Le Salvador, nouveau tournant pour Bitcoin

Alexandre Stachtchenko & Stanislas Barthélémi, Blockchain Partner by KPMG

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Chronique blockchain. Le Salvador entre dans la danse avec le vote d’une loi consacrant Bitcoin comme une monnaie ayant cours légal.

Dans des moments de volatilité intense, le Salvador a décidé avec une célérité extraordinaire de faire de Bitcoin une monnaie ayant cours légal. Cela permet d’aborder Bitcoin non pas sous la perspective des fluctuations de son prix mais pour ce qu’il est: Un actif protéiforme pouvant être une monnaie, un étalon, de l’or numérique et un outil géopolitique au service de la souveraineté et de résistance à la censure, etc…

Cette volonté émanant du président du Salvador Nayib Bukele a été concrétisée dès le lendemain par un vote du parlement.

Le texte de loi s'appuie sur le triptyque suivant:

  • Les biens et les services pourront être libellés en bitcoins
  • Les impôts peuvent être payés en bitcoins
  • Le Bitcoin ne pourra pas être refusé par les agents économiques

Pour accompagner ce mouvement, le pays va faire l’acquisition de 150 millions de dollars pour financer un fond bitcoin, aider à la liquidité et in fine assister les agents économiques dans ce mouvement.

Les implications géostratégiques d’une telle décision ne sont pas à minorer.

Le dollar demeure également une monnaie ayant cours légal au Salvador. Cependant, les implications géostratégiques d’une telle décision ne sont pas à minorer.

Trois considérations peuvent expliquer ce pari:

  • Une volonté de réduire la dépendance au dollar et donc asseoir la souveraineté vis à vis d’une politique monétaire subie (encore plus dans la phase expansionniste actuelle)
  • Le souhait d’apporter une solution à la non-bancarisation à hauteur de 70% de la population
  • Attirer des sociétés et particuliers pouvant contribuer à une augmentation du PIB

Techniquement, la solution retenue est d’utiliser le Lightning Network, solution de couche secondaire permettant, au prix d’un compromis entre sécurité et scalabilité, de réaliser des micropaiements à des frais de l’ordre du millième de dollar. La société Strike a réalisé un travail de lobbying en ce sens. La solution est déjà utilisée à El Zonte, petite ville du pays de 3000 habitants ou des milliers de transactions ont déjà eu lieu.

D’autres pays d’Amérique Latine ou du Sud s'intéressent à ce choix de la part du Salvador, laboratoire à ciel ouvert.  

Ainsi, des personnalités publiques émaillant le continent ont déclaré vouloir proposer la même chose pour le Paraguay, le Panama, un état du Brésil ou encore au Mexique. Les pays intéressés de prime abord sont ceux qui ont des caractéristiques similaires au Salvador à savoir: une faible bancarisation de la population, une forte dépendance à l’envoi d’argent des diasporas (25% du PIB Salvadorien), et l’absence de monnaie propre ou un monnaie faible (relativement aux autres).

Outre les réactions de personnalités politiques, les institutions internationales ont offert 3 nuances de réactions:

  • La CABEI (Central American Bank for Economic Integration) a qualifié de bonne nouvelle ce choix et a offert son assistance dans la conduite de cette politique
  • Benoît Coeuré au nom de la Banque Internationale des Règlements (BIR) s’est déclaré intrigué après avoir indiqué quelques mois auparavant que Bitcoin ne pouvait être utilisé comme une monnaie
  • Le FMI par la voix de son porte parole a quant à lui mis l’emphase sur les risques macroéconomiques que pouvait engendrer ce choix
La liste des entreprises ayant subi le courroux des Etats-Unis pour des raisons monétaires s’allonge chaque année.

En parallèle, le président Salvadorien a aussi indiqué que la compagnie publique chargée de la production électrique à partir de l’énergie des volcans devait offrir la possibilité de miner du Bitcoin par ce biais, comme une réponse à la pantomime d’Elon Musk sur ce sujet.

À contre-courant de la pensée économique la plus répandue, considérant l'adoption de Bitcoin comme une hérésie car un abandon de souveraineté monétaire, la décision salvadorienne semble audacieuse d’un point de vue politique et géopolitique. Mais elle se justifie pleinement au regard de la situation économique et politique du Salvador: il est plus intéressant de dépendre d’un étalon mondial et neutre que d’une monnaie étrangère. Ce faisant, le Salvador fait d’une pierre deux coups, en offrant au monde entier la possibilité de regarder une expérimentation grandeur nature. Avec cela, le discours consistant à refuser à Bitcoin la qualité de monnaie prend un coup de boutoir: dorénavant, au moins un pays du monde lui offre ce statut officiel. Reste à observer à moyen et long terme quelles seront les réactions des autres pays, et en particulier celle des Etats-Unis, dont l’hégémonie monétaire commence à se fissurer partout sur la planète.

En Europe, bien que les monnaies soient plus stables et fortes, certaines des motivations salvadoriennes sont cependant à considérer sérieusement. De BNP à Alstom, la liste des entreprises ayant subi le courroux des Etats-Unis pour des raisons monétaires s’allonge chaque année. L’adoption de Bitcoin comme monnaie ou étalon officiel permettrait de préserver les intérêts économiques et défendre nos entreprises contre les sanctions liées à l’extraterritorialité.

Il peut être intéressant pour les Etats du monde de réfléchir à un nouveau Bretton-Woods, une sorte de «Bitcoin Woods», afin de garantir une meilleure égalité et stabilité devant le sujet monétaire pour tout le monde.

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