RCEP, quand la «Grande Chine» déploie ses ailes

Valérie Plagnol, Vision & Perspectives

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Le traité de libre-échange scelle le «pivot» asiatique et plus encore chinois. Aussi impressionnant soit-il, il n’est pas sans ambiguïtés.

C’est l’accord du siècle et celui de tous les records. Le RCEP1 englobe une zone économique qui pèse pour un tiers de l’économie mondiale et de sa population, devançant ainsi les Etats-Unis comme l’Europe. Pourtant ce traité – qui doit encore être ratifié par la majorité de ses membres – présente tant de facettes, visibles ou non, qu’on a du mal à en saisir toute la portée.

Lancée il y a huit ans par les pays membres de l’ASEAN, et visant à mettre à plat et clarifier des traités croisés préexistants, l’initiative avait toutes les apparence d’une tentative de ligoter  le géant chinois, tel un Gulliver économique et politique, dans un nœud d’alliances multiples et de plus en plus larges2. Et si les Etats-Unis de Donald Trump ne s’en étaient pas retirés, le TPP3, aurait en quelque sorte complété le dispositif d’encerclement sur le flanc Pacifique de la Chine. Cependant, victorieuse de la pandémie et en passe d’échapper à la récession, la Chine se trouve en position d’être le grand bénéficiaire de cet accord commercial. Le Pacte scelle le triomphe de la stratégie de l’Empire du Milieu et son recentrage autour du thème du «développement dual».

Cet accord devrait soutenir l’activité de la région, de nombreux
membres étant durement touchés par la pandémie.

Beaucoup sont prompts à souligner les failles du dispositif, qui au demeurant n’apporterait que de modestes avancées. La levée des droits de douanes sur de nombreux produits s’étalerait sur une longue période, les termes de la protection de la propriété intellectuelle seraient trop flous, le traité reste plus que lacunaire sur les échanges de services, et écarte les questions de droits sociaux, de protection de l’environnement, ou encore de subventions aux entreprises publiques. Cynisme assumé du plus fort ou bien pragmatisme minimaliste en vue de progrès ultérieurs? En tous cas, le Japon et la Corée du Sud trouvent l’occasion d’un premier accord commercial formel avec le grand voisin continental, et l’opportunité d’un meilleur accès aux marchés de la région.

Faut-il déplorer ou se féliciter que l’Inde ait finalement choisi de se tenir à l’écart du traité ou s’étonner, sinon craindre pour l’Australie et la Nouvelle-Zélande – les plus anciens alliés stratégiques des Etats-Unis dans la zone - qui l’ont rejoint? Les pays membres de l’ASEAN s’en trouvent-ils confortés et unis, ou au contraire plus conscients que jamais de leurs tensions internes, notamment lorsque certains dénoncent ouvertement le Laos et le Cambodge4 comme les chevaux de Troie de la Chine?

A court terme, cet accord devrait soutenir l’activité de la région, de nombreux membres étant durement touchés par la pandémie et ses conséquences économiques. De même, les plus modestes des partenaires voient à juste titre l’opportunité d’exporter vers une vaste et riche zone économique (qui par exemple représente la moitié du commerce extérieur des Philippines). De plus, il n’exclut a priori en rien les autres partenaires commerciaux des pays concernés, accordant aux Européens, entre autres, les accès dont ils disposent déjà.

En fin de compte, faut-il se demander si cet accord est le prélude à la constitution d’un «glacis» économico-stratégique sous domination chinoise, comme fut en son temps le Comecon dans l’ombre du Pacte de Varsovie, qui organisa la division forcée du travail entre «pays frères»? Difficile tout de même d’imaginer les alliés historiques des Etats-Unis se jetant ainsi dans «la gueule du loup».  

Malgré l’indéniable domination de l’Empire du Milieu et la victoire de son Président, le RCEP garde l’empreinte des membres de l’ASEAN, ses initiateurs, à la recherche d’un modèle de libre-échange et d’alliances se rapprochant de celui de l’Europe.

Réponse à l’Amérique de Donald Trump, défi à celle de Joe Biden, le Pacte pourrait bien inciter ce dernier à se rapprocher plus clairement de ses alliés.

 

1 Regional Comprehensive Economic Partnership, inclue les 10 pays-membres de l’ASEAN, la Chine, le Japon, la Corée du Sud, l’Australie et la Nouvelle-Zélande
2 Voir de Sebastian Santiago «In the Dragon’s Shadow: Southeast Asia in the Chinese Century» , 2020 Yale University Press,
3 Trans Pacific Partnership, signé en 2016
4 En 2012, le Cambodge a fait capoter une déclaration commune des membres de l’ASEAN contre les avancées chinoises en mer de Chine.

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