La Commission européenne adoptait fin février dernier des propositions visant à simplifier la réglementation en matière de durabilité. Décrites comme le «bûcher» de la bureaucratie environnementale de l’UE, elles réduiraient la portée de certains éléments de la réglementation dans le but d’améliorer la compétitivité de l’UE. Mais ce «bûcher» aura-t-il l’effet escompté?
La simplification porte sur trois des principales règles qui concernent les entreprises1:
- La Directive sur les rapports de développement durable des entreprises (CSRD)
- La Directive sur le devoir de vigilance sur toute la chaîne d’approvisionnement (CS3D)
- La Taxonomie verte européenne
Simplification ou déréglementation
Le projet de simplification suscite un débat intense, le premier point de friction portant sur le calendrier. En effet, à peine entrées en vigueur, la CSRD et la CS3D font déjà l’objet d’un démantèlement. Cette décision politique semble motivée par la stagnation de plusieurs grandes économies européennes. Cependant, même si les entreprises évoquent une perte de compétitivité par rapport à leurs concurrents non européens tels que la Chine et les Etats-Unis où la réglementation ESG est plus souple, il n’existe pas de preuve manifeste de l’impact de cette réglementation sur la compétitivité.
A ce propos, il est important de souligner le fait que les exigences de publication liées à la CSRD sont le fruit de plus de quatre années de discussions entre les parties prenantes et notamment les entreprises. Nombre d’entre elles ont d’ailleurs commencé à mettre en œuvre la directive qui a été transposée dans la réglementation nationale de certains Etats membres comme la Belgique.
Les entreprises sont, dans l’ensemble, conscientes de la nécessité de disposer de données ESG fiables et normalisées, notamment pour ce qui concerne les émissions de CO2 ou de gaz à effet de serre (GES). Cependant, la CSRD étant très prescriptive, se mettre en conformité avec cette directive est onéreux. De plus, le recours à un audit externe, quoiqu’important sur le plan du processus, ajoute encore à ces coûts.
Pour ce qui est du contenu, il existe un consensus en faveur d’une réduction du nombre de points sur lesquels les entreprises sont tenues de communiquer. Mais réduire ce dernier ne se traduirait pas nécessairement par une baisse significative du nombre d’entreprises soumises à la directive. Le projet de simplification porte davantage sur une réduction du périmètre de reporting de cette dernière plutôt que sur son contenu.
Ainsi, près de 80% des entreprises initialement visées par la CSRD seraient dorénavant exemptées de l’obligation d’information. Et les PME, qui devaient rester concernées par la directive, quoiqu’avec des exigences restreintes, seraient désormais exclues. Or, les PME sont essentielles à la croissance de l’Europe et au renforcement de sa compétitivité. Il est donc vital que les capitaux puissent affluer vers ces entreprises, notamment grâce à une meilleure transparence, bénéfique pour les investisseurs. L’objectif de la directive est en effet de fournir à ces derniers les informations nécessaires, il n’est pas de produire une longue liste de critères à satisfaire!
A ce propos, il convient de mentionner la VSME, norme volontaire qui vise à permettre aux PME d’améliorer leurs pratiques en matière de rapports sur le développement durable. La publication de certains de ces indicateurs, définis en fonction des besoins des bailleurs de fonds, pourrait être rendue obligatoire de manière à faciliter l’accès des PME aux flux de capitaux.
Tracasserie administrative ou stratégie?
Toute la question est de savoir comment repositionner l’information ESG pour qu’elle passe de énième contrainte administrative à élément de stratégie. Elle est en effet cruciale pour identifier les risques, notamment ceux découlant des actifs toxiques, ainsi que les nouvelles opportunités. Par ailleurs, abandonner le principe de la double matérialité voudrait dire que l’on se focalise sur la matérialité financière au détriment des impacts environnementaux et sociétaux. Or, la double matérialité est essentielle pour aborder les enjeux à long terme, sur le plan des risques comme sur celui des opportunités.
Dans un monde aux ressources limitées, il paraît difficile d’arriver à gérer la rareté sans recourir à des règles. Et cette gestion sera d’autant plus compliquée que les défis environnementaux auront nécessairement des conséquences sociétales. L’Europe qui est un vaste marché, y compris sur le plan des capitaux, a besoin d’une réglementation qui renforce sa souveraineté et sa compétitivité et qui lui permette de financer la transition énergétique.
Cette réglementation doit favoriser la transparence, car la fiabilité des données et l’amélioration des prévisions permettent d’obtenir de meilleurs résultats. Elle doit posséder une orientation stratégique et être alignée avec les normes définies par le Conseil international des normes de durabilité (ISSB) par souci de simplification et de limitation des coûts.
L’Europe a besoin de davantage d’investissements qui concilient croissance et durabilité. Le monde de la finance et celui des entreprises doivent œuvrer ensemble à une simplification intelligente de la réglementation, c’est-à-dire qui revienne à ses objectifs initiaux tout en favorisant la croissance et la compétitivité de l’Union européenne.
1 La CSRD incite les entreprises à rendre compte de leur impact sur l’environnement et au plan social dans le but de mieux comprendre les interactions entre les entreprises et tout leur environnement. La CS3D impose aux entreprises de s’assurer que leurs activités n’altèrent pas l’environnement et se fassent dans le respect de la Déclaration universelle des droits de l’homme, un devoir de vigilance qui s’appliquera également à toute leur chaîne de valeur. La taxonomie qui est un système de classification pour les activités économiques durables vise à orienter les investissements vers les activités les plus nécessaires à la transition énergétique.