Un parcours en dents de scie

Chris Iggo, AXA IM

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Si en juillet la Fed relève à nouveau ses taux, en 2024, le taux réel implicite sera nettement supérieur à celui des dix années précédentes.

L’inflation est en baisse – et ce, le plus fortement aux États-Unis, où elle est tombée à 3% en juin. Si en juillet la Fed relève à nouveau ses taux, en 2024, le taux réel implicite sera nettement supérieur à celui des dix années précédentes. C’est pourquoi plusieurs éléments laissent entrevoir la possibilité de taux d’intérêt plus bas l’année prochaine. La courbe des taux s’accentuerait alors et les obligations permettraient de gagner de l’argent.

Une inflation en baisse

Les investisseurs ont réagi avec satisfaction au recul de l’inflation sous-jacente américaine. Pour la première fois depuis août 2021, l’indice a augmenté de moins de 0,2% par rapport au mois précédent. Le renchérissement s’est également avéré inférieur à la moyenne de toutes les valeurs de juin depuis 1989 - encore un possible indice d’apaisement. Bien sûr, il ne s’agit que d’une période d’un mois, mais si l’inflation se normalise et revient à son niveau habituel, d’ici la fin de l’année, l’inflation de base pourrait tomber à environ 3,5% en glissement annuel et l’inflation totale à moins de 3%. La Fed pourrait s’en réjouir. Elle veillera néanmoins à s’assurer que l’inflation continue de baisser en 2024, en s’approchant de son objectif de deux pour cent. Par conséquent, elle continue à brandir le spectre des taux d’intérêt élevés. Cela n’empêche pas le marché de commencer à spéculer sur les premières baisses de taux, attendues pour le début de l’année prochaine.

Des taux d’intérêt réels en hausse

En juillet 2022, le taux d’intérêt américain à un an se situait autour de 3%. Depuis lors, les prix à la consommation ont augmenté, eux aussi, de 3%, de sorte que le taux d’intérêt réel était nul. Mais entre-temps, les choses ont changé. Aujourd’hui, le taux d’intérêt à un an mesuré à l’aune des bons du Trésor américain est de 5,3%, et l’inflation pourrait tomber à environ 2,5% l’année prochaine. Il en résulterait un taux d’intérêt réel nettement positif. Mais ce qui sera déterminant dans les années à venir, c’est de savoir si l’inflation restera supérieure à l’objectif visé par la banque centrale. Si l’inflation recule encore, les taux d’intérêt réels pourraient baisser l’année prochaine, et même au-delà, et les taux d’intérêt nominaux diminueraient également. Aux États-Unis, les conditions financières demeurent toutefois strictes. Il ne faut s’attendre à un allègement au cours des mois à venir que si l’inflation poursuit sa décélération.

Courbe des taux d’intérêt plus prononcée

La courbe des taux d’intérêt devrait également se normaliser. Ces derniers temps, elle était nettement inversée. Ainsi, le rendement à dix ans était inférieur de 108 points de base au rendement à deux ans. Une courbe des taux d’intérêt fortement inversée sur le long terme laisse présager un affaiblissement de la conjoncture et une baisse des taux d’intérêt. À en croire le sentiment du marché, le rendement américain à deux ans, qui est actuellement de 4,6%, ne sera plus que de 3,75% dans un an et de 3,5% dans deux ans. Le marché s’attend donc à une réduction des taux d’intérêt, de sorte que les taux d’intérêt à court terme baissent de façon plus marquée que les rendements à long terme. Pour que se produise une normalisation de la courbe des taux d’intérêt, il faudrait que ceux-ci connaissent un changement de 80 à 100 points de base, par exemple au cours de l’année prochaine. Les investisseurs en obligations d’État verraient d’un bon œil survenir une baisse des rendements à court terme.

Plus-value générée par les obligations d’État américaines?

Dans un tel contexte, les obligations d’État américaines pourraient devancer d’autres marchés obligataires importants. Encore récemment, les obligations allemandes et françaises à sept ou dix ans rapportaient un peu plus que les obligations américaines. Mais la Banque centrale européenne doit faire des efforts plus importants pour faire reculer l’inflation. Selon le marché, les anticipations d’inflation dans la zone euro se sont rapprochées des anticipations d’inflation à moyen terme aux États-Unis, où l’on s’attend à un taux d’environ 2,6%. La situation est nettement pire au Royaume-Uni, où l’inflation a atteint 8,7% en mai et où le marché s’attend à ce que la Banque d’Angleterre soit contrainte de relever son taux directeur à plus de 6%.

La Grande-Bretagne, un cas problématique

Pour les obligations d’État britanniques, cette année a été désastreuse. Au cours du premier semestre, son index global a chuté de 3,85%. Les rendements à dix ans ont atteint 4,66% en juin, soit un niveau encore plus élevé qu’à l’automne dernier, lorsque la Première ministre Liz Truss et le ministre des Finances Kwasi Kwarteng avaient présenté leur plan budgétaire catastrophique. La hausse des taux d’intérêt n’est pas de bon augure pour le marché de l’immobilier résidentiel, car de nombreuses hypothèques à taux fixe arrivent désormais à échéance et doivent être renégociées. En juin, l’indice RICS du marché du logement est tombé à 46%, égalant ainsi le faible niveau enregistré durant la crise financière internationale de 2008, lorsque des pans entiers du système financier britannique se sont effondrés. Le marché ne s’attend pas encore à une baisse des taux d’intérêt l’année prochaine et table sur une hausse des prix de détail de 3,6% à moyen terme, ce qui équivaut à une inflation des prix à la consommation de près de 3%. Le consensus va dans le sens d’une contraction de l’économie britannique en 2023, et d’une année 2024 sans guère de redressement en perspective. C’est la triste conjonction d’une croissance faible et d’une inflation prononcée qui attend le Royaume-Uni. Il se peut que cela soit suffisant pour inciter les électeurs britanniques à voter en faveur d’un changement lors des prochaines élections à la Chambre des communes.

Mais les obligations d’État britanniques sont plus solides. Elles peuvent s’avérer intéressantes, car de nombreuses mauvaises nouvelles en termes d’inflation et de conjoncture ont déjà été prises en compte dans leurs cours. Des charges élevées guettant les ménages, en raison de la hausse des taux d’intérêt hypothécaires, et un effondrement du marché de l’immobilier résidentiel se dessinant à l’horizon, voilà de quoi augmenter la probabilité d’une récession. Si la croissance s’affaiblit davantage, la Banque d’Angleterre devra opérer un changement de cap radical l’année prochaine. De nombreuses obligations d’État britanniques se négocient nettement en dessous du pair, y compris l’obligation de référence actuelle à dix ans (c’est-à-dire à 90,7 pour un rendement de 4,45% à l’échéance). Actuellement, les rendements des obligations d’État britanniques sont supérieurs d’environ 64 points de base à ceux des États-Unis, ce qui constitue l’écart le plus important depuis la dernière grande crise financière internationale. Mais en fin de compte, les attentes optimistes concernant les rendements américains devraient aussi profiter aux obligations d’État britanniques, étant donné que des rendements plus élevés produisent un certain effet tampon. L’état des finances publiques incite néanmoins à la prudence: dans ses récentes déclarations, l’Office for Budget Responsibility dresse un tableau sombre de la situation. Une inflation en recul et des taux d’intérêt plus bas seraient toutefois susceptibles de dissiper quelque peu les inquiétudes.

Un œil sur les banques centrales

L’inflation semble reculer. Il sera cependant difficile de la ramener au niveau visé par les banques centrales. Rien n’indique que les banques centrales sont disposées à abandonner leurs objectifs, de sorte qu’elles pourraient appuyer encore plus fermement sur le frein de la demande. Après la hausse que nous avons connue ces deux dernières années, les attentes en matière de salaires et d’inflation pourraient alors s’amenuiser. Pour les obligations, un tel scénario serait encore plus favorable, même si les taux d’intérêt à court terme devaient subir une hausse. Si la réalisation des objectifs d’inflation initiaux redevient envisageable au cours des six prochains mois, il sera intéressant d’observer le comportement qu’adopteront les banques centrales. On peut s’attendre à ce que les taux d’intérêt réels atteignent en effet un niveau inégalé ces deux dernières décennies. Le marché à terme laisse présager un taux d’intérêt réel d’environ un pour cent à moyen terme, ce qui semble plus raisonnable que les taux d’intérêt réels extrêmement bas enregistrés durant l’assouplissement quantitatif. Les taux d’intérêt nominaux pourraient alors baisser et l’inversion de la courbe des taux pourrait prendre fin. Pour les investisseurs en obligations, ce serait indéniablement une excellente nouvelle.

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