Le rebond des marchés survenu depuis la mi-avril est-il suffisamment solide pour pouvoir se prolonger? Le point sur l’évolution des marchés, l’impact des plans d’investissement en Europe et la remise en question du leadership technologique aux Etats-Unis avec Maxime Dupuis, CFA, Adjoint au Directeur des Investissements, chez ODDO BHF Asset Management.
Le début du mois d’avril a été particulièrement mouvementé sur les marchés des actions suite aux annonces du 2 avril concernant les droits de douane appliqués par les Etats-Unis. Après avoir chuté à 6863 points le 9 avril, l’indice CAC 40 est remonté à plus de 7500 points durant la semaine qui a suivi Pâques, affichant ainsi à nouveau un léger gain depuis début janvier. D’autres indices ont connu une évolution similaire. Quelle est votre analyse du rebond des marchés survenu depuis la mi-avril: observe-t-on un début de stabilisation ou s’agit-il plutôt d’un mouvement de type «rebond du chat mort»?
L'espoir renaît depuis l’annonce d’un moratoire de 90 jours sur les droits de douane réciproques. En parallèle, le Président américain a multiplié les signes d’apaisement, faisant espérer une désescalade dans la guerre commerciale, en particulier avec la Chine. Donald Trump a également déclaré qu’il n’avait pas l’intention de limoger le président de la Réserve fédérale américaine, ce qui a rassuré les investisseurs sur l’indépendance de la banque centrale. A court terme, le marché semble donc avoir intégré l’existence d’un «Trump Put», sorte de seuil de douleur entraînant une intervention de l’administration américaine. Ce «Trump Put» a en effet fini par être exercé lorsque le rendement de l’obligation du Trésor américain à 10 ans est passé de 3,9% à 4,5%, faisant grimper le coût de la dette. Néanmoins, cette apparente stabilisation ne doit pas occulter un contexte particulièrement volatil et incertain où les revirements politiques vont se poursuivre encore pendant plusieurs trimestres. A ce titre, l’abolissement total des droits de douane, espéré par certains acteurs de marché, est une chimère car ils conditionnent le financement des baisses d’impôts existantes et futures aux Etats-Unis. Ainsi, penser que le marché a retrouvé une visibilité proche des niveaux précédant le «Jour de la Libération» est un vœu pieux, déconnecté de la réalité macro-économique et du risque de récession qui pointe aux Etats-Unis.
«La relance budgétaire allemande et la politique monétaire accommodante de la BCE sont des atouts forts pour le Vieux Continent.»
De manière générale, vous estimez qu’il vaut mieux ne «pas essayer de rattraper le couteau qui tombe», comme le formule un adage boursier. A partir de quel moment vaudrait-il la peine d’entrer à nouveau sur les marchés? Qu’apprend-on des expériences du passé à ce sujet?
Si le rebond technique enregistré ces derniers jours fait sens au vu de d’une rhétorique moins vindicative sur les échanges commerciaux, nous n’entrevoyons pas de raisons fondamentales suffisamment solides pour justifier un retour massif sur les marchés actions à court terme, en particulier aux Etats-Unis. Deux points valent la peine d’être mentionnés. Premièrement, la correction actuellement à l’œuvre est loin des niveaux de baisse observés par le passé pour les principaux indices tels que le S&P 500. Entre le plus haut niveau atteint par les marchés mi-février et le point le plus bas, la baisse des marchés n’a été que de 19%. Elle avait été de 35% en 1987. Elle avait atteint 56% en 2008 lors de la Grande Crise Financière. En mars 2020, les marchés avaient décroché de 33% en quelques semaines à cause de la pandémie de Covid-19. Deuxièmement, il est intéressant de signaler que la baisse a été très marquée durant les 4 séances qui ont suivi le 2 avril. Or, de telles baisses de marché sont le plus souvent suivi d’un rebond à deux chiffres à horizon 12 mois. C’est ce que nous enseigne l’histoire financière des 50 dernières années.
«L’abolissement total des droits de douane, espéré par certains acteurs de marché, est une chimère car ils conditionnent le financement des baisses d’impôts existantes et futures aux Etats-Unis.»
Vous considérez que l’on est loin d’une «capitulation» des marchés. A quoi pourrait-t-on remarquer qu’elle a eu lieu?
La singularité du repli essuyé début avril, principalement aux Etats-Unis, réside dans une combinaison inhabituelle de baisse des marchés actions, de baisse des marchés de crédit, de baisse du dollar…mais de hausse des rendements obligataires souverains. Nous avons à ce titre observé un début de capitulation sur les bons du trésor américain. Cela n’a en revanche pas été réellement le cas pour les actions car il y a en général une phase de purge sur les marchés actions qui précède une capitulation. Dans ce type de scénario, le désamour des fonds directionnels pour les actions se matérialise par des ventes paniques et désordonnées. Or, nous avons observé des mouvements vendeurs pour obtenir des liquidités, mais pas de manière massive et généralisée. Si l’incertitude devait durer, l’aversion des investisseurs pour les actifs américains constituerait un risque majeur pour le dollar et les bons du Trésor, principales valeurs refuges mondiales sur lesquelles une grande partie du système financier repose. Nous alertons sur ce point.
Y a-t-il des secteurs qu’il vaut mieux éviter ou au contraire favoriser actuellement?
Dans l’ensemble, nous préférons les actions européennes aux actions américaines. La relance budgétaire allemande et la politique monétaire accommodante de la BCE sont des atouts forts pour le Vieux Continent. Au-delà des aspects fondamentaux, l’Europe devrait également continuer à profiter du rapatriement de capitaux en provenance des Etats-Unis. Fait notable, les investisseurs américains accroissent également leur exposition à l’Europe, une tendance qui devrait se poursuivre. En Europe, nous privilégions les actions exposées au marché domestique, en particulier les valeurs allemandes et les moyennes capitalisations. A contrario, nous recommandons d’être sélectifs sur les valeurs exportatrices dont certaines vont être pénalisées par les perturbations sur les chaines de production liées aux droits de douane, et par la hausse de la parité EUR/USD. En termes sectoriels, nous confirmons notre préférence pour la Défense, en raison des efforts de réarmement de l’Europe, pour la Construction et la Chimie, compte tenu des plans d’investissement dans les infrastructures annoncés en Allemagne. Les financières font également partie des secteurs sur lesquels nous souhaitons être exposés.
«Nous n’entrevoyons pas de raisons fondamentales suffisamment solides pour justifier un retour massif sur les marchés actions à court terme, en particulier aux Etats-Unis.»
Quel est votre analyse au sujet du secteur des technologies qui avait déjà commencé à corriger tout au long du premier trimestre, avant même la chute des marchés survenue début avril?
Nous entretenons un discours de prudence sur les valeurs technologiques américaines depuis plusieurs mois, en particulier sur les 7 Magnifiques. En janvier 2025, l’arrivée de DeepSeek* sur le marché de l’Intelligence Artificielle, qui a montré des performances similaires aux technologies américaines pour des coûts associés et une consommation énergétique moindres, a clairement ébranlé la légende de l’«exceptionnalisme» américain en matière technologique, la Chine nourrissant désormais une avance incontestable sur de nombreuses technologies complexes allant de la voiture autonome au robot humanoïde, en passant par les centrales nucléaires, et bientôt les biotechnologies. A ce titre, les futures stars de la tech sont très probablement chinoises. Cet épisode a surtout montré que l’avantage compétitif supposé de la tech américaine sur le reste du monde ne correspondait plus nécessairement à la réalité. En revanche, la forte baisse récente enregistrée sur un certain nombre de valeurs technologiques américaines les rend aujourd’hui attractives. L’action Nvidia* a par exemple perdu plus de 20% depuis le début de l’année. Aux niveaux actuels, cette valeur pionnière en matière d’Intelligence Artificielle se traite sur des niveaux de 23 fois les bénéfices à horizon 12 mois (ratio P/E forward 12 months), loin des niveaux de multiples de près de 60 fois observés par le passé. La croissance des résultats estimée par les analystes financiers de +48% pour 2026, couplée à ces niveaux de valorisation historiquement bas, pourrait participer à une revalorisation du titre.
(*) Ceci n’est pas une recommandation d’investissement