En 2022 et 2023, l’économie européenne a traversé une triple crise: la flambée des prix du gaz, l’inflation galopante et un resserrement monétaire sans précédent de la Banque centrale européenne (BCE). Au début de l’année 2024, un vent d’optimisme soufflait. Les marchés de l’énergie semblaient s’être stabilisés malgré la guerre en Ukraine, l’inflation ralentissait, et certains espéraient que la BCE pourrait enfin alléger sa politique monétaire une fois les prix revenus à des niveaux plus normaux.
Jusqu’à l’été 2024, les données économiques semblaient ainsi encourageantes. Au premier semestre, le PIB réel de la zone euro a augmenté à un rythme annuel de 1%. Après près de deux années de stagnation, cette progression était significative. Mais elle reste en deçà de la tendance pré-pandémie, qui était de 1,9%, et bien inférieure à celle des Etats-Unis, avec 2,2% sur la même période. Cette reprise était néanmoins hétérogènes entre les secteurs. L’industrie manufacturière, traditionnellement moteur des cycles économiques, peine à redémarrer. En revanche, les services bénéficient encore d’un effet de rattrapage post-pandémie, un phénomène par nature temporaire.
Cette reprise présente des déséquilibres. Au cours du premier semestre 2024, la croissance a été principalement tirée par la vigueur des exportations, tandis que la demande des ménages et des entreprises s’est affaiblie. Bien que la confiance des consommateurs se soit améliorée ces derniers trimestres, cela ne s’est pas traduit par une augmentation des dépenses. Au contraire, les ménages continuent à épargner davantage. D’après Eurostat, le taux d’épargne des ménages a atteint 15,7 % de leur revenu disponible à la mi-2024, soit trois points de plus que la normale. Parallèlement, leur taux d’investissement, notamment dans l’immobilier, a chuté.
Par ailleurs, les divergences économiques entre les pays de la zone euro se creusent. L’Europe n’a jamais été un bloc homogène, mais les écarts deviennent préoccupants. Il y a dix ans, les fragilités se concentraient dans les pays du sud, accablés par la dette publique et privée. Aujourd’hui, la situation est inversée. La croissance est robuste en Italie, en Espagne, au Portugal et en Grèce, tandis que les risques économiques se concentrent en Allemagne et en France.
En Allemagne, l’activité économique en 2024 est au même niveau qu’il y a cinq ans, marquant ainsi une décennie perdue. Le modèle allemand, autrefois couronné de succès grâce à son intégration dans le commerce mondial, montre ses limites. Les coûts de production ont augmenté, en grande partie à cause de la crise énergétique, qui a révélé la dépendance excessive du pays au gaz russe. Parallèlement, la Chine, autrefois un important client, est devenue un concurrent redoutable, notamment dans les secteurs tels que les véhicules électriques. Malgré ces défis, l’Allemagne dispose d’une position budgétaire solide, offrant une marge de manœuvre en théorie.
En France, cette marge de manœuvre n’existe pas. La faiblesse des finances publiques n’est pas nouvelle, le dernier excédent budgétaire remontant aux années 1970. Mais la situation s’est aggravée en 2024, avec un déficit budgétaire qui devrait dépasser les 6% du PIB, contre un objectif initial de 4,4%. L’instabilité politique, marquée par des élections anticipées et plusieurs mois sans gouvernement effectif, n’a fait qu’accentuer cette détérioration. Le problème de fond demeure cependant la tendance chronique à des dépenses publiques élevées. Le budget restrictif présenté pour 2025, axé principalement sur des hausses d’impôts, risque d’avoir des répercussions négatives sur la croissance.
L’inflation, qui préoccupait tant la BCE, recule plus vite que prévu. En septembre 2024, elle est tombée sous la barre des 2%, atteignant 1,7%. Les perspectives de prix des entreprises sont également revenues à la normale. Cette désinflation est cruciale pour redonner du pouvoir d’achat aux ménages, qui ont été fortement impactés ces dernières années. A mesure que l’inflation se calme, les ménages pourraient être moins enclins à épargner et davantage disposés à consommer. La baisse des taux annoncée jeudi dernier confirme cette tendance.
Dans ce contexte, la BCE a des raisons de réévaluer sa politique monétaire. En 2023, face à l’inflation persistante, elle avait opté pour une approche très restrictive. Aujourd’hui, avec une inflation sous contrôle, les taux directeurs devraient être plus bas. La BCE a déjà amorcé plusieurs assouplissements cette année et devra continuer dans cette voie pour soutenir les premiers signes de reprise observés sur le marché du crédit. Nous anticipons un taux de dépôt de la BCE à 3% fin 2024 et à 2,5% mi-2025.