L’effet coup de fouet

Valérie Plagnol, Vision & Perspectives

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La hausse de la demande finale a provoqué une onde de choc sur les chaînes de production. Faut-il craindre un retour durable de l’inflation?

Le confinement et l’épargne forcée – provoquée en partie par le formidable élan budgétaire tant aux Etats-Unis qu’en Europe – ont soutenu, et même dans certains cas, accru la demande finale de biens manufacturés. Cette reprise en bout de chaîne a été amplifiée par chaque maillon de la production, soucieux de disposer de stocks suffisants, au point de provoquer une onde de choc et des ruptures d’approvisionnement de plus en plus criantes. Le rebond spectaculaire du commerce mondial à partir de l’été, après l’apathie du printemps dernier, la hausse de la demande pour les semi-conducteurs alors que l’industrie automobile entame sa conversion, l’envolée des prix des matières premières, sont le résultat de cet effet coup de fouet ou «bullwhip», qui provoque la hausse récente des prix à la production et menace de se propager  à l’ensemble de nos biens. Et comme un problème n’arrive jamais seul, voilà qu’à Taïwan, la sécheresse menace de retarder un peu plus les livraisons des précieux éléments de silicone. A d’autres points de la chaîne, ce sont les ports qui manquent de main d’œuvre pour décharger les bateaux, ou encore les containers qui restent bloqués là où ils sont livrés pour servir de capacités de stockage supplémentaires, au lieu de revenir vers les ports marchands. Depuis quelques mois déjà, les grands de la logistique sont en alerte.

Ainsi, la crise de la Covid-19 a-t-elle réservé son lot de surprises. Alors que le monde connaissait la pire récession de son histoire d’après-guerre, les revenus des ménages ont été globalement préservés et même, dans certains cas ils ont progressé grâce aux mesures budgétaires déployées par les Etats. Aux Etats-Unis, le revenu moyen des ménages aurait progressé de près de 7% en 2020, en dépit de la crise. De même, au Royaume-Uni, en Allemagne et en France, les ménages ont été particulièrement préservés par les mesures de soutiens budgétaires. Dans d’autres pays, les entreprises ont vu leurs trésoreries croître, et se montrent prêtes à investir.

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A l’autre extrémité de la chaîne, la guerre commerciale déjà en cours, les arbitrages des pays producteurs de pétrole, la course à l’autonomie comme la prise de conscience que la sécurité des approvisionnements désormais labélisés stratégiques nécessitent un plus grand contrôle, ne font qu’accentuer ces tensions. Les prix à la production montent et les experts revoient progressivement leurs prévisions d’indices à la consommation. Jusqu’ici, les dénégations de la Réserve Fédérale et de ses consœurs n’y ont rien fait, les rendements de la dette américaine et européennes ont augmenté, semant l’inquiétude sur les bourses.

Faut-il s’en alarmer? A mesure que les restrictions d’activité se lèvent – et les campagnes de vaccinations ne peuvent que nous le laisser espérer -  la reprise économique globale devrait effectivement surpasser son potentiel. Cette accélération de «l’output gap» devrait néanmoins s’avérer temporaire. Le reflux progressif des mesures de soutien budgétaire, l’accumulation des dettes publiques, le chômage stabilisé au-dessus de ses niveaux d’avant-crise, ne laissent guère de place à la persistance durable de ces tensions. Quelques indices, encore ténus, semblent conforter cette thèse: récemment, les autorités chinoises se sont inquiétées d’un risque de surproduction de l’acier – et donc d’une baisse des prix qui affecterait leur industrie.

Il reste que la réorganisation des chaînes de production est en cours. Celle-ci prendra du temps. Se fera-t-elle au profit de régions aux salaires moyens plus élevés? Aux Etats-Unis, l’administration entend donner la priorité à la relocalisation de la production de semi-conducteurs. Un accroissement progressif des capacités de production globales du secteur ne peut qu’atténuer les tensions. D’autres inconnues persistent: ainsi on a relevé que contrairement aux crises précédentes, la baisse de l’investissement n’a pas été plus marquée que la croissance elle-même. Cela présagerait-il d’un rebond ou d’une persistance de surcapacités et d’obsolescences? Les plans de relance mettant l’accent sur le recours aux énergies vertes serviront-ils à accroître la productivité de ces secteurs, ou seront-ils à l’origine de tensions durables sur les prix?  

Les Banques centrales à l’unisson ont réaffirmé leur confiance dans la normalisation progressive de ces tendances. Rappelons-le, nous vivons encore sous le joug d’importantes restrictions, qui nuisent à la reprise de pans entiers d’activité vers lesquels devraient se déverser le flux de l’épargne accumulée. De nouvelles régions du monde, comme l’Inde ou certains pays d’Afrique, pourraient être les principaux bénéficiaires de ces réorganisations.

Sortir les taux d’intérêt des limbes dans lesquels ils sont tombés serait plutôt favorable à cette normalisation. Comme pour la conquête spatiale, la «persévérance» est de mise, même si l’atterrissage n’est pas toujours bien contrôlé.

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