Marchés émergents: désynchronisation!

Zouhoure Bousbih, Ostrum AM

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La prudence des Banques centrales des pays émergents devrait maintenir le différentiel de taux d’intérêt attractif.

© Keystone

Malgré le resserrement agressif de la politique monétaire de la Fed, la plupart des devises des marchés émergents ont bien résisté. Ainsi, le réal brésilien ou encore le peso mexicain ont enregistré depuis le début de l’année des performances de plus de 8% et de 11% par rapport au dollar! Vers un changement de paradigme pour les marchés émergents?

Les leçons du passé…

Historiquement, l’inflation élevée et les tensions financières ont toujours évolué en tandem pour les marchés émergents. Les crises ont été particulièrement nombreuses durant les années 1980 et 1990, marquées par l’hyperinflation en Amérique latine. On peut par ailleurs noter la coïncidence des trois crises: souveraine, bancaire et de change. En effet, les grandes crises financières sont souvent caractérisées par un cercle vicieux, entre le bilan du souverain et celui des entreprises. Dans ce cas, l’instabilité budgétaire et financière se renforcent mutuellement, le secteur bancaire subit des pertes sur ses avoirs en emprunts d’État, tandis que le gouvernement doit renforcer le système bancaire défaillant. En retour, ces crises budgétaire et financière affaiblissent la devise, exacerbant la situation. Cependant, le nombre de crises financières, notamment dans les pays émergents, s’est considérablement réduit à partir des années 2000, reflétant le renforcement du cadre institutionnel dans ces pays. Cette fois-ci, l’inflation élevée dans les pays émergents ne s’est pas traduite par des tensions financières comme par le passé.

Les Banques centrales des pays émergents ont bien géré les pressions politiques, à l’image de la Banque centrale du Brésil (BACEN) qui a résisté aux pressions de Lula.
…ont porté leurs fruits!

Pour la première fois, l’inflation dans les pays émergents est inférieure à celle des pays développés et baisse plus rapidement. Au Brésil, l’inflation (3,9% en mai) a déjà convergé bien en deçà de la cible de la Banque centrale brésilienne de 4,5%. Idem pour l’Indonésie et la Thaïlande qui ont réussi à faire converger leur taux d’inflation dans la bande cible de leurs Banques centrales.

Cette baisse rapide de l’inflation s’explique par la réactivité des Banques centrales des pays émergents qui ont amorcé leurs cycles de hausses de taux dès mars 2021, c’est-à-dire avant la Fed.

Ce sont les Banques centrales d’Amérique latine qui ont été les premières à relever leurs taux directeurs et de manière agressive. Leur passé d’hyperinflation leur a permis de bien anticiper le cycle de taux d’intérêt élevés.

Par ailleurs, les Banques centrales des pays émergents ont bien géré les pressions politiques, à l’image de la Banque centrale du Brésil (BACEN) qui a résisté aux pressions de Lula, ce dernier souhaite une baisse du taux Selic, afin de soutenir la croissance du pays.

La BACEN avait ainsi maintenu son biais restrictif, à cause de l’incertitude sur la politique budgétaire du nouveau gouvernement, craignant une hausse des dépenses publiques et une baisse des recettes fiscales pouvant alimenter des pressions inflationnistes. La coordination entre les autorités monétaires et budgétaires a également permis aux Banques centrales des pays émergents de lutter efficacement contre l’inflation.

De nombreuses Banques centrales des pays émergents n’ont plus besoin d’attendre la fin du cycle de hausses de taux de la Fed pour commencer leur cycle de baisses de taux d’intérêt. À l’image de la Banque centrale de Hongrie qui a déjà commencé à baisser son principal taux directeur à 16%, le taux le plus élevé de l’Union européenne, en indiquant d’autres baisses de taux pour les prochains mois.

Les Banques centrales d’Amérique latine sont également bien positionnées pour amorcer leur cycle d’assouplissement monétaire. Les deux Banques centrales du Brésil et du Chili devraient être les premières à baisser leurs taux.

Au Chili, le taux d’intérêt swap à 1 an est revenu sur ses niveaux d’avril 2022 à 8,4% (le taux directeur actuel est de 11,25%). La Banque centrale du Chili a clairement évoqué le début de baisse de ses taux d’intérêt. Les hausses de taux agressives ont pénalisé l’activité économique chilienne qui n’a pas profité de la réouverture de la Chine à travers la hausse des cours du cuivre. La Banque centrale du Chili a également indiqué vouloir restituer ses réserves de change qui ont atteint près de 4 milliards de dollars, soit 11,5% du PIB, le ratio le plus faible en comparaison des autres pays d’Amérique latine. Le but est de les augmenter de 25 % à 10 milliards de dollars. L’appréciation du peso reflète l’amélioration des termes de l’échange et la Banque centrale du Chili est à l’aise avec le niveau de parité actuel autour des 800.

Les marchés émergents ont appris des leçons du passé et se trouvent en pole position pour amorcer leur cycle de baisses de taux d’intérêt. La dette souveraine locale devrait donc continuer à surperformer la dette des pays avancés. L’Amérique latine, qui a commencé à relever ses taux directeurs dès mars 2021, reste la mieux positionnée. Il faut privilégier la dette souveraine locale de la région, comme le Brésil et le Mexique, par rapport aux pays d’Europe de l’Est dont le processus de désinflation est plus lent. Le principal risque est la valorisation qui est déjà tendue. Cependant, la prudence des Banques centrales des pays émergents devrait maintenir le différentiel de taux d’intérêt attractif, continuant à bénéficier aux stratégies de portage.

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