T’as pas un bitcoin?

Valérie Plagnol, Vision & Perspectives

2 minutes de lecture

Difficile d’ignorer un gain de plus de 20000% en moins de six ans. Avec l'IPO de Coinbase, l’univers des cryptoactifs se structure.

En 2015, curieuse de l’enthousiasme d’un de mes confrères pour le bitcoin, je lui ai remis un euro avec lequel il m’a vendu une fraction correspondante de ses bitcoins, et j’ai ouvert un compte sur Coinbase. Application parmi d’autres sur mon portable, elle n’était certainement pas celle que je consultais le plus. Du moins jusqu’aux derniers mois de 2017, où le Bitcoin a connu sa première envolée, pour retomber dès le début de 2018, dans un mouvement de marché ressemblant en tous points à la spéculation de la South Sea Company, celle-là même qui fit la fortune, puis la ruine du grand Isaac Newton.

Aussi éphémère soit-il, ce premier emballement méritait tout de même que l’on s’intéresse à ce curieux actif, venu du monde virtuel mais aux fondements pourtant enracinés dans le réel. D’autant que se formait dans son sillage toute une galaxie de nouveaux actifs crypto, monnaies et tokens qui rencontraient un certain appétit, notamment parmi les jeunes générations. La nouvelle flambée de son prix depuis la fin de 2020, repose à nouveau cette lancinante interrogation: le bitcoin serait-il la plus fantastique escroquerie de tous les temps, ou bien le signe avant-coureur d’un nouvel ordre monétaire mondial – qui mettrait fin aux supposés désordres de l’actuel? Plus encore, est-il le symbole de la disqualification des anciennes générations – dont je fais partie –  face aux «digital natives»? A l’heure où l’on s’arrache aux enchères des œuvres d’art virtuelles, la question mérite d’être sérieusement examinée.

Bien que son histoire soit émaillée de vols et autres scandales,
le bitcoin est impossible à falsifier.

C’est en 2008 que naît le bitcoin. Construit pour l’affranchir des débordements et manipulations monétaires des Etats, rare et précieux, décentralisé et fondé sur la blockchain, cet actif/protocole est garanti par la communauté des utilisateurs. Son coût de transfert sur le web est quasi-nul autant que ses transactions sont sûres. Les navigateurs du «darkweb» ne s’y sont pas trompés. De même, ses plus fervents adeptes se recrutent dans les pays où les monnaies sont les plus fragiles et les moins fiables.

Le bitcoin s’apparenterait donc bien à de l’or digital, répondant aux même lois économiques que le métal précieux, notamment celle de la rareté infalsifiable ou «unforgeable scarcity». Le bitcoin coûte cher à produire (son minage consomme énormément d’électricité). Bien que son histoire soit émaillée de vols et autres scandales, il est impossible à falsifier. C’est en cela qu’il se distingue de la monnaie scripturale, dont la référence à l’or s’est écartée depuis longtemps, ou même des autres cryptoactifs qui n’ont pas de plafond de production prédéfini. Déjà, les bitcoins en circulation approcheraient le tiers de la valeur totale de l’or du monde. Sa rareté fait donc sa force.

C’est sur ces caractéristiques communes, que s’appuie l’analyse en stock sur flux. Selon celle-ci, seuls l’or et l’argent dont la probabilité d’accroissement significative du stock est très faible, répondent à la hausse de la demande par une progression certaine et durable de leurs cours. Pour les autres métaux, aussi précieux soient-ils, la hausse de la demande induira un ajustement de l’offre, limitant à terme celle de leur prix.

Si l’on peut désormais s’offrir une Tesla avec ses bitcoins,
pas moyen encore de régler ses impôts.

Reste à savoir si le bitcoin est bien une monnaie à part entière? L’euphorie récente des marchés, en partie animée par l’arrivée de poids lourds de l’investissement et le succès de l’introduction de la plateforme Coinbase, montrent qu’il est en passe de devenir une unité de réserve à part entière. Quant aux paiements? Si l’on peut désormais s’offrir une Tesla avec ses bitcoins, pas moyen encore de régler ses impôts. De plus, l’actif connaît toujours une volatilité extrême, à vous donner des haut-le-cœur. La simple rumeur d’une intervention imminente du Trésor américain contre ses circuits de blanchiment d’argent sale, et des rumeurs de coupures de courant dans la province chinoise du Xinjiang, touchant la production locale de bitcoin (près d’un tiers de l’extraction serait en Chine), ont fait chuter le cours de plus de 20% en quelques heures.  

Les plus avertis, parmi les technophiles, vous diront que c’était à prévoir. Sûrs du modèle, de l’intégrité et de l’autonomie du système, pour ceux-là, ces aléas ne modifient pas ses vertus. Les plus sceptiques, pour leur part, attendent que la bulle se dégonfle et que les autorités y mettent bon ordre.

La «relique barbare» aurait-elle trouvé son équivalent virtuel? Investissement raisonnable et payant pour les uns, acte de foi pour les autres, difficile en tout cas d’ignorer un gain de plus de 20000% en moins de six ans.

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