La Réserve Fédérale à hue et à dia

Valérie Plagnol, Vision & Perspectives

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Comme attendu, Jérôme Powell a livré à Jackson Hole la nouvelle stratégie monétaire de long terme de la Fed. Elle laisse un goût d’inachevé.

Le symposium de Jackson Hole (cette année à distance) est un moment de réflexion plus que de décision. Au fil des années, les investisseurs et les marchés se sont pris à attendre de ce rendez-vous de rentrée, des annonces et des directions fortes. Jérôme Powell n’a pas dérogé à cette «tradition», profitant de ce moment pour présenter sa nouvelle stratégie monétaire. Et même si le secret avait été largement éventé, les marchés ne manqueront pas de saluer le maintien au plancher des taux directeurs de la Fed pour une très longue période. Ce changement de paradigme somme toute assez technique méritait-il tant de solennité?

En quelques mots, il ressort de son discours que d’une part, la Fed redoute de voir s’installer une spirale déflationniste enkystée dans les anticipations des agents économiques ; d’autre part, sa priorité est désormais du côté du maintien durable du plein emploi. Elle veut en cela permettre aux plus modestes un accès plus sûr et plus constant au marché du travail. On peut lire derrière ces propos la préoccupation grandissante portée aux inégalités croissantes au sein de la société américaine. La  Banque Centrale ne veut pas compromettre l’amélioration encore trop récente de la condition économique des minorités ethniques, alors même que la pandémie menace ses efforts.

Par la mise en œuvre du «quantitative easing», la Réserve Fédérale
est devenue acteur des tendances, autant qu’elle tente d’en limiter les effets.

Jay Powell inscrit son action dans la continuité de celle de ses prédécesseurs et dans l’histoire de la Banque Centrale. C’est un fait, l’inflation à nettement décru ces dernières années, les rendements aussi. Les raisons économiques fondamentales explorées (vieillissement de la population, excès d’épargne, ralentissement de la productivité etc.), n’apportent pas pour autant d’explication ni de perspectives parfaitement concluantes. De plus, la baisse substantielle et durable du chômage, comme le frémissement tant attendu du taux de participation, ne raniment pas l’inflation. Il ressort de ces tendances que la Réserve Fédérale dispose de moins en moins de leviers d’action au travers de la seule orientation de ses taux directeurs. Car l’environnement économique a profondément changé. Aux cycles de croissance et d’inflation, celle-ci désormais domptée, ont succédé des périodes de croissance allongées, mais qui se terminent par des «épisodes d’instabilité financière» nous rappelle le patron de la Fed. Au regard de l’ampleur de la crise de 2008, l’expression employée semble un doux euphémisme.

D’autant que par la mise en œuvre du «quantitative easing», la Réserve Fédérale est devenue acteur de ces tendances, autant qu’elle tente d’en limiter les effets. Gardienne de l’inflation comme d’un temple en ruine, la voilà prise au piège du gonflement de son bilan par l’accumulation de dettes.

Au regard de ce constat, passer d’un objectif d’inflation unique à une estimation moyenne peut paraître assez dérisoire. La Fed – comme toutes les autres banques centrales d’ailleurs – a déjà fait bien plus qu’un simple ajustement d’objectif. De plus, le comportement des marchés et du système financier continue de lui échapper sans qu’elle ne semble s’en préoccuper.

En s’en tenant au cadre strict de ses missions,
jamais discours de la Fed n’a semblé plus éloigné de ses actions.

Coincée dans ses missions statutaires, fixées par le Congrès, la Fed donne de plus en plus l’impression de déborder d’un corset bien trop serré. Ne serait-il pas temps de revoir plus largement sa structure et ses missions? Il y a près de 40 ans, la loi Humphrey Hawkins a permis à son Président de prendre à bras le corps la maîtrise de l’inflation. Aujourd’hui, son organisation, ses objectifs, la laissent centrée sur un arbitrage prix/plein emploi, qui, s’il garde toute sa validité, ne suffit pas à prendre en compte les risques posés par l’augmentation des dettes publiques et privées, les leviers de transmission de la politique monétaire et les risques d’éclatement de bulles d’actifs et leurs conséquences.

Prise entre les attentes des marchés, l’endettement croissant de l’état et l’appétit du reste du monde pour le dollar, la capacité d’action indépendante de la Banque Centrale s’étiole et les pressions politiques et économiques s’intensifient. D’un côté les rangs des partisans de l’abandon de la dette qu’elle détient se gonflent. De l’autre, les tenants de «l’helicopter money», appellent à étendre encore son action vers le pilotage direct de la demande finale et la gouvernance des cycles de demande. L’apparition de la monnaie virtuelle en serait le vecteur, comme le fut en son temps la monnaie fiduciaire.

La pandémie n’a fait qu’accentuer ces tendances. En s’en tenant au cadre strict de ses missions, jamais discours de la Fed n’a semblé plus éloigné de ses actions.

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