L’investisseur a trop de cash

Emmanuel Garessus

6 minutes de lecture

L’excès de cash tient à des raisons émotionnelles. Pourtant sa valeur diminue significativement même avec une modeste inflation, avance Sebastian Lewis, de Vanguard.

Le conflit entre Israël et l’Iran ajoute une incertitude supplémentaire à un environ déjà très complexe. Les discussions sur les droits de douane, sur le budget américain, sur l’inflation n’empêchent pourtant pas l’indice américain des actions de se rapprocher des niveaux records. Comment investir dans cette situation? Sebastian Lewis, de Vanguard, répond aux questions d’Allnews:

Comment l'investisseur à long terme doit-il adapter son allocation à un choc tel que l'offensive israélienne en Iran?

L’investisseur ne devrait pas réagir aux titres des médias. L’allocation stratégique est le résultat d’un processus personnalisé. Le conseiller à la clientèle considère chaque client individuellement. L’allocation d’actifs fait partie d’un plan financier qui commence par la détermination des objectifs, l’analyse de la propension aux risques et de l’aversion aux risques.

«Quatre des cinq meilleures journées de négoce de notre histoire se sont produits cette année.»

Le premier facteur de décision porte sur l’emploi du client. Il s’agit de prendre en compte les risques de carrière de l’investisseur et son secteur d’activité. L’allocation est probablement plus conservatrice si l’investisseur a un emploi dans une activité cyclique. Si la sécurité de son emploi est assurée, l’investisseur peut accroître la part en actions de son portefeuille. En matière de finance personnelle, la grande partie de l’attention porte sur l’adjectif «personnelle» et beaucoup moins sur la finance. L’attention aux dernières informations n’est pas le bon moyen d’atteindre ses objectifs.

Un grande partie des informations ne sont que du bruit. Mais si une nouvelle conduit à changer l’avenir du monde, ne faut-il pas s’y adapter? Parfois ne faut-il pas changer de mes 60% en actions et 40% en obligations? Le pétrole n’a-t-il pas réagi à la hausse et les actions à la baisse?

Je ne partage pas ce point de vue. Après le récent rebond du pétrole, son prix réel était inférieur à celui de 1991 (source: Bloomberg).

Dans un portefeuille diversifié, les matières premières telles que l’énergie n’ont-elles pas leur place?

Les matières premières n’offrent pas de revenus. En elles-mêmes, elles sont difficiles d’accès, puisque cela fait intervenir des Futures. Un portefeuille diversifié comprenant un indice représentant la capitalisation mondiale comme le FTSE all World comprend 3,7% en énergie et 1,6% en ressources naturelles. Cet indice vous donne accès à l’ensemble du monde à travers des entreprises qui produisent un revenu à travers un dividende et/ou des rachats d’actions.

Les nombreux chocs géopolitiques des dernières 30 années soulignent l’importance de privilégier une diversification globale. Une allocation obligataire contribue à un bon équilibre car ainsi l’investisseur met en relation les rendements et les risques. Si les actions et les obligations sont décorrélées, l’investisseur obtient le meilleur de la finance.

Vous êtes basés à Londres. Pour revenir sur la hausse actuelle du pétrole: Si j’investis dans BP, est-ce que je ne profite pas d’un rendement du dividende attractif et d’une progression du revenu liée à la croissance de l’économie mondiale sachant que l’économie n’est que de l’énergie transformée?

Vous ne prenez qu’un titre, avec les risques de concentration que cela suppose. Votre performance ajustée des risques serait nettement meilleure avec un portefeuille diversifié.

Il y a toujours des actions qui performent mieux que l’indice. Les études, comme celle de Bessembinder, montrent que la hausse des indices s’appuie sur les gains de quelques titres exceptionnels. Si l’investisseur ne les détient pas, il sous-performe l’indice. C’est pourquoi il faut être largement diversifié. L’investisseur peine à comprendre ce mécanisme crucial de la finance. Il préfère n’avoir que les meilleures actions d’un indice, mais l’investisseur ne sait pas lesquelles elles seront. La détention d’une seule action conduit systématiquement à une sous-performance par rapport à un portefeuille diversifié, sans même parler des risques ainsi associés.

Un autre aspect de la diversification est à noter: Si vous travaillez, vous devez être sûr d’être exposé à une autre industrie que celle de votre propre entreprise.

Qu’en est-il pour un investisseur suisse?

Le principal indice des actions suisses (SMI) comprend 20 titres. Il représente 2% de l’indice mondial des actions. C’est un très haut pourcentage si l’on considère que la Suisse compte 9 millions d’habitant contre 8 milliards dans le monde. Les entreprises suisses ont réalisé par le passé de très bons rendements et sont appréciées des investisseurs. Mais il vous manque 98% des entreprises mondiales si vous vous limitez aux valeurs suisses. Vous avez besoin d’investir globalement. Même en Suisse, il y a des actions «Bessembinder» qui ont largement surperformé l’indice. Par exemple Givaudan: introduite en bourse en juin 2000, son rendement a été de 1392%, soit nettement plus que les 219% de l’indice SPI. Personne ne connaît toutefois son avenir.

L’indice des actions américaines représente les deux tiers de la capitalisation mondiale. Est-ce correct pour un investisseur qui tient à une diversification globale de détenir un ETF mondial aussi fortement concentré sur les Etats-Unis?

Les Etats-Unis représentent 62,5% de l’indice FT all World en raison de l’excellente performance de nombreuses entreprises américaines, par rapport à celles d’autres pays. Ce taux semble élevé, mais personne ne sait avec certitude ce qu’il adviendra. Les marchés ne cessent de bouger. La seule certitude se trouve dans l’actuelle allocation d’actifs.

«Il faut donc éviter de réfléchir sur le bienfondé d’un mouvement de marché pour se pencher sur la bonne allocation à long terme du portefeuille.»

En vertu des millions de participants au marché, le cours actuel est le prix correct et il changera si de nouvelles informations émergent. La seule certitude de l’investisseur tient au fait que des surprises se produisent chaque année. Quand elles surviennent, il n’est pas permis de parler de surprise.

Comment les investisseurs réagissent-ils actuellement?

Quatre des cinq meilleures journées de négoce de notre histoire se sont produits cette année. Il apparaît que les investisseurs individuels ont été massivement acheteurs lors de ces séances en particulier aux Etats-Unis. Nous pensons que la raison qui les a amenés à acheter est directement liée à leurs objectifs personnels à long terme. Ils savent qu’ils ont davantage de chance de les atteindre s’ils achètent quand les actions baissent.

Il faut donc éviter de réfléchir sur le bienfondé d’un mouvement de marché pour se pencher sur la bonne allocation à long terme du portefeuille.

Aux Etats-Unis, nous constatons que nos clients achètent des obligations à un rythme encore plus élevé que pour les actions, même si les actions se portent bien.

Avec le vieillissement démographique - 4 millions d’Américains atteignent l’âge de 65 ans chaque année durant la prochaine décennie-, l’allocation change légèrement en faveur des obligations. Cette modeste adaptation n’est en rien liée à la géopolitique ou aux informations du jour. Elle répond aux buts fixés par l’investisseur. On ne peut pas contrôler les marchés mais on peut fixer des objectifs et s’y tenir.

Est-ce une bonne idée pour un retraité d’avoir presque uniquement des obligations, notamment en Suisse où le rendement des titres de la Confédération est proche de 0%?

La Suisse est très particulière. Globalement, nous avons constaté un pic de 18 trillions de dollars avec un rendement obligataire négatif. Aujourd’hui, la courbe des taux est négative jusqu’à cinq ans. L’une des raisons tient à la faiblesse de l’inflation, soit 0,6% en moyenne au cours de la dernière décennie. La Suisse enregistre aussi un modeste déficit budgétaire de 30% du PIB, soit la moitié de celui de l’Allemagne. Ce sont de bonnes nouvelles pour les épargnants suisses. Mais il en résulte un franc historiquement fort. Dans les années 1970, il fallait 4 francs pour un dollar. Le taux est tombé à 0,8 franc. Néanmoins il est utile d’investir hors de Suisse, même en prenant en compte le rendement après l’effet de change. La diversification globale vaut aussi pour l’investisseur suisse. Et à l’inverse d’autres investisseurs occidentaux, le pouvoir d’achat des épargnants suisses ne diminue pas.

Le franc ne perd-il pas son pouvoir d’achat par rapport à l’or?

Le cours de l’or a augmenté d’environ 600% par rapport au franc en 25 ans, contre 1300% par rapport à la livre sterling et au yen, et plus de 1000% face à l’euro et au dollar. Mais l’avenir peut être différent.

Faut-il se limiter à une diversification limitée aux actions et aux obligations?

Chez Vanguard, nous privilégions une diversification composée d’actifs qui produisent un cash-flow, soit des actions et des obligations. D’autres peuvent avoir un autre avis.

La première tâche consiste à encourager les épargnants à investir. En général, la part de cash est excessive. C’est pourquoi nous proposons à l’épargnant qu’il fixe ses objectifs. Ensuite il s’agit de lui montrer comment il peut les atteindre à travers des investissements qui produisent un revenu. En Suisse, le cas est particulier, parce que le cash est mieux protégé contre l’inflation que dans d’autres pays, mais il reste attractif d’investir.

«Le cours de l’or a augmenté d’environ 600% par rapport au franc en 25 ans, contre 1300% par rapport à la livre sterling et au yen, et plus de 1000% face à l’euro et au dollar».

Avec 1 million de francs d’épargne, une inflation limitée à 2% réduit sa valeur à 820’000 francs en dix ans. Or la plupart des banques centrales visent une inflation de 2%. Leur politique implique que l’épargne perd une partie significative de sa valeur en dix ans.

Comment intégrer la dette dans ce calcul, par exemple la dette hypothécaire, sachant qu’en Suisse le rendement obligataire est généralement inférieure au taux hypothécaire?

Généralement, la solution consiste à réduire la dette hypothécaire jusqu’à un niveau psychologiquement satisfaisant pour l’investisseur. Elle est différente pour chaque individu, en fonction de sa tolérance au risque. Le rôle du conseiller prend tout son sens dans ce cas.

Même une hypothèque à taux fixe classique est un instrument difficile à bien comprendre. C’est pourquoi la réponse consiste à réduire trop fortement le niveau de la dette par rapport à la valeur des actifs. L’épargnant n’utilise pas la courbe de coût du capital enseignée à l’université, laquelle amènerait souvent à augmenter la dette hypothécaire.

Quel est le montant de l’excès de cash?

Au Royaume-Uni, l’excès de cash atteint 350 milliards de livres sterling (385 milliards de francs), selon les dernières statistiques. Cela tient à la valeur émotionnelle du cash. L’individu a besoin de nombreux mois de cash en dépôt pour les cas d’urgence. Il apparaît aussi qu’un Family office moyen conserve également beaucoup de cash, proche de 25%, mais la raison est à chercher dans les besoins du private equity (appels de fonds). Le niveau correct de cash dépend de la situation professionnelle de l’individu, laquelle peut-être plus ou moins sûre.

Qu’en est-il de l’excès de cash en Europe?

Une étude menée par Vanguard aux Etats-Unis montre que «l’épargne de précaution est le facteur le plus déterminant du bien-être financier. Nos recherches révèlent que le fait de disposer d’au moins 2000 dollars d’épargne d’urgence est associé à un niveau de bien-être financier supérieur de 21% par rapport à l’absence totale d’épargne. Disposer, en plus de ce montant initial, de trois à six mois de dépenses courantes permet d’augmenter ce bien-être de 13% supplémentaires, même après prise en compte du revenu, du type d’endettement et des actifs financiers.»

Il ressort toutefois que le cash a tendance à sous-performer les obligations et les actions sur le long terme.

Le cash reste pourtant essentiel comme épargne de précaution et source de réduction du stress financier.

Tout repose ensuite sur la tolérance au risque propre à chaque individu, au-delà du niveau d’urgence.

La meilleure allocation d’actifs est celle que l’investisseur pourra maintenir dans le temps. C’est là tout le rôle du conseiller : aider les investisseurs à rester investis, pour leur permettre de capter le rendement des marchés.

Est-ce que les actifs cryptos représentent une source de diversification attractive à vos yeux?

Salim Ramji, notre CEO, vient de répondre à cette question en disant que Vanguard préfère les investissements qui produisent un cash-flow. Nous n’avons donc pas d’allocation en or ni en cryptos.

Vous êtes partiellement un gérant actif. Etes-vous en ce moment en train d’augmenter la prise de risque ou de la réduire?

Sur les plus de 10 trillions de dollars que nous investissons pour des tiers, environ 2 trillions portent sur la gestion active. Cela nous place au troisième rang au plan mondial. Nous gérons nous-mêmes la part obligataire et nous déléguons la gestion des actions à des partenaires. Nous ne réfléchissons pas en termes de risk-off ou risk-on. Les capitaux sont parfois investis en titres Value, d’autres Croissance.

Nous gérons avec un grand succès, ce qui signifie une surperformance de quelques points de base par rapport à l’indice. Cela tient aux talents des équipes, aux faibles coûts et à la patience.

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