’inflation domestique allemande, attention à la subtilité) nous réserve de désagréables surprises. C’est sans doute à l’intérieur de ces détails que se cache le diable. Contrairement aux TIPS américains indexés logiquement sur l’inflation américaine, que nous allons comparer aux US Treasuries, les DBRI nous invitent à comparer un Bund à taux nominal domestique allemand à un Bund indexé sur l’inflation de l’eurozone, donc non seulement allemande, mais également française, espagnole, italienne…etc… Il faut donc considérer cette diversification en taux réels d’une manière différente que sur le marché américain. Cela ne semble pas très attrayant au premier abord mais l’indexation sur l’inflation eurozone HICP peut devenir une sacrée opportunité d’investissement si l’inflation européenne était par exemple tirée vers le haut par les pays du sud à forte croissance. Notre conclusion concernant ces DBRI n’est donc pas définitive. C’est un non pour l’instant mais pourquoi pas dans le futur. La porte reste entrouverte!