Le défi budgétaire ne cesse de se faire plus pressant

François Savary

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Les déficits budgétaires de pays de l’Union européenne n’ont pas atteint les niveaux que l’on observe aux Etats-Unis mais il n’y a pas à pavoiser pour autant.

L’agence de notation Moody a donc mis «sous revue négative» la dette de l’Oncle Sam vendredi dernier. Ce faisant, l’institution pourrait, à terme, rejoindre S&P – qui avait agi en 2011 déjà - et Fitch (il y a quelques mois) pour retirer son rating le plus élevé à la dette souveraine américaine.

Les motifs invoqués n’ont rien de surprenant ou regard des 2 trillions de déficit budgétaire (soit aux alentours de 7% du PIB) que Washington devrait afficher pour l’année 2023. C’est bien le caractère soutenable de la dette US qui est en cause ; l’agence de notation note d’ailleurs qu’entre 2022 et 2033 les intérêts dus sur cette dernière pourraient passer de 1,9% à 9,7% du PIB et que, dans le même temps, la proportion de la charge de la dette par rapport aux revenus fiscaux pourrait augmenter de moins de 10% à près de 26%! 

Des chiffres qui peuvent affoler et qui font écho à une évolution que les grands organismes internationaux n’ont cessé de mettre en exergue au cours des derniers trimestres pour appeler à une action résolue en vue de «corriger» la trajectoire des finances publiques, et pas uniquement aux USA!

Le moins que l’on puisse dire est que le message n’a pas été entendu outre-Atlantique. Au demeurant, on voit mal dans le climat politique qui prévaut à Washington et dans le cadre de la campagne électorale qui se profile à grand pas, comment une action résolue pourrait prendre forme pour modifier la tendance en cours.

La question de la division exacerbée du climat politique au pays de l’Oncle Sam n’est d’ailleurs pas absente de l’annonce faite vendredi par l’agence Mooody. 

Le problème budgétaire n’est pas moins pressant en Europe alors que les débats sont vifs sur le retour - opportun ou non - aux normes du Pacte de Stabilité dès janvier 2024. Ces dernières avaient été suspendues au moment de la crise sanitaire, décision qui avait été prorogée avec l’invasion russe de l’Ukraine et la crise énergétique associée.

Certes, les déficits budgétaires de pays de l’Union n’ont pas atteint les niveaux que l’on observe aux Etats-Unis mais il n’y a pas à pavoiser pour autant. Ce constat est d’autant plus vrai que les perspectives de consolidation des finances publiques pour ramener les déficits sur une trajectoire plus soutenable ne cessent d’être repoussées par les Etats européens, France et Italie en tête.

En outre, si les dépenses publiques américaines ont au moins eu le mérite de contribuer à une activité économique soutenue en 2023, la croissance européenne est au point mort; de plus, les défis de la transition énergétique et de l’accroissement des dépenses militaires ne sont pas près de s’estomper. A cet égard, le débat sur le financement des engagements allemands pour parvenir aux célèbres 2% du PIB consacrés aux dépenses militaires fait rage. Trouver 85 milliards d’euros n’est pas chose aisée. Faire des économies pour les financer ou recourir à l’endettement pour y parvenir? Une question d’actualité qui est loin de faire l’unanimité au sein de la coalition gouvernementale. 

On ne pourra pas éternellement repousser le traitement de ce problème. En offrant une vision globale sur la mise en œuvre d’une vraie politique fiscale/budgétaire soutenable à moyen terme.

Globalement, le cas européen est extrêmement complexe en raison des spécificités de cette Union «inachevée». Un projet européen ambitieux peut-il se passer d’une union fiscale renforcée? Un retour pur et simple aux normes du Pacte de Stabilité, même quelque peu modifiées, peut-il vraiment constituer une solution crédible ou ne constitue-t-il pas un choix dangereux qui finirait par réduire l’Europe à un simple marché unique, comme le pensent certains? L’Europe est confrontée à un double défi dans la gestion d’un retour à une trajectoire soutenable des déficits et de la dette : les moyens pour y parvenir d’une part et le poids que doivent prendre le budget et la dette commune dans ce contexte. Un défi de taille à relever mais dont on ne peut plus faire l’économie, d’autant plus qu’un élargissement géographique de l’Union se dessine.

Même le Japon n’est pas en reste quand il s’agit de nous surprendre sur le front de la gestion de la question budgétaire dans les circonstances actuelles. Le gouvernement, aux prises avec des sondages peu favorables à l’approche d’élections parlementaires, ne vient-il pas d’annoncer sa volonté de s’engager dans un programme de relance fiscale, principalement par des réductions d’impôts, «supposées» aider les ménages nippons à faire face au choc inflationniste des dernières années. De manière tout à fait intéressante, il ne semble pas que le gouvernement ait convaincu la population de l’utilité de la mesure si l’on en croit certains sondages. Peut-être faut-il y voir une forme de sagesse populaire dans un pays qui est aux prises avec un endettement colossal?

Les années 2022-2023 resteront comme celles d’un retour à la normale sur le front de la politique monétaire et des taux d’intérêt en général. Une évolution qui n’a fait que péjorer les perspectives relatives à l’endettement gouvernemental et à son financement à moyen terme dans les pays développés, en particulier. 
Il est tout à fait légitime que certains financiers, à l’image de Messieurs Druckenmiller ou Dalio par exemple, ne cessent de tirer la sonnette d’alarme. Au demeurant, comme nous l’avons déjà relevé, les organismes internationaux ne sont pas en reste même si leur message se veut (légitimement) moins «agressif», tout au moins dans la forme. Le sentiment de perte de contrôle sur les finances publiques s’est largement instillé dans les opinions publiques et il contribue à une défiance de ces dernières à l’encontre des états et à nourrir un sentiment de crainte sur l’avenir.

On ne pourra pas éternellement repousser le traitement de ce problème. Non pas par des mesures spécifiques et ponctuelles sur telle ou telle question mais en offrant une vision globale sur la mise en œuvre d’une vraie politique fiscale/budgétaire soutenable à moyen terme. Cela passe évidemment par une définition claire tant des objectifs que l’on vise que des moyens fiscaux nécessaires pour y parvenir. Malheureusement, il faut reconnaître que malgré les appels à une action résolue pour agir, on ne voit pas vraiment de signe allant dans ce sens dans un avenir proche. On aimerait penser que 2024 pourrait amener un début de solution. Il s’agit peut-être d’un vœu pieux, sachant que les échéances politiques (élections présidentielles US, élections parlementaires européennes et nipponnes) risquent de compromettre toute velléité d’action. 
 

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