Le crédit de la France en question

Emmanuel Ferry, Union Securities Switzerland SA

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Le ministre français des Finances, Bruno Le Maire, a évoqué un scénario de crise de la dette de type «Liz Truss» en cas de cohabitation avec l’extrême droite.

L’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale par le Président Emmanuel Macron, faisant suite à la large défaite de la majorité présidentielle aux élections européennes, a immédiatement déclenché un écartement du spread OAT-Bund, qui est passé de 46pb à 65pb. C’est la 6e utilisation sous la Ve République de cette disposition législative. Si ce mécanisme relativement classique a aujourd’hui des conséquences sur la prime de risque du pays, c’est qu’elle intervient à un moment critique sur le plan macro-financier.

Le 31 mai 2024, l’agence Standard and Poor’s avait dégradé la notation à long terme de la dette à long terme de la France, de AA à AA-, en raison de la détérioration de la position budgétaire. Le précédent downgrade de la France par l’agence S&P remontait à 2013. S&P avait fondé sa décision sur le dérapage important du déficit public en 2023 à 5,5% du PIB, après 4,8% en 2022. Le taux d’endettement public est attendu en hausse à 112% du PIB en 2027, contre 109% en 2023. La France affiche ainsi le ratio de dette/PIB le plus élevé de la zone euro après la Grèce et l’Italie.

Avec la décision de Standard and Poor’s, la France était devenue le point focal de la zone euro pour les marchés financiers. Les derniers soubresauts politiques sont rapidement venus confirmer le questionnement sur la vulnérabilité macro-financière de la France. Il est vrai que la trajectoire des finances publiques semble hors de contrôle: 

  1. Creusement structurel du déficit public (déficit primaire de 3,8% du PIB en 2023 après 2,8% en 2022 – le solde primaire correspond au solde budgétaire avant paiement des intérêts de la dette) sans réel effet sur la croissance économique;
  2. Déficits jumeaux structurels (déficit commercial de 2,9% du PIB en 2023);
  3. Décrochage du ratio des revenus publics (51,8% du PIB en 2023 après 54% en 2022);
  4. Un poids non soutenable des dépenses publiques (57,3% du PIB en 2023 vs. 55,2% en 2019);
  5. Un ratio charge d’intérêt/recettes publiques en progression attendue (3,3% en 2023, 5.0% en 2027).

Le coup de projecteur sur la situation interne de la France n’est qu’un épisode supplémentaire du nouvel ordre économique mondial qui se dessine depuis la grande crise financière de 2008-09.

Un downgrade de la dette n’est pas un événement, c’est un processus. Les annonces des agences de notation valident en général une situation connue. Il n’y a pas de contenu prédictif. La hausse de la prime de risque de la France reflète la paralysie budgétaire, le blocage politique, et l’absence d’agenda de réformes. Le dérapage de la dette publique date en fait de la présidence de François Hollande, la gestion de la pandémie de Covid-19 et la crise énergétique de 2022 ayant été des facteurs aggravants. En 2010, la France et l’Allemagne avaient le même taux d’endettement, proche de 85% du PIB. Depuis, l’écart entre les deux pays s’est creusé à 51% du PIB, l’Allemagne opérant un désendettement vers le seuil de 60% du PIB. Ce derating relatif pourrait remettre en cause le principal bénéfice de l’euro pour la France, à savoir la situation de passager clandestin. En effet, la France a longtemps profité de la discipline budgétaire allemande en termes de prime de risque et de coût de refinancement, contrairement aux pays périphériques qui ont régulièrement subi les épisodes de fuite vers la qualité (PIGS, Club Med).

Le triple A de l’Allemagne constitue la dernière ligne de défense de la zone euro. Les mauvaises performances économiques de l’Allemagne (crise énergétique, chute de la demande de la Chine) et une équation politique plus complexe pourraient avoir comme effet d’isoler le risque «France», au moment où les pays périphériques font preuve de davantage de discipline.

Les scénarios politiques sont par nature imprévisibles. En revanche, il y a deux éléments de certitude clés pour les investisseurs. D’une part, le problème structurel d’endettement excessif met inévitablement les banques centrales en situation de domination budgétaire (fiscal dominance). La contrainte exercée par la politique budgétaire d’un État sur la politique monétaire conduit la banque centrale à participer au financement des dépenses publiques, au risque de ne pas respecter son objectif de stabilité des prix. Dans le cas de la zone euro, cela conduirait à une dévaluation de fait de l’euro.

D’autre part, la dette publique de la zone euro pourrait être délaissée par les investisseurs, malgré des paramètres attractifs de valorisation. La recherche de diversification passera de plus en plus par l’Or comme actif décorrélant du risque Actions. Le refinancement des Etats européens ne sera plus qu’exclusivement assuré par des investisseurs soumis à des contraintes de passif réglementaire (banques, assurances).

Le coup de projecteur sur la situation interne de la France n’est qu’un épisode supplémentaire du nouvel ordre économique mondial qui se dessine depuis la grande crise financière de 2008-09. Quelque soit le scénario politique, la prime de risque sur les actifs européens va structurellement augmenter.

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