Les cinq disruptions de Trump 2.0

Emmanuel Ferry, Union Securities Switzerland SA

3 minutes de lecture

Donald Trump a remporté les élections sur un programme de changement. Les premières nominations confirment qu’il entend appliquer son agenda de rupture.


Nous identifions au moins cinq points de rupture qui seront structurants pour les perspectives d’investissement en 2025. Il y aura des incertitudes sur l’exécution, mais le point focal à court terme est la dimension disruptive et le coût supporté par le reste du monde.

1. Ajustements de la politique budgétaire et domination budgétaire sur la politique monétair

Trump prévoit de prolonger les dispositions de la loi de 2017 sur les réductions d'impôts et l'emploi (Tax Cuts and Jobs Act), qui expirent en 2025, et d'introduire de nouvelles réductions d'impôts pour les particuliers et les entreprises. Le Congressional Budget Office estime que la prolongation de ces réductions pourrait ajouter environ 4600Mds de dollars au déficit fédéral au cours de la prochaine décennie. Les réductions d'impôts proposées, sans réduction correspondante des dépenses, devraient augmenter le déficit fédéral. L'administration pourrait chercher à influencer les choix de la Réserve fédérale, notamment la fixation des taux des Fed Funds. De telles actions pourraient porter atteinte à l'indépendance de la banque centrale, ce qui entraînerait une volatilité accrue et une augmentation de la term premium sur les taux d’intérêt à 10 ans. Jerome Powell a affirmé qu'il ne démissionnerait pas si le président élu Donald Trump le lui demandait, soulignant que la loi ne permet pas au président de le destituer pour des désaccords politiques. Powell, dont le mandat actuel se termine en mai 2026, a réitéré son engagement à maintenir l'indépendance de la Fed face aux pressions politiques. Une mise sous tutelle implicite de la politique monétaire par la politique budgétaire pèserait immanquablement sur le dollar comme variable d’ajustement. Un tel triangle d’incompatibilité est très favorable aux actifs réels et anti-débasement monétaire, comme l’or et les cryptomonnaies.

2. Un tournant pour les cryptomonnaies

Donald Trump s'est présenté comme le candidat pro-cryptomonnaies durant sa campagne électorale. Trump veut positionner les États-Unis en tant qu'acteur majeur dans l'écosystème des cryptomonnaies, en favorisant l'innovation et en attirant les investissements dans ce secteur en pleine croissance. Il prévoit de réduire les réglementations fédérales sur les cryptomonnaies, notamment en remplaçant le président de la Securities and Exchange Commission (SEC), Gary Gensler, perçu comme trop strict envers le secteur. Il a évoqué durant sa campagne son souhait d’établir une réserve stratégique de Bitcoin et faire la promotion du minage sur le sol américain, visant à augmenter la part des États-Unis dans cette activité et à stimuler l'économie locale. Ce signal fort devrait contribuer à accélérer le processus d'institutionnalisation des cryptomonnaies et leur adoption dans la gestion de l’épargne, au moment où les craintes de débasement monétaire s’intensifient.

L’agenda America First sera rapidement implémenté, avec des ruptures profondes, tant domestiques qu’internationales. 

3. Une intensification de la guerre commerciale

L’administration a l’intention d’imposer un tarif de base universel de 10% sur toutes les importations, avec des taux plus élevés pour certains pays, notamment un tarif de 60% proposé sur les produits chinois. De telles mesures devraient perturber les chaînes d’approvisionnement mondiales et augmenter les coûts des intrants pour les entreprises américaines qui dépendent des matériaux importés. Des droits de douane élevés sont susceptibles d’entraîner une hausse des prix à la consommation, contribuant à ranimer des pressions inflationnistes. Dans les faits, la hausse des tarifs pourrait être ciblée, notamment concernant les déséquilibres commerciaux les plus importants. Cela aura des conséquences sur l’inflation, mais pourrait à l’inverse renforcer le dollar. La leçon de 2018, lorsque les Etats-Unis avaient imposé des droits de douane à la Chine de 25%, est que la monnaie du pays soumis aux droits de douane se déprécie pour compenser l’impact sur la compétitivité. La guerre commerciale pourrait créer du désordre monétaire dans les pays à fort excédent commercial vis-à-vis des Etats-Unis.

4. Des effets sectoriels immédiats liés à un nouveau cycle de déréglementation dans l’énergie

Ces mesures reflètent une orientation vers une indépendance énergétique basée sur les combustibles fossiles, avec une diminution de l'engagement envers les énergies renouvelables et les initiatives de lutte contre le changement climatique. Trump a promis de relancer le slogan «drill, baby, drill» en augmentant le forage pétrolier et gazier sur les terres fédérales et offshore. Il prévoit de faciliter la construction de pipelines et d'autres infrastructures énergétiques pour soutenir cette augmentation de production. Trump envisage de retirer les États-Unis de l'Accord de Paris sur le climat et d'annuler les réglementations visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Des incitations financières sont prévues pour les producteurs de charbon, de pétrole et de gaz naturel afin de stimuler la production nationale. Il prévoit de mettre fin aux subventions fédérales pour les projets d'énergies éolienne et solaire.

5. Des gains de productivité via une accélération des opérations de fusions et acquisitions

La prolongation du cycle américain et le financement des déficits dépendront de la capacité à maintenir une progression soutenue des gains de productivité. Cela passe par des réformes du marché du travail, de la déréglementation et de l’innovation. Le programme de Trump pourrait stimuler les activités de fusions et acquisitions (M&A) aux États-Unis, un élément de soutien pour les Small&Mid Caps. Des réductions d'impôts et des incitations fiscales pourraient améliorer la trésorerie des entreprises, les rendant plus enclines à financer des acquisitions. Cela peut particulièrement dynamiser les secteurs à forte intensité en capital, comme l'industrie, la technologie et l'énergie. Trump a promis de poursuivre la déréglementation dans divers secteurs, tels que l'énergie, la finance, et la technologie. Une réduction de la bureaucratie et des obstacles réglementaires peut rendre les opérations de M&A plus fluides et moins coûteuses. En rendant le cadre réglementaire moins contraignant, les entreprises pourraient être plus motivées à se lancer dans des transactions de grande envergure. Une approche plus permissive sur le plan de la réglementation antitrust pourrait permettre des mégafusions, notamment parmi les entreprises technologiques cherchant à renforcer leurs capacités en intelligence artificielle, cybersécurité, et cloud computing. La levée de restrictions sur les combustibles fossiles et le soutien à l'industrie pétrolière et gazière pourraient stimuler les fusions dans ces secteurs. Avec une déréglementation accrue, les banques régionales pourraient se consolider pour faire face à la concurrence des grandes institutions financières.

L’agenda America First sera rapidement implémenté, avec des ruptures profondes, tant domestiques qu’internationales. Ces ruptures confirment notre grille de lecture thématique du nouvel ordre économique mondiale, qui combine des forces positives (capex, reshoring, souveraineté) et des forces négatives (cadre global non coopératif, inflation, volatilité, pressions populistes). L'exceptionnalisme américain a des chances de se prolonger et de s’intensifier.

A lire aussi...