Impôts, le vent d’Amérique

Valérie Plagnol, Vision & Perspectives

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L’Amérique de Joe Biden relance la coopération internationale sur la fiscalité des entreprises.

Dès son discours d’investiture, Janet Yellen donnait le ton1: «la course au moins-disant fiscal» n’est plus de mise. La crise de 2008 avait réuni les Etats autour de la lutte contre les paradis fiscaux. La pandémie de la Covid-19 sera-t-elle le tournant de l’uniformisation de la fiscalité des entreprises?

Sur bien des aspects, la proposition de l’Administration Biden vient à point nommé. Confrontés à une récession globale sans précédent qui a vu les dettes s’envoler, nombreux sont les pays en mal de nouvelles recettes. Pour les partenaires européens des Etats-Unis, la reprise des discussions sur l’harmonisation fiscale revient, pour les premiers à satisfaire leur demande de taxation des GAFAM, et pour les seconds à diluer celle-ci dans une mesure d’ordre plus général, qui éviterait une stigmatisation inacceptable quelle que soit l’Administration au pouvoir Outre-Atlantique. Elle relance également les propositions plus ambitieuses de rénovation de la nature et des modes de prélèvements obligatoires sur des entités à l’ancrage géographique non déterminé.  Au nombre des ralliés à la cause, on compte déjà le Fonds Monétaire International qui, non content d’approuver le projet, propose également un prélèvement fiscal «temporaire» sur les plus hauts revenus.

Sur le plan intérieur, la Secrétaire d’Etat au Trésor n’a pas manqué de rappeler la baisse spectaculaire de la fiscalité des sociétés, qui ne représente plus que 1% du PIB, quand les «arbitrages» des multinationales pourraient encore coûter au pays plusieurs milliards de dollars chaque année. Plan d’infrastructure, répartition des revenus, autant de projets qui trouvent un réel écho au pays de la faible redistribution.

Les hausses attendues de recettes fiscales ne combleront pas
à elles seules les déficits et les dettes accumulées

Cependant la proposition, aussi généreuse soit-elle, laisse perplexe. Aux Etats-Unis même, rappelons que le nouveau «plan Biden» de 2500 milliards de dollars, loin d’être acquis, devrait faire l’objet d’une longue et difficile négociation avec le Congrès, alors même que certains sénateurs Démocrates, rechignent déjà à l’entériner. Sa dimension universelle sonne également comme un aveu, montrant combien l’Amérique à elle seule ne peut plus maîtriser et imposer sa fiscalité. Chercherait-elle par ce biais à renforcer son privilège d’extraterritorialité? Cela se pourrait si, comme certains spécialistes le montrent, elle était le premier pays à «verrouiller» ses multinationales (les plus nombreuses et les plus importantes dans le monde), en étant autorisée à prélever la différence entre le taux d’imposition d’un pays donné, et le taux minimum fixé collectivement. Comment faire accepter de tels empiètements de souveraineté?

Si certains états semblent prêts à endosser la proposition, ceux dont la fiscalité se situe à un seuil bien inférieur au taux minimum proposé de 21%, se montrent évidemment bien plus réticents. Une telle mesure serait en tout cas un spectaculaire renversement de tendance. Ces 20 dernières années (entre 2000 et 2020), le taux moyen de l’impôt sur les sociétés a baissé de 10% (d’environ 32% à 23%), parmi les pays membres de l’OCDE, marquant tout de même d’importantes disparités.

Faire miroiter la perspective d’importantes rentrées fiscales pourrait bien n’être qu’un miroir aux alouettes. Outre que bien des pays risquent de rester en-dehors d’un tel accord, les hausses attendues de recettes fiscales ne combleront pas à elles seules les déficits et les dettes accumulées. Nombre de petits pays ou d’économies émergentes, resteront probablement à l’écart d’une telle manne, au risque de perdre en recettes et activités vitales. Le relèvement de la fiscalité risque d’affecter principalement les entreprises les plus «captives» de leur géographie et les plus fragilisées par la pandémie. Enfin, les pays dont le taux d’imposition est encore bien supérieur au niveau minimum proposé, loin de bénéficier d’une flambée de leurs recettes, seraient même tentés – sinon forcés – de s’aligner sur le taux minimum.

Au bout du compte, il se pourrait que ces mesures rebattent les cartes de la compétition fiscale internationale plus qu’elles ne l’annulent, tout en ajoutant une brique aux facteurs de remontée générale des prix.

La mariée serait-elle trop belle?

 

 

1 Voir notre précédent article: «Quand le soufflé retombe» du 26 janvier 2021.

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