En manque de bras

Valérie Plagnol, Vision & Perspectives

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Le rebond de l’emploi aux Etats-Unis reflète-t-il vraiment l’état général du marché du travail?

Le rebond du marché de l’emploi aux Etats-Unis a été spectaculaire. Et pourtant il ne satisfait personne. Ou presque. En quelques mois seulement, la reprise économique a permis la création de millions d’emploi, et le retour du taux de chômage sous le seuil de 6% dès le mois de mai, alors qu’il culminait à plus de 15% un an plus tôt. La structure du marché du travail, l’absence de mesures de chômage partiel, ont induit un tel sursaut, puis son dégonflement, alors que l’Etat Fédéral et les autorités locales soutenaient les ménages grâce à la distribution de chèques complémentaires aux revenus, et aux prolongations des périodes de couverture du chômage.  Au point de menacer la souplesse du marché du travail Outre-Atlantique ? Certains le pensent déjà et en font grief à la nouvelle Administration.

Le Beige book de la Réserve Fédérale, document préparatoire de sa réunion de politique monétaire des 15 et 16 juin prochains, rapporte que certains secteurs peinent à recruter. C’est le cas notamment de l’hôtellerie et de la restauration, comme des transports routiers (ce dernier secteur connaissait déjà une pénurie avant la pandémie). Les emplois plus qualifiés dans le commerce manquent également à l’appel. Le secteur manufacturier serait même en passe de devoir réduire la production, faute d’embauches. Les primes à l’emploi se multiplient, les hausses de salaires minimum également et poussent les prix face à une demande toujours pressante.

La situation est similaire en Europe où les questions du retour à l’emploi se posent également.

La crainte de la pandémie, ou ses conséquences encore perceptibles, mais surtout la prolongation des aides au chômage, seraient responsables de ces manques, et si certains Etats – à majorité républicaine – les ont d’ores et déjà limitées, la moitié d’entre eux les poursuivront jusqu’en juillet, permettant, selon les observateurs, aux employés les moins qualifiés d’arbitrer entre emploi et indemnités.

Pourtant d’autres phénomènes sont à l’œuvre. Ainsi le vieillissement de la population fait « sortir » du marché du travail les générations de boomers, qui n’y reviendront plus, tandis que les nouvelles entrées sur le marché s’amoindrissent. Ainsi le taux de participation de la population active américaine est-il tombé à 61,4%, contre 63,5% avant la pandémie – un seuil déjà faible comparé aux années d’avant la crise des subprime.

La situation semble assez similaire en Europe, où le taux de chômage n’a certes pas explosé au printemps dernier, grâce aux mesures de préservation d’emploi et de chômage partiel, mais où les questions du retour à l’emploi et de la flexibilité du marché du travail se posent également.

Sans doute, le rebond de l’emploi témoigne du caractère particulier de la récession actuelle, liée au choc de la pandémie, et à l’ampleur des interventions publiques pour y faire face.

Les succès récents en matière de coopération fiscale semblent bien modestes, sinon hors de propos.

Pour autant, il ne s’agit pas là d’un phénomène général, ni pour les secteurs d’activités ni dans tous les pays. L’image projetée d’Amérique, aussi puissante et influente soit-elle sur les marchés, n’est pas toute la réalité, qui s’avère bien plus contrastée. Selon le BIT1, dans son dernier rapport, la crise de la Covid a eu des conséquences dramatiques sur l’emploi et continue de peser sur les régions encore mal couvertes par la vaccination notamment, et dont les populations sont bien moins protégées. Ainsi, de nombreux travailleurs saisonniers et migrants n’ont pu traverser les frontières. Les femmes ont été particulièrement touchées, comme les plus jeunes au sortir de l’école. Les travailleurs dits informels (plus de 2 milliards de personnes selon l’Organisation) ont été trois fois plus touchés et laissés sans grand secours de par le monde. Selon l’Institution, le déficit d’emplois sera encore de 75 millions cette année et 23 millions l’an prochain. Emplois et compétences perdus, faible productivité des postes retrouvés, pertes de revenus pour les plus modestes, le BIT trace le tableau d’un après-pandémie où les inégalités se sont accrues, et où l’inadéquation de l’offre et de la demande comme la persistance d’un chômage élevé pourraient entraîner d’importantes tensions sociales.

A l’aune de ces nouvelles urgences, les succès récents en matière de coopération fiscale semblent bien modestes, sinon hors de propos. Le rééquilibrage des marchés mondiaux du travail passera par l’aide globale, notamment en matière d’éducation, mais également par la réouverture des frontières.

 

1 BIT, Bureau International du Travail.

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