«La douleur du dollar»

Valérie Plagnol, Vision & Perspectives

2 minutes de lecture

A user sans réflexion du dollar, Donald Trump risque de provoquer l’érosion de sa position et la perte progressive de son influence.

Une nouvelle alerte sur l’économie mondiale se traduit par une nouvelle hausse du dollar. La crise du coronavirus a ramené les investisseurs vers la devise américaine, qui reste le refuge par excellence. Puissance économique, profondeur de son marché porté par des grands groupes en pointe de la croissance mondiale, puissance politique, et devise de réserve dominante, le dollar semble invincible et indétrônable, car il est par excellence la monnaie des échanges commerciaux et financiers.

La fin du système de Bretton Woods, l’ouverture des marchés et le flottement généralisé des monnaies, la naissance de l’euro et récemment l’inclusion du yuan chinois dans le panier des Droits de Tirage Spéciaux, n’ont pas vraiment remis en question cette position. De même, la politique commerciale agressive des Etats-Unis, le recours à des sanctions tarifaires et douanières au-delà même du cadre strict des relations commerciales, n’ont pas changé la donne. Conscient de cette puissance, Donald Trump semble bien décidé à en user pour imposer et faire triompher son programme «America first».

Mais l’histoire pourrait-elle changer? Difficile de ne pas sursauter devant les contradictions manifestes de la politique américaine à l’égard du dollar. Ces injonctions pourraient s’avérer dangereuses à terme, pour sa position et son statut, comme pour le système monétaire mondial.

Donald Trump pratique volontiers le «Fed bashing» pour obtenir
de nouvelles baisses des taux directeurs américains.

Donald Trump n’a pas inventé les sanctions tarifaires, mais il en abuse à tout bout de champ. Usant de de ce qu’il considère être une situation commerciale inéquitable, il a d’abord systématisé le recours aux mesures tarifaires. Début février, le Département du Commerce a vu ses pouvoirs d’action et de sanctions accrus, grâce à l’assouplissement des critères d’évaluation des cas de manipulation monétaire de la part des partenaires commerciaux de l’Amérique. Certes, les circonstances exceptionnelles et la «force majeure», invoquées par la Chine, lui ont évité une nouvelle et immédiate mise en accusation, alors même que la devise décrochait et repassait au-dessus des 7 yuans pour un dollar. Mais la demande chinoise d’une mise en œuvre «flexible» des accords commerciaux, qui viennent à peine d’être signés, pourraient bien provoquer de nouvelles rétorsions américaines.

Donald Trump pratique également volontiers le «Fed bashing» pour obtenir de nouvelles baisses des taux directeurs américains. Ces attaques répétées et publiques, les nominations récentes au Conseil de la Réserve Fédérale de personnalités largement acquises à ses positions, font craindre une nouvelle salve de pressions sur la Banque Centrale. Ces demandes alimentent aussi la campagne en faveur d’un dollar plus faible. Tout en portant atteinte à la crédibilité de ces institutions, le Président américain risque également de déclencher une guerre de changes et de voir l’appétit des investisseurs internationaux à l’égard de la dette américaine se réduire.

Émettre la monnaie de réserve du monde confère pouvoir,
mais aussi faiblesses et responsabilités.

Au-delà du contexte conjoncturel, l’usage accru du dollar comme moyen de pression stratégique à la fois sur les rivaux et les alliés des Etats-Unis, pourrait s’avérer à double tranchant. Fort de cette puissance et de ce quasi-monopole sur les échanges, l’Amérique entend faire respecter les embargos qu’elle impose. Dernier en date, celui décrété à l’encontre de l’Iran. Le dollar devient alors l’arme de sanctions à l’encontre des entreprises étrangères qui passeraient outre, se fondant sur leur usage du dollar pour les faire condamner par la justice américaine. Ainsi, nombre d’institutions financières européennes ont dû renoncer à accepter toute transaction qui les exposerait à de telles sanctions.

Ces menaces pesantes conduisent de plus en plus de pays – à commencer par les rivaux des Etats-Unis - à tenter de s’affranchir de cette contrainte. C’est le cas des producteurs de pétrole comme la Russie, qui renforcent les transactions hors dollar. L’Iran cherche également à accroître l’usage de l’euro et se tourne vers d’autres clients – notamment la Chine.

De son côté, cette dernière se trouve dans une position encore ambiguë. Le poids économique du pays, sa puissance commerciale, lui permettent d’imposer une part croissante de la facturation de ses échanges dans sa propre devise. Adeptes d’un retour à une forme de changes fixes, les autorités du pays projettent également de déployer une monnaie virtuelle centrale, adossée à un système de transactions et de liquidations (clearing) propres. Avec le yuan coincé dans le carcan d’un contrôle de change rigoureux, leurs ambitions semblent devoir être reportées.

Émettre la monnaie de réserve du monde (encore près de 60% des réserves de change contre près de 15% pour l’euro), confère pouvoir, mais aussi faiblesses et responsabilités. Le pouvoir, nous le connaissons. Le dollar dans le monde post- Bretton Woods, attire et retient les capitaux domestiques et internationaux. Mais dès l’origine, cette puissance s’est avérée «paradoxale» comme l’avait décelé l’économiste Triffin, car l’appétit du monde pour le billet vert se paie par un déficit de sa balance courante. La responsabilité du dollar, c’est aussi celle de l’Amérique, puissance «gendarme» du monde. A penser qu’il pourrait user de ce pouvoir sans conséquences, Donald Trump risque de provoquer l’érosion de la position du dollar, et la perte progressive de son influence. Ce qu’on pourrait appeler «La douleur du dollar1».

 

1 D’après le titre du roman de Zoé Valdes.

A lire aussi...