Trump, le dollar et l’équilibre du monde

Axel Botte, Ostrum AM

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Les excès américains, entre guerre commerciale et dette illimitée, fragilisent l’ordre économique mondial.

©Keystone

 

L'administration américaine impose des droits de douane à tous les pays étrangers. Ces mesures protectionnistes tentent de faire payer le monde pour la sécurité et la facilité des affaires dans le monde, rendues possibles par le dollar américain et la puissance militaire des Etats-Unis. Les droits de douane ont ébranlé les marchés financiers, y compris le supposé marché sûr des obligations du Trésor, qui n'a pas réussi à protéger les investisseurs des pertes sur le marché des actions. Des déficits publics élevés et une crise auto-infligée pourraient préparer le terrain pour un moment similaire à celui de Liz Truss pour les obligations du Trésor.

Les défis posés par les droits de douane américains

Par suite des droits de douane imposés par le président Trump, les entreprises et investisseurs mondiaux sont confrontés à une incertitude grandissante. L'économie mondiale est sur un fil et les risques de récession augmentent. La profitabilité des entreprises et la stabilité des chaînes d'approvisionnement rencontreront des obstacles rappelant la période Covid. L'enquête NFIB de mars confirme la pression sur les bénéfices et une confiance déclinante dans les perspectives économiques. La capacité à s'adapter aux circonstances changeantes, en lien avec le contexte géopolitique, la situation militaire et les relations commerciales, sera essentielle pour les entreprises mondiales.

L'administration en place semble minimiser l’avantage d’être l’émetteur de la monnaie de réserve mondiale et considérer l'ancrage du dollar comme un problème.

Les droits de douane ont remis en cause les relations économiques entre les Etats-Unis et l'Europe. L'Europe apparaît désormais plus unie face aux mesures commerciales américaines. Cependant, les intérêts nationaux pourraient empêcher les pays membres de l'UE de converger vers la réponse optimale à la guerre commerciale initiée par Donald Trump. Parallèlement, la Chine a choisi de riposter avec force, en imposant ses propres droits de douane réciproques et des limitations sur les importations et exportations. La stratégie d'escalade pour ensuite désescalader vers un nouvel équilibre pourrait ne pas fonctionner cette fois-ci.

Depuis des décennies, le consommateur américain est la principale source de demande pour l'économie mondiale. Les ménages américains consomment environ 20% de la production mondiale. Les États-Unis affirment que les déséquilibres encourus ont atteint des niveaux insoutenables. La demande devra venir d'autres pays. Les Etats-Unis semblent revenir sur leurs engagements envers leurs alliés en matière de sécurité. Les dépenses de défense en Europe devront donc augmenter. Le plan de défense de l'UE s'élève à 800 milliards d'euros, dont la moitié provient d'Allemagne. L'Allemagne réduira donc son excédent commercial en augmentant ses déficits budgétaires. Les dépenses d'infrastructure contribueront à hauteur de 500 milliards d'euros supplémentaires. Le modèle de croissance économique de la Chine doit encore être rééquilibré, moins d'immobilier et d’exportations à coût compétitif, davantage d’exportations à forte valeur ajoutée et de consommation. Une grande partie de ce rééquilibrage est déjà en cours, mais la consommation privée reste peu dynamique. Le gouvernement chinois a proposé une série de mesures pour stimuler les dépenses des ménages, mais cela pourrait prendre des années et une réforme profonde de la sécurité sociale pour réduire l'épargne préventive.

Le rôle et la légitimité du dollar américain

L’émetteur de la monnaie de réserve mondiale est un privilégié. Ce privilège parfois qualifié «d’exorbitant» reflète la supériorité économique et militaire des Etats-Unis. Pourtant, l'administration en place semble minimiser cet avantage et considérer l'ancrage du dollar comme un problème. Steven Miran considère ouvertement que les Etats-Unis devraient être rémunérés par le reste du monde pour l'utilisation du dollar dans le commerce mondial. Selon les propres mots du conseiller économique de Trump: «Deux nations étrangères, disons la Chine et le Brésil, commercent entre elles. Aucunes des deux nations n'a de monnaie qui soit fiable, liquide et convertible, ce qui rend le commerce entre elles difficile. Cependant, parce qu'elles peuvent effectuer des transactions en dollars américains dont la valeur est garantie par les obligations du Trésor américain, elles peuvent échanger librement entre elles et prospérer. Ce commerce ne peut avoir lieu que grâce à la puissance militaire des Etats-Unis, garantissant notre stabilité financière et la crédibilité de notre emprunt.»

La citation de Steven Miran est révélatrice du ressentiment du gouvernement américain actuel envers le reste du monde. Elle ne reconnaît évidemment pas que cet avantage «caché» (ou dark matter) lié au statut de monnaie de réserve permet aux Etats-Unis d'emprunter continuellement dans leur propre monnaie. Les entreprises américaines n'ont ainsi pas à gérer les fluctuations des taux de change et ont accès à un financement en dollars d'une large base d'investisseurs internationaux. C'est en effet cet avantage qui permet aux Etats-Unis de prospérer malgré leurs déséquilibres externes continus.

Ce «problème» est peut-être en voie de résolution puisqu'une part croissante du commerce mondial est désormais libellée en renminbi chinois. L'Arabie Saoudite vend du pétrole à la Chine en renminbi. Parallèlement, les prêts de la Chine aux pays asiatiques et africains pour financer des investissements d'infrastructure ont permis une certaine internationalisation du yuan depuis la Grande Crise Financière. Néanmoins, le compte de capital de la Chine reste fermé.

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