Bear market rally ou changement de tendance?

Eric Vanraes, Banque Eric Sturdza

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Chronique des taux de la banque Eric Sturdza.

 

Lendemain de fête et gueule de bois

Il y avait tant de sujets importants à commenter à l’issue de la semaine qui vient de s’écouler. Entre premières réunions de la Fed et de la BCE, des statistiques majeures comme le Core PCE nous n’avions que l’embarras du choix. Mais le président Trump en a décidé autrement: en dévoilant sa politique de droits de douane à l’égard du Canada, du Mexique et de la Chine (l’UE n’a qu’à bien se tenir), il a sifflé la fin de la récréation. La fête est terminée et il a déjà prévenu que sa politique vis-à-vis de «partenaires déloyaux» aura un coût pour les Américains, au moins à court terme. En rentrant dans le vif du sujet, le président Républicain a pris délibérément le risque de faire tanguer les marchés.

Le 10 ans US est ainsi repassé sous la barre psychologique des 4,5% et nous pouvons légitimement nous demander si nous ne faisons pas fausse route en maintenant une politique de duration faible à modérée. Nous étions très clairs en ce début d’année en affirmant que tant que le 10 ans ne s’approchait pas du niveau-clé de 5% il fallait rester à l’écart de la duration longue.

Pour l’instant, il est prématuré de changer de fusil d’épaule. Et Jerome Powell n’y est pas pour rien.

Aujourd’hui, avec la politique agressive de l’administration Trump concernant les droits de douane, les marchés anticipent moins de croissance et par conséquent une Fed qui verra s’agrandir sa marge de manœuvre pour baisser ses taux. Les taux longs sont également plus enclins à se détendre si les marchés actions se mettent dans le rouge. L’inflation dans tout cela? Au second plan pour l’instant et le Core PCE sorti à 2,8% vendredi (soit un niveau conforme aux anticipations de marché) n’a pas rajouté d’huile sur le feu. La question qui se pose à nous est donc celle du bear market rally ou du changement de tendance. Pour l’instant, nous jugeons prématuré de changer de fusil d’épaule. Et Jerome Powell n’y est pas pour rien.

Fed: statu quo à l’unanimité

Le FOMC semble déjà oublié et c’est une erreur. La Fed a sagement opté à l’unanimité (donc Chris Waller a voté comme ses camarades!) pour un «wait and see» qui semble logique à la lecture de ces trois chiffres: inflation core à 2,8%, croissance supérieure à 2,5% et chômage stabilisé à 4,1%. A cela se rajoutent quatre incertitudes majeures énumérées par Jay Powell: droits de douane, immigration, fiscalité et réglementation. Nous nous attendons à un statuquo prolongé et il n’est pas anecdotique de remarquer que la phrase «l’inflation fait des progrès en direction de l’objectif» a été supprimée cette fois-ci du communiqué officiel. Cela nous incite à la prudence car si les marchés ont fait volte-face rapidement (comme souvent), nous comprenons tout à fait les banquiers centraux de Washington qui ne voient pas matière à agir dans la précipitation. Que l’inflation se rapproche de 2% est possible mais aujourd’hui elle s’affiche toujours à 2,8%.

Quitte à insister lourdement (mais Jay Powell lui-même ne s’en est pas privé mercredi) rappelons ces trois chiffres: inflation à 2,8%, croissance supérieure à 2,5%, chômage stabilisé à 4,1%. Même en admettant que les droits de douane finiront tôt ou tard par peser sur la croissance et si l’on rajoute un peu de term premium, cet environnement semble logiquement compatible avec un 10 ans à 4,8% -5%. Nous savions que la volatilité serait toujours élevée sur les marchés de taux («le Move vole la vedette au Vix») et cela ne nous surprend donc pas. Notre conviction n’est pas ébranlée mais nous restons vigilants car le scénario de changement de tendance est peu probable mais probable tout de même. En attendant, tant que la Fed maintient son statuquo, cela signifie que les marchés monétaires risquent de faire concurrence aux obligations, en tout cas au cours du premier semestre.

Message de la BCE: dove, dove dove  

Si le président américain répète inlassablement «drill, drill drill», force est de constater qu’à la BCE, le message serait plutôt «dove, dove, dove»! La BCE a logiquement procédé à une cinquième baisse de taux (la quatrième d’affilée). Le processus de désinflation est sur la bonne voie mais l’économie souffre toujours de vents contraires. Les prochaines décisions seront «data dependent» mais à Davos, François Villeroy de Galhau a déjà prévenu qu’il fallait que le taux de la BCE baisse autour de 2% dès cet été. Madame Lagarde a tenu à rassurer les investisseurs en affirmant que les récents rebonds légers d’inflation sont dus à des effets de base sur les matières premières énergétiques. Nous nous attendons à ce que la banque centrale réduise ses taux rapidement, comme le souhaite le gouverneur de la Banque de France cité plus haut.

Les politiques monétaires de la Fed et de la BCE sont donc toutes deux légèrement restrictives au-dessus du point neutre. Mais si la Fed risque de rester plus longtemps que prévu en mode «wait and see», son homologue de Francfort risque de passer rapidement en politique accommodante. Cependant, les prochains assouplissements monétaires sont à notre avis déjà intégrés dans le niveau de rendement du Bund allemand 10 ans à 2,5%. 

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