La Riksbank donne le taux

Valérie Plagnol, Vision & Perspectives

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En sortant de la politique de taux négatifs, la plus ancienne banque centrale du monde n’est-elle pas en train de nous montrer la voie de la sagesse?

C’est en décembre dernier que la Banque Centrale de Suède a décidé de ramener son taux directeur à 0%, contre -0,25% précédemment. Arguant d’un nécessaire retour à la normale, la Riksbank a longuement préparé les marchés et semble avoir réussi son pari. Depuis mi-décembre, la couronne suédoise s’est légèrement dépréciée face à l’euro. La courbe des rendements obligataires s’est repentifiée par rapport au début de l’automne, et si les taux se sont légèrement tendus (environ 30 points de base depuis septembre sur les échéances longues), c’est loin d’être d’une débâcle.

Pourquoi s’est-elle décidée à agir? Le moment était-il opportun? Peut-elle servir d’exemple aux autres banques centrales, et même d’éclaireur? Ces questions n’ont pas encore de réponse définitive, tandis que des contestations se font jour. Examinons les termes du débat.

Dans son rapport, la Banque Centrale justifie le sens et le moment de sa décision en faisant valoir que bien qu’entrant dans une phase de ralentissement, l’activité économique revient en fait à un rythme normal après une période de plus nette expansion. Cette tendance ne devrait remettre en cause ni le niveau ni les anticipations d’inflation des agents économiques. Cependant, si la politique de taux négatifs et d’achats de dette publique a bien produit les effets escomptés, la Banque Centrale s’inquiète désormais car «(..) si elle devait être perçue comme un état permanent, le comportement des agents économiques s’en trouverait probablement affecté au point d’induire des effets négatifs».

La Riksbank n’oublie pas de rappeler à quel point
elle agit prudemment et très progressivement.

En effet, la nocivité du maintien de taux nominaux négatifs et de conditions monétaires durablement et excessivement accommodantes induit d’importants effets pervers. Nombreux sont les experts qui insistent désormais sur les excès de prise de risque, la constitution de bulles d’actifs artificiellement survalorisés, l’augmentation déraisonnable de l’endettement des agents économiques (entreprises «zombies», ménages surendettés dans l’immobilier devenu inaccessible), les effets d’éviction sur le marché obligataire et le manque de liquidités pour le système financier. Sans négliger l’augmentation de la préférence pour le cash à mesure que les banques répercutent les taux négatifs sur les comptes qu’ils gèrent.

Et de rappeler que certaines banques allemandes et danoises ont commencé à «taxer» les comptes courants ordinaires de leurs clients. La Riksbank n’est pas seule à s’inquiéter. Rappelons que la Banque Centrale Européenne (BCE) a cherché à atténuer l’impact de sa politique de taux négatifs auprès du système bancaire, par l’instauration d’une «tiering1», sur les rémunérations des réserves.

Au total, la Riksbank rappelle que, comme toujours, le contexte extérieur est incertain, mais qu’elle se sent plus préoccupée par la hausse continue des prix de l’immobilier domestique et par l’augmentation de l’endettement des ménages. Elle n’oublie pas de rappeler aussi à quel point elle agit prudemment et très progressivement, car, avec un taux de repo à zéro, les conditions monétaires restent encore très accommodantes. Ne pas provoquer un choc de taux, mais normaliser progressivement la politique monétaire, voilà bien l’intention du comité monétaire de Stockholm, et que nombres de banques centrales pourraient bien reprendre à leur compte.

Pourtant, cette décision n’est pas sans provoquer quelques remous à l’intérieur comme au-delà de ses frontières. Mi-janvier, le gouvernement suédois a publié des prévisions de croissance et d’inflation en repli par rapport à leur précédente projection, et incluant des hypothèses de retour à un taux de repo négatif en 2021 et même en 2022. Certains analystes ont vu dans ce scenario, au mieux la volonté de «se couvrir» en cas de décrochage de la conjoncture, au pire une tentative de peser sur la Riksbank – ce qui serait une atteinte manifeste et anticonstitutionnelle à son indépendance.  

Après 5 années de taux négatifs, était-il trop tard pour reprendre en main la politique monétaire, face à des acteurs publics et privés déjà en état de dépendance? La Banque de Suède sous-estime-t-elle le risque de rechute? Alors que la BCE pourrait bien redéfinir prochainement ses objectifs d’inflation pour mieux coller à la réalité du moment, et que les épargnants se sentent piégés par l’affaissement général des rendements, le débat est loin d’être clos.

 

1 «tiering», ce système permet à la BCE d’exempter de taux négatifs une partie des réserves des banques en dépôt auprès de la banque centrale.

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