Deux semaines après les élections fédérales, les négociations de coalition en Allemagne avancent à un rythme soutenu avec des propositions budgétaires d’une ampleur inédite. Le gouvernement en formation envisage la création d’un fonds spécial de 500 milliards d’euros sur 10 ans pour moderniser les infrastructures nationales, incluant le transport, l’énergie, le numérique, ainsi que les secteurs de l’éducation et de la recherche. Ce plan, dont 100 milliards d’euros seront alloués aux Länder et aux communes, vise à combler des décennies de sous-investissement. En parallèle, les dépenses militaires pourraient atteindre 75 milliards d’euros supplémentaires par an, portant le budget de la défense à 3,6 à 3,7% du PIB, un niveau inédit depuis la Guerre froide. La mise en place de ces mesures nécessite une modification constitutionnelle, un défi politique majeur alors que la coalition ne dispose pas encore de la majorité des deux tiers requise. L’urgence est réelle: le nouveau Bundestag prendra ses fonctions le 18 mars, et les délais pour faire passer ces réformes se réduisent à quelques semaines.
L’ampleur du plan représente un véritable choc budgétaire pour l’économie allemande, qui pourrait redynamiser la croissance à court et moyen terme. Avec un multiplicateur budgétaire estimé à 0,5, ces dépenses pourraient générer une croissance supplémentaire de 1,5 point de pourcentage du PIB, soit un moteur essentiel face aux incertitudes économiques globales. Une étude de l’Institut für Weltwirtschaft souligne qu’une hausse des dépenses de défense de 2 à 3,5% du PIB pourrait stimuler la croissance de 0,9 à 1,5%, tout en améliorant la productivité à long terme. Cependant, au-delà des promesses chiffrées, ces ambitions risquent de se heurter à des contraintes structurelles. L’Allemagne souffre d’une pénurie croissante de main-d’œuvre qualifiée, et de nombreux projets d’infrastructure sont bloqués par la lourdeur des processus administratifs. L’exemple du viaduc de Lüdenscheid, effondré en 2021 et dont la réouverture partielle n’est prévue qu’en 2026, illustre bien les délais de mise en œuvre des projets publics. Dans le domaine militaire, l’enjeu est tout aussi complexe: renforcer les capacités de défense nécessite des stratégies d’achats harmonisées en Europe pour éviter la fragmentation et garantir une compatibilité entre les équipements des différents pays.
Si ce programme d’investissement semble nécessaire, il pose aussi la question cruciale du financement et des effets macroéconomiques à long terme. Avec une dette publique allemande déjà estimée à 2 500 milliards d’euros, ces mesures pourraient alourdir le fardeau de 1250 milliards d’euros supplémentaires sur dix ans, augmentant le ratio dette/PIB de manière significative. En parallèle, les risques inflationnistes s’intensifient: les anticipations d’inflation à cinq ans ont grimpé de 2,07% à 2,23%, et les rendements des obligations d’État allemandes à 10 ans ont bondi de 2,44% à 2,85%. Ces tensions sur les marchés obligataires contrastent avec l’optimisme des marchés actions, qui voient dans ce virage budgétaire une opportunité de croissance. Le MSCI Europe affiche une performance de +10% depuis le début de l’année, contre -4% pour son équivalent américain en euros. Face à cette nouvelle dynamique, les investisseurs commencent à réallouer leurs portefeuilles, en privilégiant les secteurs industriels, de la construction et des services financiers, qui bénéficieront directement de ces dépenses publiques massives. Reste à savoir si l’Allemagne parviendra à allier ambition budgétaire et discipline financière, sans compromettre sa stabilité macroéconomique de long terme.