Gare aux embûches d’après Noël

Valérie Plagnol, Vision & Perspectives

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Les mesures contre la pandémie ont accentué les inégalités. Se débarrasser des oripeaux de 2020 ne sera pas si facile.

Sans regrets, nous avons dit adieu à 2020. L’année qui s’ouvre est porteuse des espoirs d’une libération des contraintes liées au confinement sanitaire et d’un rebond général et vigoureux de l’activité économique, qui nous permettront de refaire une bonne partie du chemin perdu. Mais qu’on le veuille ou non, il n’est pas possible de «faire du passé table rase». Je suis même de ceux qui pensent que cette formule conduit à bien des désastres et qu’il vaut mieux tirer les leçons de l’histoire.

L’année qui s’ouvre nous apportera son lot de surprises. De cygnes noirs en rhinocéros gris, les continuités se dessinent bien plus nettement que les ruptures, comme se sont révélés avec plus d’acuité les défis économiques et structurels qui nous attendent. Commençons par le plus évident : la pandémie fait encore partie de notre quotidien. Avant d’atteindre le seuil critique d’immunité collective, nous resterons sous la menace de mesures de restrictions temporaires d’activités. Une reprise économique marquée par de tels à-coups pourrait s’avérer plus médiocre et erratique qu’anticipé. Les gouvernants seront à nouveau sous les feux de l’actualité, cette fois pour leur capacité à se procurer les sérums et organiser au mieux – c’est-à-dire au plus vite - la vaccination des populations. Et qu’en sera-t-il d’une coopération et d’une coordination internationale qui assureront le retour à des frontières ouvertes? Car le contrôle de la pandémie passe par une vaccination générale. Rappelons qu’au décompte de l’Université Johns Hopkins, 191 pays ont été touchés à ce jour.

Le débat sur la renonciation des dettes risque d’enfler. Au point
de déstabiliser les marchés? On ne peut exclure cette éventualité.

En attendant le vaccin pour tous, la pandémie laissera des séquelles importantes dans nos pays et nos sociétés. L’effondrement quasi complet de certaines activités, la montée du chômage, l’accès aux soins et à l’aide publique ont accentué les inégalités. Pour la première fois depuis 30 ans, la pauvreté ne recule plus dans le monde. La Banque Mondiale estime qu’en 2021, 150 millions de personnes de plus seront tombées dans l’extrême pauvreté, dont plus 80% dans les pays dits à revenu moyen1. De plus, l’Organisation souligne le recul de la «prospérité partagée», qu’a entraîné la pandémie. Les inégalités se sont creusées, la reprise n’est pas à elle seule la garantie d’un retour à l’état de progrès antérieurs.

Déjà, de nombreuses voix s’élèvent pour réclamer la mise en œuvre ou la prolongation de programmes de financement d’investissement et de redistribution plus généreux. C’est le cas notamment de l’économiste Joseph Stiglitz qui appelle à «vaincre la grande fracture2». Cependant, la crise a induit partout ou presque un accroissement des dettes publiques et privées, au point de devenir insoutenables dans certains cas. Les pays membres du G-20 se sont engagés à surseoir à une partie des remboursements des pays les plus pauvres. Qu’en sera-t-il de la gestion de la dette des économies avancées? Au chevet de leurs économies à l’arrêt, l’intervention massive de la plupart des Etats a garroté bien des hémorragies. A tel point qu’en France par exemple, le nombre de faillites enregistrées en 2020 a été inférieur à l’année précédente pour les petites et moyennes entreprises. Ces mesures de sauvegarde ont épargné plusieurs secteurs qui, en-dehors de cette situation exceptionnelle, n’auraient pas eu de difficultés. Mais comment reconnaître parmi elles les «zombies», qui de toutes façons auraient dû disparaître? Des faillites différées devraient entacher le rebond attendu.

Même partiellement soulagés par la reprise de l’activité, les pays ne se déferont pas si aisément du poids des dettes accumulées, surtout quand celles-ci s’ajoutent aux pesanteurs antérieures. Le débat sur la renonciation des dettes risque d’enfler. Au point de déstabiliser les marchés? On ne peut exclure cette éventualité. Il ne fait guère de doute que, quelles que soient les bonnes intentions affichées, les autorités budgétaires et monétaires devront un peu partout reprendre en main leurs politiques de distribution, jusqu’ici si généreuses. Relèvement de la fiscalité aux Etats-Unis, réduction et recentrage des dépenses en Europe, redressement des taux d’intérêt ailleurs… Les remèdes sont bien connus, seuls varieront les posologies.

Sans crier à l’austérité, il faudra bien s’en accommoder.

 

2 «Vaincre la grande fracture» Joseph Stigliz point de vue paru pour le numéro de septembre 2020 de la revue Finance & Développement du FMI

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