Au pays du Tourisme Levant

Valérie Plagnol, Vision & Perspectives

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La Covid aura-t-elle raison de la stratégie d'expansion du tourisme au Japon, voulue par ses gouvernants?

A cent jours de l’ouverture, les jeux d’Eté de Tôkyô s’annoncent bien mal. La pandémie fait de nouvelles victimes – certes très en-deçà des chiffres européens ou américains – contraignant les autorités de la capitale et celles des régions d’Osaka et de Kyôto à prendre de nouvelles mesures de confinement, au risque de sacrifier la sacro-sainte «golden week», traditionnelle semaine de vacances fin avril-début mai. Cela sera-t-il suffisant pour écarter tout risque? Rien n’est moins sûr, alors que certains spécialistes virologues prédisent une catastrophe sanitaire. Même placés sous bulle sanitaire – mais comment y seront-ils admis? – les quelques 60’000 athlètes, entraîneurs et autres journalistes, venus de tous les coins de la terre, fourniraient un formidable bouillon de culture, duquel s’échapperaient nécessairement le virus et ses variants (connus ou pas), non seulement au Japon même, mais encore dans le reste du monde, lors du retour dans leurs patries respectives.

Devant de telles menaces, il est aisé de comprendre la réticence des Japonais qui, à près 40% désormais1, souhaitent voir l’évènement purement et simplement annulé. Déjà compromis par le report d’une année, puis entachés par les polémiques et les scandales, interdits aux touristes étrangers, les JO 2021, s’annoncent comme un retentissant fiasco médiatique et commercial; tel un revers dramatique de ceux de 1964, qui marquèrent la renaissance du Japon et son retour sur la scène internationale.

Le secteur du tourisme n’est pas qu’un contributeur économique, mais le vecteur d’une intégration culturelle et identitaire dans la dynamique régionale.

Le Japon, pays du miracle de la reconstruction d’après-guerre, troisième puissance économique du monde et reconverti depuis trente ans au tourisme tant culturel que de masse, semble hésitant face à la calamité pandémique. Ainsi, la campagne vaccinale commence à peine au Pays du Soleil Levant, avec à peine 1,5% de sa population inoculée. L’annonce du rejet d’un million de mètres cubes d’eau décontaminée dans l’océan, 10 ans après la catastrophe de Fukushima, marque un nouveau revers de réputation pour le pays, et une cause de tensions avec ses voisins, tandis que le LDP2 au pouvoir de Yoshihide Suga, voit ses soutiens s’effriter aux élections partielles.

En 2020, l’économie japonaise a reculé de 4,8%, et ne devrait rebondir que d’un peu plus de 3% cette année, selon les prévisions du FMI3. Les indicateurs avancés signalent encore une reprise médiocre et disparate, tirée par les segments manufacturiers liés à la reprise mondiale et aux technologies.

Allié indéfectible des Etats-Unis, le Japon, leur tête de pont stratégique en Asie-Pacifique, n’en est pas moins devenu le modèle culturel et gastronomique et l’une des destinations favorites d’un nombre croissants de touristes, venus d’Asie et du reste du monde. Destination confidentielle et considérée comme inabordable il y a peu, le Japon a reçu plus de 31 millions de visiteurs en 2019 – 10 fois plus qu’en 1999. Le gouvernement Abe tablait même sur un doublement pour 2030. Remarquable mutation du pays du Soleil Levant, où le secteur du tourisme n’est pas qu’un contributeur économique, mais le vecteur d’une intégration culturelle et identitaire dans la dynamique régionale. Au service d’une grande puissance d’influence donc, mais de ce fait soumise aux aléas de relations diplomatiques encore difficiles avec ses voisins. Ce fut le cas notamment en 2018, lors du boycott du pays par les touristes coréens. De plus, le Japon a longtemps maintenu des conditions de visa strictes, de peur de voir gonfler le nombre de migrants clandestins sur son sol.

Un tourisme «déconcentré» au-delà des 3 grandes capitales du pays (Tôkyô, Kyôto et Osaka), favoriserait certainement la mise en valeur de ses attraits.

Ces 15 dernières années, une politique active de promotion du tourisme s’est attachée à lever les obstacles matériels, économiques et organisationnels qui rendaient les visites du pays difficiles (visas, coût et encombrement des transports, adaptation à l’anglais, compatibilité des modes de paiements, conditions de détaxe, télécom etc.). Comme partout, la pandémie a mis un coup d’arrêt brutal à ce développement.

Marqué dans son histoire par de longues alternances entre ouverture et isolement, on peut craindre que cette douloureuse interruption – comme l’impact économique et financier des Jeux Olympiques – ne fasse retomber le Japon dans une nouvelle période de repli sur soi. Un tourisme «déconcentré» au-delà des 3 grandes capitales du pays (Tôkyô, Kyôto et Osaka), favoriserait certainement la mise en valeur de ses attraits.

Pour y avoir débuté ma carrière et appris à connaître cette destination alors encore un peu énigmatique, j’attends avec impatience de pouvoir m’y retrouver.

 

1 Sondage de l’agence Kyodo, réalisé mi-avril.
2 LDP, Parti Libéral Démocrate

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