Un monde sans contact(s)

Valérie Plagnol, Vision & Perspectives

2 minutes de lecture

La pandémie a accéléré la digitalisation de nos relations. Quels seront les modèles gagnants de cette transformation?

C’est peu de dire que la distanciation imposée par la pandémie a précipité le recours aux outils digitaux, de communication et de commande en ligne, à la saisie d’informations ou la conclusion de contrats et, bien sûr, aux paiements et transferts sans contact. Fait notable, la croissance de ces usages a été la plus remarquable au sein de la «génération X», qu’on qualifiait volontiers de réfractaire.  

Pas question de revenir en arrière désormais. Le monde de la Fintech et de l’Insurtech accélère le tempo. Les services financiers en ligne fleurissent partout. La filiale d’Alibaba, Ant Group, devrait faire une entrée fracassante sur les marchés, et battre le record établi par Saudi Aramco l’an passé, à plus de 35 milliards de dollars, se hissant juste derrière les mastodontes Visa et Mastercard.

Depuis quelques années déjà, la digitalisation a facilité et surtout a fait baisser les coûts des transferts internationaux pour les travailleurs migrants. La pandémie, en restreignant les déplacements des personnes, a rendu ces usages encore plus incontournables. De même a-t-elle décuplé les paiements sans contact en même temps que s’envolait le e-commerce, et que le commerce de proximité s’adaptait à ces nouveaux modes de transaction. Fini le temps de la petite monnaie chez le boulanger. Partout ou presque, on accepte désormais de «poser» sa carte de crédit ou son téléphone sur un terminal, dès le premier centime.  Le recours au cash s’est réduit d’autant.

Les bandits s’adaptent aux nouvelles technologies.
En témoignent les récents déboires du courtier en ligne Robinhood.

L’usage de portefeuilles virtuels et autres modes de paiements, déjà en cours avant la pandémie, permet de «financiariser» et bancariser des pans entiers de l’économie, dans les pays émergents, tout en réduisant substantiellement les coûts de transaction.

Les banques centrales sont-elles prêtes à aller plus loin? Comme nous l’avons signalé, la Banque Populaire de Chine a lancé les premiers tests de monnaie virtuelle, sous forme de bons d’achats attribués lors d’une loterie à des citoyens chinois de la région de Shenzhen. De son côté, la Banque Centrale de Suède est la plus avancée dans la proposition d’une monnaie virtuelle.

D’un côté, les banques centrales et les Etats tentent de réglementer la mise en place de la Libra ; de l’autre, ils reconnaissent la nécessité de lancer leur propre monnaie virtuelle pour en maintenir le contrôle, la sécurité et la valeur.

La digitalisation de la monnaie et des transactions, l’arrivée de monnaies virtuelles posent trois types de problèmes: la sécurité et la fiabilité des transactions, la sauvegarde des données personnelles et le respect de la vie privée, et enfin la valeur de la monnaie.

Dans le premier cas, on l’a déjà vu, les bandits s’adaptent aux nouvelles technologies, et fort bien encore. Très récemment, le site du courtier en ligne Robinhood a été attaqué et certains de ses clients se sont vus dérober leurs gains après que leurs comptes aient été frauduleusement liquidés. D’autres faits divers de cette nature, et parfois d’ampleur bien plus considérable encore, défraient régulièrement la chronique.

Spéculation, risques excessifs, aléa moral et défaut de conseil:
combien échappera aux superviseurs des marchés?

La deuxième question est celle de l’intégrité des données personnelles et le respect de la vie privée. Qui garantira la confidentialité des transactions sur les réseaux sociaux? On pense d’une part à l’intrusion de la puissance publique dans la vie privée. D’autre part, les nouvelles et nombreuses plateformes technologiques, dépositaires de nos données personnelles, sont à même d’offrir une gamme de plus en plus large de produits et de services financiers hors de tout contrôle ou régulation. Spéculation, risques excessifs, aléa moral et défaut de conseil, c’est tout un pan d’activité qui échappera au superviseur des marchés.

Reste un troisième aspect, celui de la valeur de la monnaie. L’enjeu pour l’autorité monétaire réside dans la nécessité d’assurer la sécurité et l’efficacité des transactions et la préservation de la valeur de la monnaie. La Banque Centrale de Suède, aujourd’hui parmi les institutions les plus avancées dans ces questions, rappelle dans un rapport, que les espèces – bien qu’en très forte diminution – sont aussi la garantie de transactions stables et de la valeur faciale de la monnaie d’une institution à l’autre, d’un pays à l’autre. Elles seraient même cruciales en cas de panne et ou de dysfonctionnement majeur du système financier1.

En son temps, le remplacement progressif de la monnaie métallique par les billets et la monnaie scripturale, a accéléré le déploiement des échanges mais aussi bouleversé les théories de la monnaie. Aujourd’hui, la dématérialisation et l’arrivée de nouveaux modes de paiements est le défi auquel se retrouvent confrontées les autorités monétaires. Cependant ce bond technologique a ceci de particulier qu’il nous entraîne au-delà de la question strictement monétaire, en mettant en jeu l’intégrité non seulement de nos biens mais aussi de notre identité.

Rien de plus personnel que la monnaie virtuelle!

 

1 «Future money and payments», par Stefan Ingves Governor of the Riksbank

A lire aussi...