Pic de croissance, pic d’inflation, pic des banques centrales… Quid des taux?

Agim Xhaja, BCV

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Alors que la Fed se réunit pour la dernière fois de 2023, un scénario semble s’imposer pour 2024.

Les fluctuations des rendements des obligations souveraines américaines ont pris des allures tout simplement extraordinaires ces derniers mois. Le rendement des bons du Trésor américain à 10 ans a culminé à 4,98% à la mi-octobre, soit 100 points de base (pb) de progression en deux mois, alors que la courbe des échanges indexés au jour le jour (Overnight Indexed Swap, OIS) n’anticipait que 67 pb de hausse au cours des 12 prochains mois. Depuis, la dynamique a drastiquement changé; les marchés s’attendent désormais à une baisse significative des taux de la part des banques centrales pour 2024. Le rendement des bons du Trésor américain à 10 ans a clôturé le 11 décembre à 4,23% et la courbe des OIS prévoit désormais que la Réserve fédérale (Fed) va procéder à un assouplissement monétaire de 100 pb au cours de l'année à venir.

Le recul observé entre mi-octobre et aujourd’hui n’est-il que le signe d’une pause ou le début d’un mouvement prononcé de baisse? Les possibilités de voir les rendements évoluer dans une fourchette de 100 points de base tant au-dessous qu’au-dessus de leurs niveaux actuels sont considérables.

Le cycle de resserrement monétaire des banques centrales, notamment celui de la Fed, a été le plus agressif depuis 1980. Cette augmentation brutale des taux n’a pas encore produit tous ses effets sur l’économie qui a fait preuve de résilience en 2023. Sera-ce pour 2024? Et que fera la Fed? Le scénario principal prévoit un léger ralentissement du PIB et une inflation se maintenant en dessous de 3%. Les récentes prises de position des membres de la Réserve fédérale plaident pour une baisse des taux afin de soutenir l'activité – à condition bien sûr que les données économiques l’exigent – plutôt que pour leur maintien à des niveaux élevés plus longtemps. Car, même en abaissant de 100 pb le taux directeur, ces derniers restent restrictifs, lus sous l’angle de la règle de Taylor.

Un ralentissement du PIB et une inflation sous les 3 % pourraient permettre aux rendements des bons du Trésor à 10 ans d’évoluer entre 3,75% et 4,75%, au premier trimestre 2024.

Dans un tel scénario, les rendements des bons du Trésor américain à 10 ans pourraient évoluer entre 3,75% et 4,75%, avec une tendance à favoriser le carry trade. Les investisseurs pourraient alors potentiellement être mieux rémunérés en entrant et maintenant une position aux environs de 4,5 % plutôt qu'en essayant d’anticiper le marché et de se retrouver à contre-courant.

Ce scénario que l’on pourrait qualifier de presque parfait dépend de l'évolution du taux de chômage et de l'inflation, il pourrait servir de point de départ pour le premier trimestre de 2024. Toutefois, ce qui pourrait avoir un impact plus important sur l'évolution des rendements dans le courant de l’année se situe en dehors du scénario principal.

Scénario de sortie par le bas

Contrairement aux attentes du marché, le secteur immobilier n’a pas fortement ralenti en 2023. Or, généralement, l’impact des hausses de taux d’intérêt se traduit par une baisse des prix. Ainsi, les conséquences du renchérissement des coûts de financement doivent encore se concrétiser et ne pourront pas intervenir sans douleur. En effet, l’activité sur le marché immobilier a été soutenue par plusieurs solutions basées sur un principe: gagner du temps. Un exemple? Les amortissements négatifs. Si le mantra actuel des banques centrales, «plus haut pour plus longtemps», se maintient, les banques pourraient voir s’accentuer leurs difficultés de rentabilité et de gestion de leur bilan. En 2024, ce secteur pourrait ainsi traverser une phase critique, s'il continue à repousser les problèmes ou s’il est réajusté par un mécanisme de compensation.

Le marché immobilier ne s'est pas encore adapté au régime de taux plus élevés. En cas de stress, la Fed devra abaisser les taux plus rapidement que ce qui est actuellement prévu par le marché.

Si un tel scénario devait se concrétiser, les banques centrales devraient alors baisser leur taux plus rapidement et plus fortement que prévu dans le but de relâcher la pression sur l’immobilier. Dans un tel contexte, la coupe de 100 pb des taux directeurs prévue actuellement par le marché ne serait pas suffisante. Ce scénario se traduirait par une forte pentification de la courbe des rendements, avec des taux à court terme plongeant et les bons du Trésor américain à 10 ans se négociant dans une fourchette de 3,5% à 3,75%.

Scénario de sortie par le haut

Autre scénario alternatif pour 2024: la poursuite de la résilience de l’économie américaine. Cette vigueur malgré la forte hausse des taux s’explique notamment par l’étalement dans le temps des effets de la politique monétaire, par l’évolution du soutien lié au COVID et, de manière plus fondamentale, par une économie toujours plus guidée par des éléments intangibles, comme la propriété intellectuelle, et toujours moins dépendante des structures anciennes. Si cette résilience s’avère principalement structurelle et persiste donc en 2024, le retour potentiel de rendements plus élevés peut gagner en probabilité.

Courant 2023, la Réserve fédérale a envoyé des messages au marché indiquant qu'elle serait très active en matière de politique monétaire et prête à fournir un «filet de sécurité» pour soutenir l'économie. Elle a tenu parole. Ainsi, alors que ses taux à court terme augmentaient et que le resserrement quantitatif était en place, elle injectait de la liquidité dans d’autres canaux. Si en 2024, année électorale faut-il le rappeler, la Fed poursuit sur sa lancée et reste le seul acteur – en continuant notamment la réduction des Reverse Repurchase Agreement (RRP) ou en abaissant les taux à court terme –, les rendements pourraient grimper vers 5,5% à 6%.

Le premier trimestre 2024 fournira les premières indications sur le rythme du ralentissement de l'économie et sur les outils que la Fed pourrait utiliser pour stimuler ou non l'économie. Si un scénario de soutien moindre à l’économie se dessinait, la courbe pourrait prendre des allures de bear steepening, autrement dit typiques de marchés baissiers.

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