La BCE behind the news
Sans grande surprise, la BCE a baissé ses taux la semaine dernière après d’âpres discussions si nous savons interpréter les propos de Madame Lagarde. Les marchés ont l’habitude de se demander si la banque centrale se trouve toujours «behind the curve» mais aujourd’hui, il semble plus judicieux de constater que Christine Lagarde et ses collègues se sont retrouvés bien malgré eux «behind the news». Ils ont en effet pris une décision de politique monétaire sur des critères devenus brutalement obsolètes au moment même où tout était en train de basculer. L’orthodoxie budgétaire allemande, contrainte par les événements récents, est tout bonnement vouée à l’abandon et l’on se demande à juste titre si les prochains meetings de la BCE revêtiront une importance bien moindre, comparés aux évolutions des politiques budgétaires et fiscales des poids lourds de la zone euro, Allemagne et France en tête.
Pendant ce temps, l’inflation ne disparaît pas et Isabel Schnabel met en garde ses confrères contre une poursuite de la politique de baisses de taux. La folle tension du taux du Bund allemand à 10 ans, qui remet au goût du jour l’objectif de 3% encore impensable il y a quelques semaines, est assez facilement compréhensible à partir du moment où l’on entend les Allemands se convertir au «quoiqu’il en coûte» cher à Bruno Le Maire. Or, il y a une énorme différence entre les deux décisions car les largesses budgétaires envisagées par l’Allemagne ne viseront pas du tout à relancer une économie (une consommation) moribonde puisqu’il va s’agir de consacrer des montants faramineux pour la défense. Certes, ces dépenses se retrouveront en grande partie dans le PIB mais pas de la «bonne» manière.
Si les Etats-Unis sont habitués à un tel phénomène, les Européens sont surpris et on les comprend.
Au moment où l’inflation européenne risque de stagner au-dessus de l’objectif, la croissance «hors dépenses militaires» va piquer du nez. Que va faire la BCE dans ce contexte? Où va aller le Bund ainsi que les principaux emprunts à 10 ans? Le BTP italien a par exemple franchi le niveau de 4% jeudi dernier. Que veulent nous dire les swap spreads longs négatifs? Si les Etats-Unis sont habitués à un tel phénomène, les Européens sont surpris et on les comprend. Cela fait beaucoup de questions et peu de réponses dans l’immédiat. Nous devons donc adapter nos stratégies puisque la situation a complètement changé en quelques jours. Nous avons tout de même acheté un tout petit peu de Bund sur des niveaux proches de 2,9% que nous n’avions pas vus depuis fin octobre 2023.
Après l’emploi, le CPI
Si le 10 ans italien est repassé au-dessus de 4%, le 2 ans américain a fait le chemin inverse. Les chiffres de l’emploi de vendredi n’ont pas été bons. Au cours du mois de février, l’économie américaine a créé 151’00 emplois mais janvier a été révisé de 143'000 à 125'000. Les marchés obligataires ont coutume de dire que le franchissement à la baisse de 150'000 fait partie des signes avant-coureurs d’une récession prochaine. La presse grand public s’interroge: si Donald Trump voulait intentionnellement provoquer une récession, il ne s’y prendrait pas autrement. Nous évoquions cette éventualité dans notre chronique du 9 juillet 2024. Sachant qu’une récession a toutes les chances de survenir dans les quatre ans de la présidence Républicaine, Donald Trump pourrait avoir l’intention de prendre des mesures allant dans ce sens afin de «remettre de l’ordre» dans l’économie américaine et en faire porter la responsabilité à son prédécesseur. Il avait déjà prévenu ses compatriotes que la politique de «tariffs» pouvait être douloureuse à court terme. Aujourd’hui, il prétend que la baisse de Wall Street la semaine dernière est due «aux discours des mondialistes».
Après des Non-Farm payrolls décevants, place au CPI demain. A priori, cela devrait bien se passer avec des progressions mensuelles de +0,3% pour le Main et le Core, faisant légèrement baisser les progressions annualisées à +2,9% pour le Main et +3,2% pour le Core. Nous trouvons que les marchés sont trop conciliants avec ces chiffres. Nous sommes encore très loin de 2% et le fameux «last mile» semble très difficile à passer. Nous souhaiterions voir le Core passer en-dessous du Main mais cela va prendre du temps. Il se passe toujours quelque chose sur la courbe des taux: le spread 20-30 ans est revenu à -4bp. D’autres bouleversements sont à prévoir. Le 10 ans à 4% n’est plus une vue de l’esprit puisque la stagflation est revenue au premier plan. C’est sur les taux réels que nous attendons des changements. Et pas seulement aux Etats-Unis. Il serait peut-être temps de nous intéresser de nouveau aux emprunts d’états européens indexés sur l’inflation. Au cas où…