La revanche des Robin des bois

Valérie Plagnol, Vision & Perspectives

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Comment les petits porteurs réinvestissent la bourse.

Ça commence par un ralliement sur un réseau social. Puis une ligue de petits actionnaires qui lancent une vague d’achats via les nouvelles plateformes de trading, et au bout du compte l’envolée de la valeur d’une action quasiment oubliée, les pertes colossales de fonds spéculatifs, dont beaucoup se disent qu’après tout, c’est bien fait pour eux…

«L’affaire» Gamestop a tenu la place boursière en alerte et les autorités en alarme. Elle met en lumière l’irruption d’une nouvelle catégorie d’investisseurs/spéculateurs, leur usage des réseaux sociaux et leur capacité à recourir à des produits financiers sophistiqués. Serait-elle également devenue le miroir d’une société tout entière, dans sa version financière du combat des petits contre les gros?

La ruée des petits investisseurs sur une action «shortée» par d’importants fonds spéculatifs est-elle la victoire de David contre Goliath? Certains commentaires laissés sur les réseaux sociaux semblent l’indiquer. Ce ne serait pas la première fronde de petits actionnaires. Cependant, dans le cas présent on hésite à les assimiler aux activistes de la gouvernance, dont les combats pour faire valoir leurs voix et leurs droits au sein des entreprises sont souvent longs et semés d’embuches. Cet engouement soudain serait-il juste le symptôme d’une double dérive, bien mieux connue et non moins inquiétante.

Est-ce le signe immanquable d’une énorme bulle spéculative?

L’arrivée en masse des «boursicoteurs» sur les marchés est-elle, pour nombre d’investisseurs chevronnés, le signe immanquable de la formation et de l’éclatement prochain d’une énorme bulle spéculative? Le confinement a contribué à attirer un grand nombre de nouveaux investisseurs en bourse. Le phénomène est quasi général. En France par exemple, l’AMF recense 750’000 actionnaires actifs de plus en un an. La part des investisseurs particuliers à la Bourse de New York serait passée de 15% à 20% en 2020. Désœuvrement, baisse des rendements et hausse continue de la bourse en dépit de la conjoncture économique, il y avait de quoi retenir l’attention. De la rue Quincampoix aux écrans de leurs ordinateurs, l’histoire de la bourse est jonchée des «chemises» que les petits porteurs ont laissé dans les fins de cycles haussiers sans fondement.

Pourtant, cette tendance n’est peut-être pas aussi éphémère qu’il n’y paraît. Elle marque un changement générationnel. Les animateurs de ce marché sont les millénials. Face aux générations X et aux baby-boomers, leurs portefeuilles à l’évidence sont moins garnis, mais leur enthousiasme bien plus important tout comme leur capacité à prendre des risques. Plus attentifs aux questions environnementales et de gouvernance, ils s’en remettent plus volontiers à l’intelligence artificielle pour leurs décisions, utilisent les réseaux sociaux et ont trouvé, avec les courtiers en ligne, les vecteurs de leur activisme.  

Quand Ted Cruz et Alexandria Ocasio-Cortez défendent la liberté des investisseurs… ensemble.

Reste à s’interroger – un fois de plus – sur le rôle des réseaux sociaux et des courtiers en ligne dans cette affaire. Pour les premiers, les autorités de marchés seront-elles conduites à considérer qu’il y a eu manipulation ou tout autre pratique passible de sanctions? De quoi faire rebondir le débat autour du rôle de ces réseaux dans la diffusion ou la censure des propos de leurs usagers. L’attitude des seconds a également déclenché la polémique et attiré l’attention de Washington. On a vu se former une curieuse alliance entre le Sénateur Républicain Ted Cruz et la Représentante Démocrate Alexandria Ocasio-Cortez, critiquant vertement la décision du courtier Robinhood de restreindre le trading sur les actions de Gamestop, comme sur d’autres sociétés très demandées, au nom de la liberté des investisseurs. Le courtier a eu beau justifier sa décision par les risques financiers qu’il encourait et les contraintes prudentielles auxquelles il était soumis, rumeurs et accusations ont alors enflammé la toile sur les complicités et autres possibles connivences entre les fonds d’investissements établis et ces nouvelles plateformes – peut-être pas si iconoclastes que cela.

Nul doute à ce stade que le grand gagnant de cette aventure soit l’investisseur activiste Ryan Cohen, qui avait proposé un changement radical de stratégie à Gamestop quelques mois auparavant, que ses administrateurs avaient approuvée.

Quels que soient les rebondissements de l’affaire, une nouvelle fois, les «loups de Wall Street» en ont pris pour leur grade, mais n’est pas Robin des Bois qui veut non plus. 

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