DOGE rally, que faut-il en penser?

Eric Vanraes, Banque Eric Sturdza

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Chronique des taux de la banque Eric Sturdza.

 

Détente des taux longs

A force de chercher une raison valable justifiant le récent comportement du 10 ans américain, nous avons fini par trouver une explication qui a le mérite d’être crédible et cohérente. Il s’agit du DOGE rally. Ce concept est apparu outre-Atlantique juste après l’investiture du président Trump. Les marchés s’en sont emparés début février et les taux longs se sont en partie détendus grâce à lui. De quoi s’agit-il? Cette théorie suggère que les marchés auraient massivement sous-évalué l’efficacité du DOGE (Department Of Government Efficiency) ainsi que le sérieux des propos tenus par Elon Musk qui vise minimum un trillion de dollars d’économies et en envisage même deux dans un contexte plus favorable. Si le DOGE s’avère bien plus efficace dans sa mission de tailler dans le vif des dépenses de l’état, le déficit sera ramené à des niveaux raisonnables dans un avenir beaucoup plus proche que ce que nous pouvions imaginer. Cela signifie un budget mieux maîtrisé et surtout moins d’endettement futur, donc notamment moins de nouvelles émissions d’emprunts du Trésor en plus du retour à une certaine orthodoxie budgétaire. Cela pourrait également signifier à terme un retour du rating S&P des Etats-Unis à AAA contre AA+ aujourd’hui.

Scott Bessent a tenu, quant à lui, à mettre les choses au point. Si le président Trump et lui «exigent» des taux plus bas, cela ne concerne pas forcément (ou pas exclusivement) le niveau des taux directeurs de la Fed. Leur benchmark est le taux du US Treasury à 10 ans. Ils vont donc redoubler d’efforts pour convaincre les marchés d’atteindre leur objectif de détente significative des taux longs US. Les chiffres de l’emploi sortis vendredi ont laissé une impression mitigée. Les 143’000 créations d’emplois pouvaient décevoir mais ont été largement compensées par la révision du mois précédent à 307'000. Le chiffre à retenir est peut-être celui-ci : la moyenne des créations d’emplois mensuelles sur l’année 2024 a été révisée de 186'000 à 166'000. Le marché de l’emploi est donc bien en voie de stabilisation comme le prétend la Fed. Le taux de chômage est passé de 4,1% à 4% mais les Average Hourly Earnings YoY, qui devaient passer de 3,9% à 3,8% se sont finalement stabilisés à 4,1%. Heureusement que Jay Powell a précisé que les tensions salariales ne sont pas inflationnistes. Pas encore?  

Inflexion de notre stratégie

Le 10 ans US s’est donc promené entre 4,4% et 4,5% au cours de la semaine dernière, bien loin de notre objectif d’achat à 4,9%-5%. Notre chronique de la semaine dernière s’intitulait «Bear Market rally ou changement de tendance?» et laissait la porte ouverte à une inflexion éventuelle de notre stratégie. Cette dernière est simple voire simpliste: 2,8% de Core inflation, 4% de chômage et une croissance 2025 sans doute entre 2,5% et 3% ne sont guère compatibles avec le niveau actuel du taux 10 ans, surtout si l’on ajoute le fameux term premium. La semaine qui commence sera riche en enseignements côté inflation avec CPI demain et PPI après-demain. Ce qui a changé, c’est la prise en compte du DOGE et du DOGE rally. Nous ne l’avions pas anticipé, il s’impose à nous et nous devons l’intégrer dans l’équation, au moins à court terme car le comportement du marché en dépend partiellement. Il reste un exercice difficile à résoudre: avons-nous affaire à un phénomène de mode qui tombera dans l’oubli dans quelques semaines ou est-ce un élément majeur qui va bouleverser l’évolution des taux longs au cours de l’année 2025?

Notre stratégie doit donc être revue à la lumière de ce nouveau développement. Notre conviction intime et fondamentale est inchangée, le niveau théorique du 10 ans US devrait s’approcher de 5%. En revanche, le DOGE rally va l’empêcher d’y aller et la question la plus difficile qui se pose à nous est de savoir si c’est provisoirement ou définitivement. Il s’agit donc d’une inflexion de notre stratégie, pas d’un virage à cent quatre-vingts degrés. Nous abandonnons provisoirement l’objectif de 5% mais nous ne passons pas pour autant de Bear à Bull sur les taux longs américains. Nous passons de Bear à Neutre et c’est déjà un grand changement!

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