Quelle stratégie obligataire pour 2024?

Vincent Juvyns, J.P. Morgan Asset Management

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Les taux d’intérêt à court et à long terme ont atteint leur pic et les investisseurs devraient «sécuriser» les rendements actuellement offerts par les obligations de bonne qualité.

Les rendements obligataires ont été volatils ces dernières années. Le rendement américain à 10 ans a même dépassé 5% pour la première fois depuis 2007. Alors que 2024 approche, nous pensons que les taux d’intérêt à court et à long terme ont atteint leur pic et que les investisseurs devraient «sécuriser» les rendements actuellement offerts par les obligations de bonne qualité.

Pourquoi les rendements obligataires ont-ils autant augmenté en 2023?

L’une des explications tient au décalage entre l’offre et la demande sur les marchés des emprunts d’Etat, en particulier celui des bons du Trésor américain. Puisqu’un nombre considérable de dépenses publiques ont déjà été promulguées aux Etats-Unis, les émissions de dette publique pourraient dépasser la demande d’obligations alors que la Réserve fédérale n’achète plus de bons du Trésor. Dans ce contexte, le marché obligataire a toute latitude pour faire savoir aux Etats qu’ils jugent les programmes de dépenses trop généreux.

Toutefois, si les investisseurs privés s’inquiétaient vraiment de la prodigalité incontrôlable des dépenses publiques, on aurait pu s’attendre à ce que la hausse des rendements soit due, au moins en partie, à des anticipations d’inflation plus élevées. Au contraire, leur évolution jusqu’au second semestre 2023 a été presque été entièrement dictée par les rendements réels.

L’explication de l’envolée des rendements obligataires la plus convaincante à nos yeux est simple : elle est due à la capacité de résistance plus forte que prévu de l’économie américaine face à la hausse des taux d’intérêt. Le marché a donc dû revoir sa perception du taux d’intérêt jugé durable ou «neutre». Le taux neutre est parfois appelé «R-star» par les économistes. Il s’agit du taux d’intérêt qui prévaut en cas de plein emploi et d’inflation stable, de sorte que la politique monétaire n’est ni expansionniste ni restrictive.

Suivi du taux neutre

La poursuite de la hausse des rendements obligataires dépendra de ce que nous apprendrons sur le «R-star» dans les mois à venir. Si les économies résistent et/ou si l’inflation ne retombe pas à 2%, les baisses de taux actuellement anticipées devront disparaître, voire de nouvelles hausses devront être anticipées, ce qui pourrait exercer des pressions à la hausse sur les rendements.

En revanche, si l’économie se détériore sous l’effet des taux d’intérêt actuels (notre scénario central), les marchés s’intéresseront au timing et à l’ampleur des baisses de taux potentielles. Par rapport aux anticipations de la mi-novembre, nous pensons que les banques centrales réduiront leurs taux d’intérêt plus tard que prévu, mais dans des proportions plus importantes. Cela entraînerait une baisse des rendements obligataires et pourrait permettre d’engranger une plus-value importante. Une baisse de 200 pb du rendement du Trésor américain à 10 ans au cours des 12 prochains mois se traduirait par une performance totale de 21%.

En résumé, les obligations core offrent non seulement aux investisseurs un niveau de revenu attractif, mais aussi des gains en capital potentiels en cas de récession.

La sélectivité s’impose sur les marchés obligataires

En Europe, certains gouvernements de la périphérie pourraient ne pas résister à la tentation d’une politique budgétaire expansionniste en 2024, ce qui constitue un risque. Les titres souverains des pays comme l’Allemagne nous semblent donc plus intéressants que leurs homologues de la périphérie. Les investisseurs privilégieront aussi probablement les marchés des obligations souveraines dont les perspectives de politique monétaire sont les plus favorables. Si aux Etats- Unis et en Europe, nous pensons comme beaucoup d’autres investisseurs que les taux directeurs ont atteint leur pic, ce n’est pas le cas au Japon. Comme la Banque centrale japonaise devrait poursuivre la normalisation de sa politique en 2024, les rendements des obligations nippones à long terme devraient encore subir des pressions haussières.

Les besoins de refinancement imposent une montée en qualité

Sur les marchés des obligations d’entreprises, les spreads des obligations de qualité (investment grade) et à haut rendement (High yield) ont bien résisté cette année grâce à la résilience relative de la croissance et à une activité de refinancement assez modeste. Un «mur de refinancement» à des taux d’intérêt beaucoup plus élevés se profile toutefois à l’horizon. A première vue, les titres arrivant à échéance 2024 devraient être parfaitement gérables. Mais comme les entreprises ont toutefois tendance à se projeter d’un an pour établir leurs besoins en capitaux, le niveau plus élevé des échéances en 2025 est un problème à solutionner dès 2024.

La situation risque d’être plus problématique sur le segment du haut rendement que sur celui de l’investment grade. Les échéances imminentes sur les marchés à haut rendement ne sont pas aussi massives que sur celui des titres de qualité. Cependant, l’écart entre le coupon courant et le rendement de l’indice a augmenté, ce qui laisse augurer une hausse marquée des coûts d’intérêt lorsque les entreprises devront émettre des titres à des taux plus élevés.

Dans ce contexte, nous préférons l’investment grade au high yield, car la performance totale du premier pourrait également bénéficier d’une sensibilité accrue aux taux si les rendements des emprunts d’Etat venaient à baisser.

Dette des marchés émergents

La dette des marchés émergents en devise locale s’est clairement distinguée en 2023, dans un contexte de baisse rapide de l’inflation et de stabilité des devises nationales. Les marchés locaux de la dette émergente ont profité de taux réels élevés et d’un assouplissement des politiques monétaires - en particulier en Amérique latine et en Europe de l’Est. Leurs perspectives sont toutefois plus incertaines. Les craintes sur le plan géopolitique renforcent le risque d’une appréciation du dollar américain, mais la marge de manoeuvre dont disposent les banques centrales devrait favoriser les obligations locales en termes de duration.

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