La thématique centrale repose sur une rotation profonde du leadership de marché. La rotation économique est déjà bien engagée: croissance et inflation en baisse, dollar baissier, monde multipolaire. Elle entraine une rotation du policy-mix au sens large (banques centrales, guerre commerciale, retour du facteur politique et de la souveraineté). Elle implique une révision radicale de la grille d’investissement, selon des rotations majeures inter et intra classes d’actifs: rotation des thèmes de croissance vers les thèmes Value, élargissement de la profondeur de marché, pause de la domination des géants de la Tech, hausse de la volatilité, réduction des écarts de valorisations et focus sur le rendement des actifs.
Le contexte macroéconomique n’est pas particulièrement bien orienté, mais le risque de récession aux États-Unis demeure faible grâce à un secteur privé robuste et aux politiques de soutien des banques centrales. L'assouplissement de la Fed et les mesures de relance en Chine ont alimenté un narratif reflationniste et ravivé les espoirs d'un rebond cyclique. Cela intervient à un moment où les actifs risqués (actions, crédit) et l'immobilier atteignent des valorisations records: la richesse des ménages américains a augmenté de 10'000 milliards de dollars au cours de l'année passée, soit une augmentation de 50'000 milliards depuis la pandémie de Covid-19. Les mesures de relance en Chine sont pour l'instant principalement monétaires. Elles ne sont pas encore susceptibles d’inverser les forces déflationnistes.
Le manque de visibilité sur le cycle économique découle de la superposition des effets retardés du resserrement monétaire de 2022-2023 (augmentation des taux de défaut dans l'immobilier et sur les cartes de crédit, hausse du chômage) et de la matérialisation des attentes d’assouplissement monétaire, qui profitent aux actifs de meilleure qualité et aux emprunteurs les plus solides. C'est pourquoi le changement de politique monétaire à venir ne permet pas d’écarter un scénario de récession en 2025. La première baisse de taux en septembre, neuf mois après le pivot de Jerome Powell en décembre 2023 (qui avait poussé les marchés à anticiper jusqu'à sept baisses de taux), est perçue comme tardive. Dans ce contexte, il est incertain que cela déclenche une nouvelle phase durablement haussière pour les Actions.
Le profil rendement/risque des Actions est moins attrayant, après une appréciation de 55% depuis deux ans.
La croyance dans le soft landing est toujours très forte au moment des points d’inflexion de la politique monétaire. Mais ce qui rassure aujourd’hui est l’absence de déséquilibre marqué. Le surendettement est souvent reconnu comme un facteur déclencheur de crise, nécessitant des cycles de désendettement forcé, accentuant les récessions (le déclencheur de l'endettement des ménages lors de la crise financière de 2007-08, le déclencheur de l'endettement des entreprises lors de la récession de 2001). Aujourd'hui, les déséquilibres liés à l'endettement ne sont pas présents, ce qui réduit a priori le risque de hard landing ou de crise financière. Une récession cyclique ou technique demeure néanmoins possible. Une normalisation très progressive de la politique monétaire de la Fed associée à un scénario de croissance molle limitera le potentiel d’appréciation additionnel des marchés. Le principal moteur des marchés Actions restera les perspectives de croissance des bénéfices des sociétés. Le consensus demeure très optimiste, anticipant une croissance à deux chiffres des BPA en 2025: projections du BPA du MSCI World de +12,9% en 2025 après +7,5% en 2024. Les bénéfices des sociétés restent un point d’ancrage solide pour les investisseurs. C’est donc le maillon faible à ce stade actuel du cycle économique et monétaire.
Le profil rendement/risque des Actions est moins attrayant, après une appréciation de 55% depuis deux ans. Le positionnement des investisseurs en actifs risqués est proche de son maximum, tout comme les valorisations: à 22x, le P/E 12 mois forward du S&P500 est élevé, en particulier à un moment où la Fed amorce une baisse de ses taux directeurs. Le P/E moyen est historiquement de 13,6x à ce stade de la politique monétaire, exception de janvier 2001 (23,6x). Les taux d’intérêt à long terme repassent au-dessus du earning yield du S&P500 pour la première fois depuis 22 ans. Cela plaide pour un rééquilibrage entre les Actions et les Obligations d’Etat, en l’absence de ré-accélération de l’inflation. Un indicateur composite de valorisation des Actions américaines indique un retour sur le pic de 2021 et de 2000, rendant hautement probable un ajustement de valorisation dans les 12 mois.
A plus court terme, le biais très cyclique à l’œuvre depuis septembre pourrait s'estomper et revenir à ce qui prévalait au cours des six mois précédents, avec un leadership défensif. Certains risques vont se matérialiser: élections américaines, tensions géopolitiques, faiblesse de la croissance hors des États-Unis, dépréciation procyclique du dollar. Pour les investisseurs, cette feuille de route pour 2025 pourrait se traduire par des décisions stratégiques majeures:
- rééquilibrer l'allocation des risques entre les Actions et les Obligations d’Etat et contrôler la volatilité du portefeuille de manière ex-ante;
- couvrir les grands scénarios alternatifs (récession, dévaluation du dollar, guerre);
- ajouter de l'optionalité (Énergie, marchés émergents).
Le message est donc d’équilibrer et de réduire au minimum l’allocation aux classes d’actifs traditionnelles et d’augmenter au maximum l’allocation aux classes d’actifs non-traditionnelles (alternatifs, actifs réels).