Bitcoin: un investissement responsable?

Yves Longchamp, SEBA Bank

3 minutes de lecture

Chronique blockchain. Les cryptodevises respectent-elles les critères ESG où sont-elles des investissements irresponsables?

ESG pour Environment, Social and Governance, en anglais dans le texte, sont trois lettres qui gagnent en importance dans les investissements. Les cryptodevises, et en particulier le bitcoin, respectent-elles les critères ESG où sont-elles des investissements irresponsables?

Environnement

Avec son mécanisme de consensus «Proof-of-Work» (PoW), qui consomme beaucoup d'énergie, le bitcoin est souvent critiqué pour utiliser autant d'énergie qu’un pays. Selon le site internet Digiconomist, la dépense énergétique équivaut à celle de la Finlande. Une seule transaction en bitcoin est équivalente à près de 60’000 heures de visionnage de YouTube ou à plus de 800’000 transactions VISA.

YouTube est plus amusant et moins énergivore que le bitcoin. A titre de comparaison, plus d'un milliard d'heures de vidéo YouTube sont consommées chaque jour, soit une dépense énergétique d'environ 17’000 transactions bitcoins (notez que le réseau Bitcoin exécute environ 310'000 transactions par jour). Selon Wikipedia, la vidéo YouTube la plus regardée est Baby Shark Dance, une vidéo de 2,16 minutes visionnée plus de 8,2 milliards de fois. L'énergie dépensée est d’environ 5’000 transactions. Quelle énergie est la mieux dépensée?

Une escapade découverte n’est pas justifiable
alors que la visite d’un proche malade l’est.

La question que l'on doit se poser est de savoir si l'énergie dépensée a du sens, si le coût environnemental est justifié.

Imaginez qu’une de vos connaissances prenne l’avion pour un voyage de deux jours dans une ville européenne. Imaginez que cette personne le fasse pour différentes raisons:

  1. Escapade découverte;
  2. Voyage d’affaire;
  3. Visite d’un proche malade.

Quelle dépense énergétique est-elle justifiée? La réponse environnementale est simple: aucune. La seule bonne réponse est d’y aller en train.

Toutefois, à la lecture des trois raisons énumérées ci-dessus, notre cerveau les classe automatiquement dans un ordre précis. Une escapade découverte n’est pas justifiable alors que la visite d’un proche malade l’est.

Cela signifie que la justification des dépenses énergétiques est étroitement liée à des valeurs morales et sociétales. La question est donc de se demander si la dépense énergétique du bitcoin est justifiée.

Avant de répondre à cette question, il est bon de comparer ce qui est comparable. Digiconomist affirme que le coût énergétique de chaque transaction en bitcoins équivaut à environ 800'000 transactions VISA – ce qui est à la fois correct et trompeur. Selon le rapport de VISA sur la responsabilité d'entreprise et le développement durable, les dépenses d'électricité couvrent les activités de type 1 et 2 de la société de paiements, englobant les coûts directs et indirects des activités. Ce qui manque dans le calcul, ce sont les émissions de type 3, qui incluent les «autres dépenses indirectes» d'énergie, principalement non-électriques, comme les déplacements quotidiens des 20’000 employés de VISA qui se rendent au travail et les voyages d'affaires par exemple. Ces dépenses n’existent pas pour la blockchain Bitcoin.

Le Bitcoin utilise une quantité importante d’énergie,
mais ce n’est pas vrai pour les autres blockchains.

Lorsque l’on prend ces trois types de dépenses énergétiques, on note que l'empreinte carbone totale de VISA dépasse les 586’000 tonnes d'équivalent CO2 (MTCO2e) alors que pour la blockchain Bitcoin la valeur est 41,4 MTCO2e selon Digiconomist, soit 14’000 fois moins.

Qu’en est-il des autres blockchains? Ethereum, la deuxième plus importante blockchain n’utilise qu’un douzième de l'énergie du Bitcoin, toujours selon Digiconomist. Ethereum est en pleine mutation, elle passe d’un consensus de type Proof-of-Work à un consensus de type Proof-of-Stake (voir la chronique blockchain du 19 juin 2020). Lorsque cette mue sera terminée, Ethereum devrait gérer jusqu’à 100'000 transactions par seconde (bien plus que VISA ne peut le faire) et réduire sa consommation énergétique de 99% (!).

Le Bitcoin utilise une quantité importante d’énergie, mais ce n’est pas vrai pour les autres blockchains, en particulier celles qui utilisent le consensus Proof-of-Stake.

Social

Après l'environnement, les questions sociales prennent de plus en plus d'importance. Selon l'institut CFA, on trouve dans cette catégorie: la satisfaction des clients, la protection des données et la confidentialité, le genre et la diversité, les relations avec la communauté, les droits de l'homme et les normes de travail.

En tant que système entièrement décentralisé, le fonctionnement du Bitcoin est au plus proche de la démocratie directe. Il offre un haut degré de protection des données et de la vie privée sans être anonyme et ne juge aucun utilisateur en termes de genre, favorisant ainsi la diversité. Il est inclusif.

Selon le critère social, le Bitcoin, et plus généralement les blockchains décentralisées, offrent un environnement d'investissement attractif et éthique.

Des données récentes montrent qu'à peine 0,34%
des montants échangés sont illicites.
Gouvernance

Toujours selon la définition du CFA institute, la notion de gouvernance comprend quant à elle la composition du conseil d'administration, la structure du comité d'audit, le risque de corruption, la rémunération des dirigeants, le lobbying, les contributions politiques et les dispositifs de dénonciation.

En matière de gouvernance également, le Bitcoin obtient une note élevée. Le «modèle économique de Bitcoin» est tel que chacun est libre de participer ou non au réseau. Chaque participant bénéficie du succès du réseau via l'augmentation de la valeur de la cryptomonnaie qui lui est attachée. La rémunération des dirigeants n'est pas un sujet, il n'y a pas besoin d'audit, et il n'y a pas de conseil d'administration. Enfin, en ce qui concerne la corruption, ou plus largement l'utilisation illicite des bitcoins, des données récentes montrent qu'à peine 0,34% des montants échangés sont illicites.

Bitcoin, un investissement responsable?

Le Bitcoin obtient un excellent score pour les aspects sociaux et de gouvernance alors qu'il est mal classé pour son impact environnemental. Deux des trois critères ESG sont donc remplis. Le Bitcoin n’est ainsi pas étranger à la notion d’investissement responsable.

L’univers crypto et bien plus large que le Bitcoin. De nouveaux projets prometteurs (Lire la chronique Blockchain du 20 novembre 2020) utilisant le consensus Proof-of-Stake sont en train d’émerger. Ceux-ci répondent à la critique environnementale du Bitcoin en proposant des devises respectueuses de l’environnement, soucieuses des aspects sociaux et offrant des standards élevés de gouvernance – En bref: des cryptodevises ESG.

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