Une récession sinon rien

Eric Vanraes, Banque Eric Sturdza

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Chronique des taux de la banque Eric Sturdza.

 

2-10 ans à -100bp

Dans l’univers de la gestion obligataire, la récession n’est pas une hypothèse future. Elle est bien concrète et s’est installée depuis début juillet 2022 lorsque le spread 2 ans-10 ans US Treasury est passé en territoire négatif. En effet, loin des discussions théoriques, les gérants de taux se posent toujours la même question: est-ce à nous de prévoir puis de constater – ou non – un phénomène de récession ou est-ce que notre mission consiste plutôt à nous demander si les marchés de taux vont jouer à se faire peur avec une courbe inversée?

Un brin provocateur, nous avons toujours proclamé que l’apparition d’une récession est le cadet de nos soucis. En réalité, c’est évidemment faux et nous allons expliquer pourquoi. Ce qui compte, lorsque l’on gère un portefeuille soumis à des déformations de courbe et à des gains/pertes directement générés par des niveaux de duration, c’est de se positionner en fonction des anticipations du marché obligataire concernant un ralentissement ou une récession. Nous sommes donc en récession depuis un an car, selon notre propre définition, nous sommes en inversion de courbe 2-10. L’apparition de la véritable récession économique, en général six à douze mois après le début de l’inversion, risque dans les circonstances actuelles de se produire après un laps de temps plus long, d’environ dix-huit à vingt-quatre mois. Contrairement au discours provocateur pour créer un électrochoc (ou piqûre de rappel pour certains), nous prenons très au sérieux l’apparition de la récession car elle va de pair avec un «re-steepening» de courbe suite à un effondrement violent de la partie 2-5 ans consécutif à des anticipations de forte baisse des taux directeurs de la banque centrale.

En ce début d’été nous maintenons une politique d’investissement qui correspond à notre niveau de prudence actuel, à savoir moins de risque de crédit et une duration plus élevée que d’habitude.

Aujourd’hui, nous avons dépassé le niveau de -100bp, ce qui est tout bonnement historique! Avant le passage en territoire négatif il y a un an, le niveau record des années 2000 s’affichait à -51bp en avril 2000. Ce passage au-delà des -100bp n’est pas unique cette année puisque nous avions atteint -108bp le 8 mars. Ce spread était ensuite très rapidement repassé dans le territoire des -50bp à la suite des déboires des banques régionales US, laissant entrevoir de possibles baisses de taux de la Fed et provoquant un rally du 2 ans. Ce dernier a fait long feu lorsque le calme est revenu dans le secteur bancaire.     

Les taux longs vous saluent bien!

Cette inversion s’installe durablement car, comme nous venons de l’expliquer, c’est l’apparition de la véritable récession économique qui mettra fin à cette anomalie en provoquant des baisses de taux de la Fed et un rally du 2 ans. Les taux longs poursuivent leur marche en avant et le 10 ans a cassé le niveau de 3,70% à la baisse. Quel chemin parcouru depuis les 4,09% du 2 mars! 40bp de détente, avec une duration de 8,3, le compte est bon!

Les événements du week-end en Russie auraient pu déstabiliser encore plus la courbe. Tout semble être rentré dans l’ordre à Moscou (mais pour combien de temps?) et de tels black swans nous rappellent que les taux longs US sont également une protection contre les mauvaises nouvelles d’où qu’elles viennent (économiques, politiques, marchés financiers, terrorisme, catastrophes naturelles…). Des taux longs à 10-30 ans proches de 3,70%-3,75% sont sans doute à leur prix «fair value». Nous n’en demandons pas énormément plus à court terme. Pour passer au-dessous de 3,5%, il faudra plus de mauvaises nouvelles du côté de la croissance et du credit crunch… Ou un marché qui craint une Fed trop hawkish et proche d’une erreur de politique monétaire mettant à genoux l’économie US.

En ce début d’été nous maintenons une politique d’investissement qui correspond à notre niveau de prudence actuel, à savoir moins de risque de crédit et une duration plus élevée que d’habitude. Les crédits nous paraissent chers, le high yield est hors de prix, les émergents ne paient pas la prime de risque liée à leur statut et les hybrides sont moins attrayantes. En effet, évitons de regarder les indices hybrides corporates qui déforment la réalité puisque le poids des REITS fait grimper les taux et spreads. Un indice hybrides ex-REITS est déjà beaucoup moins attirant. Si nous devions modifier cette politique prudente en deuxième partie d’année, nous serions tentés par certains crédits émergents de qualité. Nous allons sans doute mettre à profit tout écartement de spread pour revenir sur ces émetteurs que nous chérissons. Il faudrait toutefois que certains d’entre eux fassent un effort du côté de leur notation ESG sous peine de devoir disparaître à tout jamais de notre univers d’investissement.      

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