Le yuan numérique, exemple pour l’Occident?

Alexandre Stachtchenko & Stanislas Barthélémi, Blockchain Partner by KPMG

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Chronique blockchain. Plus de contrôle et moins de confidentialité? La facture pourrait être salée avec les MNBC.

La semaine dernière, un groupe de travail de la Banque centrale chinoise (PBOC) a sorti un compte-rendu donnant plus de détails sur la genèse et l’ambition du yuan numérique, en cours de déploiement en Chine.

Plusieurs constatations sont à faire à la lecture du document: 

  • D’un point de vue technique, pour l’instant, il n’y a aucun lien avec les blockchains (publiques), si ce n’est le vocabulaire, et en particulier les «smart contracts», terme consacré décrivant la possibilité de rendre les actifs de valeur programmables. 
  • Le groupe rejette les cryptomonnaies classiques, usant de l’inépuisable triptyque de poncifs: il n’y a pas de valeur fondamentale, Bitcoin détruit l’environnement, et il favorise le financement d’activités illicites
  • La gestion du e-CNY sera centralisée et à la main de la Banque centrale chinoise 
  • Il est positionné comme potentiel substitut du cash physique ainsi que comme outil de commerce international

La Chine a en effet déjà réalisé plusieurs expérimentations sur ce sujet, et possède un terreau fertile pour l’essor du e-CNY avec les moyens de paiement numérique existants (Wechat compte 1,2 milliard d’utilisateurs, et 900 millions pour sa solution de paiement WeChat Pay). La population étant déjà habituée, le déploiement peut être rapide, d'autant plus avec un Etat fort, construit autour de Xi Jinping, président à vie de la Chine. 

Le e-CNY pourrait être conçu par les stratèges chinois
comme la monnaie du continent eurasien.

D’un point de vue géopolitique, cela constitue une manœuvre habile pour tenter de crédibiliser l’accès au yuan au niveau mondial et particulièrement pour les paiements transfrontaliers, ambition exprimée sans équivoque dans le document et faisant écho à la stratégie des Nouvelles Routes de la Soie. 

Ce choix pourrait simplifier les échanges de par l'interopérabilité du futur yuan avec le système existant et donc d’autres monnaies en attendant leur éventuelle version numérique. Le e-CNY pourrait être conçu par les stratèges chinois comme la monnaie du continent eurasien dans un contexte où le continent échange plus avec la Chine que les USA comme l’illustre très bien l’infographie publiée par The Economist

La Chine poursuit donc sa politique isolationniste dans le monde numérique: avec leur Internet, leurs GAFAM (les BATX), leur monnaie numérique. Ce n’est pas vraiment une surprise de ce côté-là, et cela s’inscrit dans la tendance de contrôle qui avait déjà été particulièrement mise en avant au moment des annonces autour du crédit social, accordant des avantages aux citoyens qui se comporteraient «bien». 

Concernant la substitution au cash physique, en réalité, ce ne sera pas un substitut neutre. Bien que la Chine annonce garantir l’anonymat sur les transactions de faibles valeurs, ce que les chinois perdront dans la transition, c’est très probablement un vrai bastion de liberté monétaire: la capacité à dépenser de l’argent de manière anonyme dans des biens et services de leur choix. 

Il est urgent de définir ce qu’est une monnaie numérique
de banque centrale pour les pays européens.

Côté européen, il y a une vraie tentation de reproduire ce modèle chinois. En effet, dans le cadre des discussions autour de l’euro numérique, certains indices ne trompent pas: par exemple le peu d’importance accordé à la confidentialité, malgré le plébiscite des citoyens européens sur l’importance cette question, ou encore la tentation de la gestion de cet euro numérique via un registre centralisé, comme le rappelait il y a quelques jours Fabio Panetta, membre du directoire de la BCE. 

Il est urgent de définir ce qu’est une monnaie numérique de banque centrale pour les pays européens alors que les expérimentations vont bon train, notamment entre la France et la Suisse très récemment encore pour un paiement transfrontalier. Quelle confidentialité? Quelles modalités? Encore beaucoup de questions, pour peu de réponses. «Quand c’est flou…»

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