Ignorer les développements géopolitiques n’est plus une option

François Savary

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Dans un contexte où les fondamentaux économiques chinois sont décevants, la guerre économique peut se révéler un facteur difficile à maîtriser dans le cadre de la géopolitique actuelle.

Voilà plusieurs années que l’idée d’une période plus instable dans les relations internationales interpelle tout un chacun et, tout au moins pour partie, suscite des interrogations au sein de la communauté financière. D’aucuns font remonter «ce changement de cap» à la Présidence Trump, mais au pourrait aussi défendre l’idée que la fin de l`ère Obama avait déjà marqué un tournant important dans le climat géopolitique global, accentué sous Donald Trump et que Joe Biden est loin d’avoir infléchi.

Certains considèrent que vouloir intégrer les questions géopolitiques dans une appréciation des marchés financiers relève de la gageure et qu’il est préférable de s’abstenir. Au contraire, d’autres sont enclins à penser que tout investisseur responsable ne peut pas occulter ces questions dans l’environnement actuel.

Bien évidemment la question de l’invasion russe en Ukraine vient immédiatement à l’esprit, puisque nous vivons depuis 18 mois sous l’influence de cette crise majeure. Après une phase marquée par une forme de «fatigue» liée à l’enlisement du conflit, les choses ont réaccéléré au cours des dernières semaines. On en veut pour preuve le rebond des matières premières agricoles, consécutif à la dénonciation de l’accord sur les exportations de céréales ukrainiennes par Moscou; en outre, même si le conflit dans l’est européen n’est pas le seul facteur explicatif de la nouvelle tension sur les prix du pétrole est du gaz, cette évolution est venue nous rappeler que nous avons peut-être trop vite oublier les risques de la crise énergétique, particulièrement en Europe! Que l’Arabie Saoudite continue à vouloir favoriser une tension complémentaire des prix de l’or noir, au mépris des pressions et de l’irritation exprimée par Washington, renforce plutôt le sentiment que l’évolution des relations internationales est un facteur «perturbant» pour les marchés par rapport à l’histoire récente.

Autre source de tension géopolitique plus récente: le coup d’état au Niger, qui suscite des interrogations sur une implication russe dans un contexte général où Moscou n’a pas cessé d’avancer ses pions dans la région depuis quelques années. La crise au Niger implique désormais de nombreux acteurs, au-delà de l’Afrique qui a pourtant affiché une surprenante réaction au travers des menaces de la CEDEAO. Les intérêts économiques (matières premières) ou stratégiques occidentaux ont ainsi conduit Washington à réagir vivement contre le coup de force. La déstabilisation de l’ouest et du centre africain semble faire écho au bon vieux temps de la guerre froide et de ses combats à distance entre «les grandes puissances; cependant, si la lutte était, à l’époque, avant tout un combat idéologique elle revêt aujourd’hui un aspect économique (contrôle de ressources) de plus en plus marqué.

Et puis il y a cette fracture de plus en plus béante entre les Etats-Unis et Pékin. L’annonce récente de l’ouverture d’une ligne de communication régulière entre les deux puissances ou la visite de Janet Yellen dans l’Empire du Milieu sont de «bonnes nouvelles», Toutefois, elles ne peuvent pas occulter que le climat général ne cesse de se détériorer, à l’image de la décision récente de Joe Biden d’interdire des investissements américains dans certains secteurs de l’économie chinoise ou encore des restrictions imposée par Beijing à l’exportation de certains métaux essentiels pour les économies développées, dans le développement du secteur des énergies renouvelables par exemple.

Dans ce contexte, un regard sur les dernières statistiques de la balance commerciale chinoise peut susciter des questions sur les causes de la chute combinée des exportations et des importations. Certes, il y a évidemment des effets induits par une conjoncture plus faible qu’attendue en Chine et un ralentissement de l’activité dans les économies occidentales qui jouent un rôle important et il ne faut pas extrapoler outre mesure ces données; cependant, on ne peut pas s’empêcher de se demander si ces chiffres ne sont pas aussi, au moins partiellement, l’expression d’une tendance qui ne peut que se renforcer dans le cadre de la guerre économique que les deux pays se livrent de plus en plus depuis quelques années. A cet égard, il y fort à parier que quel que soit le vainqueur des élections présidentielles américaines en 2024, le climat de tension sino-américain ne devrait guère s’améliorer.

Dans un contexte où les fondamentaux économiques chinois sont décevants, à l’image d’une croissance en berne, d’un chômage des jeunes qui atteint des proportions alarmantes, d’une crise immobilière qui est loin d’être résolue et d’une menace de déflation bien réelle au regard des derniers chiffres publiés, la guerre économique peut se révéler un facteur difficile à maitrise dans le cadre de la géopolitique actuelle et future.

On pourrait évidemment mentionner d’autres éléments des relations internationales qui nourrissent le climat géopolitique (durablement?) instable que nous connaissons. Intégrer ces éléments dans une décision d’investissement est évidemment extrêmement compliqué. Est-ce à dire qu’il faut renoncer à le faire? Je suis loin d’en être convaincu, car les conditions macroéconomiques générales seront nécessairement impactées par l’instabilité qui s’est installée.

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