Les attentes pour 2024 aux Etats-Unis sont-elles trop optimistes?

Stéphanie de Torquat, SILEX

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Les risques de surprise négative sont plus élevés l’année prochaine qu’ils ne l’étaient en 2023.

Alors que l’exercice traditionnel des perspectives annuelles bat son plein, force est de constater l’émergence d’une forme d’optimisme, surtout en ce qui concerne l’économie américaine.

Certes, les attentes de croissance sont faibles, nettement sous le potentiel de l’économie.

Mais cette croissance est malgré tout – à quelques rares exceptions près – attendue en territoire positif sur l’ensemble de l’année, sans aucun trimestre en contraction, par une large majorité des acteurs du secteur financier.

Là où ce constat devient plus intéressant est qu’il y a exactement un an, le consensus s’orientait vers une récession en 2023 en raison, notamment, de conditions financières historiquement restrictives. A l’époque, le 13 décembre 2022, la borne haute des taux directeurs de la Réserve fédérale américaine (la Fed) se trouvait à 4,0%. Cette borne haute se trouve actuellement à 5,5%, et, à l’heure où nous écrivons ces lignes, les marchés anticipent que celle-ci va baisser d’un peu plus de 1% en 2024. Cela impliquerait donc des taux aussi restrictifs fin 2024 qu’ils ne l’étaient fin 2022. A la différence près qu’ils auront été considérablement plus restrictifs tout au long de l’année 2023. Et comme cela est largement reconnu, les effets de la politique monétaire filtrent dans l’économie réelle avec un certain délai, souvent long, et toujours variable.

Alors, pourquoi cette vague d’optimisme à l’orée de 2024?

Deux raisons, entre autres, semblent se détacher.

La première est la remarquable – et inattendue – résilience du consommateur américain, qui a tenu à bout de bras la performance économique des Etats-Unis cette année. Bonne nouvelle, cette forte résilience n’a pas empêché la mise en place du processus de désinflation. En effet, ce dernier a été en grande partie porté par une normalisation de l’appareil productif de l’économie avec un retour des travailleurs sur le marché de l’emploi post-Covid, une augmentation de la productivité qui avait beaucoup baissé, et la disparition des goulets d’étranglements au sein des chaînes de valeur globales.

Le passage de 4% à 2% sur l’inflation sous-jacente va probablement requérir une baisse de la demande. Et c’est peut-être là que se trouve le plus grand défi pour 2024.

Mais ce processus de normalisation de l’offre semble aujourd’hui toucher à sa fin. Par conséquent, le passage de 4% à 2% sur l’inflation sous-jacente (hors énergie et denrées alimentaires) va probablement requérir une baisse de la demande. Et c’est peut-être là que se trouve le plus grand défi pour 2024. La demande baisse rarement «juste un petit peu». Surtout aux Etats-Unis, et surtout après le «boom» de 2023. A cet égard, paradoxalement, alors que beaucoup ont pour principal argument en faveur de l’atterrissage en douceur la remarquable «performance» du consommateur américain en 2023, c’est justement cette performance qui pourrait rendre le ralentissement en douceur difficile. Le consommateur américain dépense allègrement son excès d’épargne – l’épargne de précaution est inexistante – et il n’hésite pas à se tourner vers le crédit. Symbolique mais parlant, l’explosion du «buy now, pay later» pendant la période de Thanksgiving. Le risque est donc celui d’un arrêt brutal lorsque ces ressources seront épuisées.

La seconde raison à cet optimisme début 2024 pourrait venir d’un biais comportemental humain. Se tromper par excès de pessimisme est souvent moins bien accepté que lorsque l’erreur est liée à un excès d’optimisme. C’est quelque part avoir doublement tort. Et c’est ce que beaucoup de prévisionnistes ont vécu cette année. 2023 les conduit donc à une certaine prudence quant à l’excès de négativisme.

Cela dit, il faut reconnaître que l’atterrissage en douceur, bien que très rare historiquement et particulièrement difficile à mettre en place, est possible.

Si, par exemple, la Fed parvenait à tolérer une inflation sous-jacente supérieure à l’objectif, aux alentours de 2,5%/3%, sans que les marchés ne lui en tiennent rigueur, cela lui permettrait de limiter la destruction de demande, et donc les risques de ralentissement plus significatif. L’équilibre atteint serait cependant périlleusement instable.

Moins probable à court terme, mais un renforcement supplémentaire de l’appareil productif, via, par exemple, une propagation rapide de l’intelligence artificielle, permettrait de continuer à augmenter l’offre plutôt que diminuer la demande pour faire baisser l’inflation.

Quoi qu’il en soit, les risques de surprise négative par rapport aux attentes sont plus élevés en 2024 qu’ils ne l’étaient en 2023. A cet égard, le niveau de taux sur les obligations souveraines continue d’offrir une protection exceptionnellement efficace et bon marché.

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