Etats-Unis: l’économie en arbitre

Valérie Plagnol, Vision & Perspectives

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La bataille pour la présidentielle se recentrera sur le bilan et les promesses économiques des candidats. Que peuvent en attendre les investisseurs?

De pugilats télévisés en craintes sur le bon déroulement du scrutin jusqu’à la contamination présidentielle, à moins d’un mois de l’élection les rebondissements se succèdent et la tension monte entre les deux camps, laissant un sentiment de confusion et de délitement de la vie politique américaine, qui pourraient bien finir par inquiéter les marchés.  

Nombreux sont ceux qui considèrent que cette fois-ci «it’s the pandemic stupid!». Le moins qu’on puisse dire est que la gestion de la pandémie ne plaide pas en faveur du Président sortant, désormais atteint lui-même, tant par le nombre de victimes parmi ses concitoyens que par ses déclarations et ses promesses en matière de remèdes et de vaccins. Depuis son lit d’hôpital, Donald Trump peut voir l’avance de Joe Biden creuser le fossé dans les sondages.

L’économie sera-t-elle absente de cette campagne? Ce serait un comble! Et dans ce cas, que retiendront les électeurs? Les années de croissance, le choc actuel, les promesses à venir? Donald Trump a pour lui la croissance et l’emploi. C’est bien sous sa présidence que l’Amérique tournait la page de la crise de 2008, que le moral des entreprises – notamment les petites et moyennes – (re) montait en flèche et que la bourse s’est envolée. Fin 2019, le taux de chômage était tombé au niveau record de 3,5%. Après le violent choc du printemps dernier, l’emploi rebondit massivement.

Mais à quel prix, et grâce à qui vraiment? Certains diront que ces performances sont le résultat des efforts de la présidence précédente, et qu’elles doivent tout à la politique monétaire menée par la Réserve Fédérale. Jérôme Powell, dans son discours de Jackson Hole, n’a-t-il pas lui-même promis d’orienter plus directement la politique monétaire en faveur de la préservation de l’emploi? Notons également que ces dernières années, le taux d’activité des personnes est toujours resté inférieur à celui du début des années 2010.

La baisse de l’épargne domestique combinée à la hausse
des déficits ne fait qu’aggraver le solde extérieur.

Le Président sortant laisse aussi une «ardoise» conséquente: c’est en 2019 que le déficit budgétaire a dépassé les 1000 milliards de dollars1, soit 4,6% du PIB. Le coût de la dette avait fortement augmenté, tandis que les recettes tirées de l’impôt sur les sociétés, les plus basses depuis 2009, s’établissaient sous la moyenne des 50 dernières années. La crise actuelle menace de propulser le déficit public à près de 16% du PIB, et la dette publique à plus de 130% cette année même2.

Et la guerre commerciale alors? Le déficit bilatéral entre la Chine et les Etats-Unis s’est réduit. Cependant les négociations sont au point mort, les concessions chinoises minimes, l’animosité et la méfiance désormais générales. Avec la pandémie, la balance courante du pays se détériore à nouveau. Outre que les flux commerciaux entrants ont pu emprunter d’autres routes, la baisse de l’épargne domestique combinée à la hausse des déficits ne fait qu’aggraver le solde extérieur. C’est le retour des «twin deficits» et la crainte de voir le statut du dollar se détériorer3.

De son côté, Joe Biden se fait le champion de l’héritage des années Obama, en protecteur de l’ACA (Affordable Care Act, ou Obamacare), qui fait désormais consensus dans le pays. Candidat de l’apaisement, il se retrouve pris entre deux feux. Trop timoré aux yeux de l’aile gauche de son parti, il sera toujours trop menaçant pour Wall Street. Il promet bien un plan de relance économique massif, mais ira-t-il jusqu’à mettre en œuvre le grand projet d’infrastructures que tous lui réclament? Poussera-t-il en direction d’une plus large couverture sociale? Et avec quel argent? S’il est élu il trouvera une situation économique financière si dégradée que ses partisans craignent qu’il ne devienne le Président de l’austérité. De toute façon, il lui faudra bien prendre dans la poche des plus riches. On l’a vu la marge d’augmentation de la fiscalité est du côté de «Corporate America». Les accusations du candidat Trump rencontreront un réel écho sur ce terrain, n’en doutons pas. Face au Président sortant, Joe Biden se montre également plus libéral et plus amical en matière de commerce, mais la majorité du pays n’est-elle pas désormais protectionniste? Convaincre son électorat qu’il peut changer les choses sans effrayer les indécis, ne sera pas si simple.

Le contexte exceptionnel de l’élection laisse à penser qu’elle ne se fera pas qu’«à la corbeille». Elle ne sera pas loin non plus.

 

1 Voir mon édito du 5 novembre 2019, «Mille milliards de dollars»
2 L’année fiscale américaine est close le 30 septembre
3 Voir notre édito du 11 février 2020, «La douleur du dollar»

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