La course au brevet… de générosité

Valérie Plagnol, Vision & Perspectives

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La levée temporaire des protections des brevets des vaccins anti-Covid fait peur aux marchés, sans convaincre de son efficacité.

En prenant parti en faveur de la levée – temporaire – des protections sur les brevets des vaccins anti-covid, le Président Joe Biden avait-il en tête le généreux docteur Salk ? Découvreur du vaccin contre la polio, il refusa de faire breveter son invention - pour un manque à gagner, estimé à plusieurs milliards de dollars de l’époque -  et en fit don au monde afin d’éradiquer ce mal.

Cette saga, exemplaire à bien des égards, peut-elle contribuer à éclairer le débat présent et permettre d’apprécier si cette option serait effectivement le meilleur moyen d’accélérer la diffusion de la vaccination contre la pandémie actuelle. Rien n’est moins sûr.

Depuis l’automne dernier déjà, l’Inde et l’Afrique du Sud, soutenues par de nombreuses ONG, ont fait valoir que la diffusion à grande échelle et à bas coût des nouveaux vaccins, serait la seule solution pour faire reculer la pandémie. Cette levée des brevets serait d’autant plus légitime que les travaux des laboratoires concernés ont été largement subventionnés par les Etats et sont le fruit de recherches académiques – qu’ils n’auraient donc pas directement financées. De même, le faible nombre de producteurs aurait favorisé une course à l’approvisionnement que seuls les pays ayant les moyens de payer pouvaient emporter. Et de rappeler que la levée partielle des droits sur les traitements contre le HIV a permis d’en faire baisser le prix.

Pour les défenseurs de la propriété intellectuelle des vaccins,
la levée des brevets créerait un précédent fâcheux et contreproductif.

Pour les défenseurs de la propriété intellectuelle des vaccins – les grands de la pharma évidemment soutenus par des pays producteurs, mais pas seulement - la pandémie ne justifierait pas de tels changements dans les règles commerciales internationales, qui créeraient un précédent fâcheux et contreproductif. Leurs arguments ne sont pas moins recevables. Pour ceux-là, la question tient moins à la propriété des brevets qu’à la capacité de production effective et au contrôle des processus industriels de fabrication. Le manque de matières premières, et de fournitures, déjà ressenti en amont des chaînes de production, ne pourrait que s’accentuer. La course aux composants, le risque de contrefaçons, n’aboutiraient qu’à des hausses de prix et une perte de confiance durable dans les produits.

Enfin, la levée de secrets technologiques de telle importance, n’aurait pour effet que de décourager toute innovation et, pour les Etats-Unis notamment, de céder à bon compte un pan entier de son leadership dans ce domaine. En Amérique, la course effrénée à la fabrication du vaccin contre la polio fit en son temps des victimes en nombre, du fait de la défectuosité de certains des produits inoculés[1], ce qui retarda la campagne de vaccination dans tout le pays. Aujourd’hui, les grands laboratoires signent des accords de production dans plusieurs pays, avec lesquels ils entendent déployer leurs capacités de production.

La montée en charge du programme Covax sous
l’égide de l’OMS devrait certainement être la priorité de tous.

Menace d’inefficacité contre urgence sanitaire, les prises de position, aussi généreuses soient-elles ne sont pas toujours sans arrière-pensées et tous les pays ne sont pas logés à la même enseigne. L’Inde, confrontée aux ravages d’une nouvelle vague pandémique, dispose pour sa part de capacités de production importantes et éprouvées qui lui permettraient de s’imposer sur les marchés des génériques. Ne joue-t-elle pas désormais un rôle central dans la stratégie de contre-mesures face à la Chine en Asie comme en Afrique ?

En attendant qu’un accord soit trouvé, la montée en charge du programme Covax sous l’égide de l’OMS devrait certainement être la priorité de tous.

[1] Affaire des laboratoires Cutter

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