La narratif du marché est passé de la baisse des taux à une révision en hausse de la croissance économique. Ce changement alimente une rotation des thématiques en profondeur. En termes d’allocation d’actifs, cela se traduit par une surpondération des matières premières en tant que classe d’actifs, après deux années de sous-performance. Depuis le début de l’année, le consensus a révisé en hausse ses attentes sur la croissance du PIB 2024 aux Etats-Unis de 1,3% à 2,2%, sous l’effet d’une politique budgétaire très pro-cyclique et d’une détente des conditions monétaires et financières vers le niveau qui prévalait avant le début du cycle de resserrement monétaire de la Fed. Le contexte de retour du rythme de croissance au-dessus de son potentiel alimente à nouveau les risques inflationnistes, d’autant que les stocks sont bas et les capacités (production, main d’œuvre) sous tension. Cela est exacerbé par des pressions ponctuelles sur les cours du pétrole, les perturbations du fret maritime mondial, et la ré-accélération de la demande.
Depuis six mois, l’or a progressé de 27%, le cuivre de 17%, et le pétrole de seulement 2%, malgré une accélération depuis quelques semaines. Les investisseurs se repositionnent sur les matières premières selon un scénario haussier qui repose sur trois moteurs de performances: la reprise cyclique, le soutien structurel à la demande, et le rôle des matières premières en tant que couverture contre les risques géopolitiques. Le mix macroéconomique, combinant de meilleures perspectives de croissance du PIB, une inflation plus élevée et des taux stables ou plus bas, soutient un changement d'allocation vers les matières premières.
Les investisseurs demeurent sous-pondérés en matières premières, ce qui laisse encore de la place pour des ajustements de portefeuilles importants.
Même si les attentes de baisse des taux aux Etats-Unis ont été considérablement réajustées, la Fed maintient sa guidance de baisse des taux en 2024. Or, historiquement, tout épisode de baisse de taux d'intérêt dans un environnement non récessif entraîne généralement une hausse des cours des matières premières et une surperformance de la classe d’actifs. Trois facteurs spécifiques soutiennent plus précisément le secteur de l’énergie actuellement: de faibles stocks, des risques de perturbation de l'approvisionnement et de capacités de raffinage. Les stocks de pétrole brut aux États-Unis sont les plus bas depuis plus de 25 ans. La prime de risque géopolitique sera durable: un choc d'approvisionnement en pétrole déclenché par des facteurs géopolitiques signifie un scénario de prix du pétrole brut de 100 à 120 USD/bl. Les marchés sont globalement devenus plus haussiers pour le pétrole, avec des replis temporaires possibles en cas de désescalade géopolitique à court terme. En raison de la courbe qui est en situation de backwardation, détenir du pétrole brut délivre un portage positif, avec un rendement annualisé de 10% sur le Brent. Ce roll positif crée naturellement de la valeur pour le pétrole en tant qu’investissement.
Les investisseurs qui souhaitent se protéger contre un scénario de résurgence inflationniste n’ont pas d’autres choix que de mettre des matières premières dans leur portefeuille. C’est le seul actif diversifiant quand les deux grandes classes d’actifs Actions et Obligations d’Etat évoluent dans le même sens (corrélation positive). Historiquement, le portefeuille 60/40 (60% actions / 40% obligations) n’est plus diversifié lorsque l’inflation augmente au-delà de 2,5%. Par ailleurs, historiquement, les deux classes d’actifs baissent en même temps 10% du temps. C’est donc rare, mais ces périodes sont souvent associées à des chocs de volatilité et des pertes importantes sur les portefeuilles (comme en 2022).
Le scénario d’une deuxième jambe haussière de l’inflation (du type des années 70 ou années 90) est dans les esprits, d’autant que le contexte structurel plaide pour un régime plus inflationniste: dette excessive des Etats, fragmentation du commerce international, instabilité géopolitique, populisme, et vieillissement démographique. Les investisseurs demeurent sous-pondérés en matières premières, ce qui laisse encore de la place pour des ajustements de portefeuilles importants. Les cours des matières premières (métaux, énergie) n’intègrent pas encore le scénario de reprise cyclique anticipé par le marché actions, validant l’idée d’une réallocation des actions vers les matières premières au cours des prochains mois.