Vers quel cap voguons-nous?

Chris Iggo, AXA IM

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Se positionner mal n’a pas empêché d’être chanceux. Après tout, les rendements du marché monétaire ont atteint un niveau inégalé depuis plus de 25 ans.

Au premier semestre 2023, de beaux bénéfices ont pu être réalisés avec des classes d’actifs sur lesquelles on ne comptait pas du tout. À cela s’est ajoutée la croissance économique étonnamment forte aux États-Unis, alors que l’on s’attendait plutôt à une évolution favorable de la situation conjoncturelle européenne et chinoise. Se positionner mal n’a pas empêché d’être chanceux. Après tout, les rendements du marché monétaire ont atteint un niveau inégalé depuis plus de 25 ans. Lors de mon récent voyage en Asie, j’ai discuté avec de nombreux investisseurs – et j’en garde le sentiment que l’allocation des portefeuilles ne subira guère de changements ces prochains temps. Pour ce qui est des principaux thèmes que nous avons abordés, rien de nouveau: le taux d’intérêt maximum, l’inflation de base et la probabilité d’une récession. Ce n’est peut-être pas un consensus et cela peut paraître étrange, mais je ne serais pas surpris que l’on continue à réaliser de jolis bénéfices avec le segment du haut rendement et les actions de croissance, surtout si les données économiques restent aussi disparates.

À l’est

Au cours de la deuxième quinzaine de juin, j’ai effectué un voyage d’affaires en Australie et en Asie, et j’ai rencontré des investisseurs de la région. Dans l’ensemble, ils semblent partager ma perspective. Ils s’attendent, ou du moins ne l’excluent-ils pas, à ce qu’après une année de politique monétaire stricte, les pays industrialisés finissent malgré tout par entrer en récession. Cela se reflète dans l’allocation de portefeuille. Je ne me souviens pas d’un seul interlocuteur qui m’ait déclaré être surpondéré en actions. Les obligations sont considérées comme plus intéressantes, d’autant plus que la hausse des taux d’intérêt devrait bientôt prendre fin. Sur le crédit, on s’est montré prudemment optimiste. En matière de rendement, les attentes actuelles semblent suffire aux investisseurs institutionnels. L’époque est révolue où il fallait courir après des rendements plus élevés, par exemple dans le crédit privé. À la fin de mon voyage, j’avais acquis la certitude que pour le moment, il ne fallait pas s’attendre à de grands changements dans l’allocation d’actifs - du moins pas tant que l’on peut réaliser des gains corrects sur le marché monétaire et qu’aussi bien les actions que le crédit ne semblent pas particulièrement avantageux.

Des actions surprenantes

Nous avons beaucoup parlé de la performance des marchés boursiers. La plupart des investisseurs semblaient étonnés des rendements élevés obtenus, d’autant plus que l’on s’attendait à une récession, ou du moins, que l’on ne pensait pas pouvoir l’exclure. Bien sûr, on sait que la bonne performance américaine est étroitement liée aux actions technologiques et à l’engouement pour l’IA. Sur ce plan, les investisseurs semblent avoir l’esprit ouvert. Qui n’est pas un expert de la Tech ne connaît certainement pas toutes les opportunités et les risques de la nouvelle technologie, mais ne saurait exclure que les sociétés de développement d’IA, leurs fournisseurs et les utilisateurs d’IA puissent connaître une croissance supérieure à la moyenne grâce à des gains de productivité et de rentabilité. Cependant, peu nombreux sont les investisseurs désireux de miser à tout prix sur l’engouement pour l’IA, alors que presque tous les autres indicateurs macro sont négatifs sur le court terme.

Emprunts obligataires australiens

Mon voyage m’a d’abord conduit en Australie. Si vous connaissez mon âge, vous serez sans doute étonnés d’apprendre qu’il s’agissait de mon premier voyage «down under». Les ‘Ashes’, la traditionnelle compétition de cricket entre l’Australie et l’Angleterre, étaient justement en train de se dérouler. Lorsque l’Angleterre a perdu le premier test, les Australiens m’ont un petit peu chambré. Pour les Britanniques, l’Australie est un pays aux traits familiers: la langue bien sûr, mais aussi la passion pour le cricket et le chef d’État commun. Mais dans le domaine économique, on constate également des similitudes. La Reserve Bank of Australia (RBA) n’a cessé de relever son taux directeur depuis mai 2022, le faisant passer de près de zéro à 4,10%. Le marché s’attend à de nouvelles hausses des taux d’intérêt, pour se retrouver autour de 4,5 à 5% à la fin de l’année. L’inflation des prix à la consommation a augmenté pour atteindre, en glissement annuel, 8,4% en décembre 2022. Elle a ensuite à nouveau reculé, pour retomber à 5,6% en mai, et selon les prévisions du consensus, elle devrait avoisiner 3,0% en 2024. On aurait alors une situation comparable à celle des États-Unis et de l’Europe. Pour les obligations australiennes, c’est une perspective réjouissante. L’obligation de référence à dix ans rapporte 4,12%, soit un rendement légèrement inférieur à son plus haut niveau de juin 2022. L’inflation est en repli, et les rendements sont à leur niveau le plus élevé depuis dix ans. Voilà de quoi faire le bonheur des fonds de pension et d’assurance australiens.

Mais la grande inconnue demeure l’immobilier résidentiel. En Australie, le marché hypothécaire est organisé de manière semblable à celui du Royaume-Uni. Le plus souvent, les taux d’intérêt hypothécaires sont fixés pour une période de deux ou trois ans. Comme en Grande-Bretagne, de nombreux refinancements sont donc en cours en Australie, et ce, à des taux d’intérêt nettement plus élevés. Les ménages sont priés de passer à la caisse, et le marché immobilier devra en pâtir. Depuis le pic de début 2022, les prix des biens résidentiels ont chuté d’environ 10 à 15%. Un recul encore plus important ne peut pas être exclu, car le financement devient de plus en plus difficile. Mais cela suffira-t-il à déclencher une récession? Selon le consensus du marché, le PIB ne devrait croître que de 0,7% l’année prochaine, ce qui ne permettrait pas d’écarter le risque d’une légère récession - d’autant plus que les prix des matières premières ont également chuté cette année, ce qui nuit au secteur minier. Je reviendrai en détail sur le chapitre chinois un peu plus tard. Mais ceci d’emblée: si l’économie chinoise se stabilise, cela profitera certainement à l’Australie, tout comme le fera un assouplissement mondial de la politique monétaire au cours de la nouvelle année. L’Australie ne représente qu’un marché modeste, mais les obligations d’entreprises australiennes offrent actuellement un rendement de plus de 6%. Comme partout ailleurs, les obligations australiennes sont intéressantes sur le court terme.

La Chine

La dernière partie de mon voyage m’a conduit en Chine. À Pékin et à Shanghai, il s’agissait surtout de savoir si les investisseurs étrangers s’engageaient davantage en Chine ou si la situation politique mondiale tendait à les en dissuader. En Chine, c’est un sujet délicat à aborder, mais il est probable que la situation géopolitique mondiale explique en grande partie un certain manque d’enthousiasme dans ce sens. Une autre raison importante se trouve dans la faiblesse de la reprise constatée après la levée des mesures de «Zéro Covid». L’économie n’a pas répondu aux attentes, et cela a un effet néfaste sur les actions chinoises.

Une reprise poussive

En Occident, nous avons surestimé la reprise économique de la Chine. Lors de mes entretiens, j’ai eu l’impression que les confinements imposés ont durablement nui au climat des affaires. Contrairement à ce qui s’est passé dans de nombreux pays occidentaux, les périodes de confinement ont été bien plus longues en Chine, et de surcroît, la population a dû se débrouiller sans aides généreuses de l’État. Par conséquent, les finances des ménages et des entreprises ont été terriblement mises à mal. De plus, le secteur immobilier continue de poser problème et les entreprises hésitent à investir - car on ne sait pas ce que l’État compte prendre comme mesures. Beaucoup espèrent pouvoir bénéficier d’une aide de l’État, mais jusqu’à présent, la seule lueur d’espoir est venue d’un léger assouplissement de la politique monétaire. À cela s’ajoutent d’importants problèmes structurels, parmi lesquels on peut citer: l’évolution démographique, l’endettement et le marché du travail. Rien de tout cela ne devrait inciter les investisseurs étrangers à voir la Chine d’un œil plus positif dans un avenir relativement proche. La réunion du Bureau politique prévue en juillet débouchera peut-être sur de nouvelles mesures pour stimuler les investissements et la croissance. Mais à long terme, il sera intéressant de voir comment la Chine gérera la transition énergétique et réagira aux restrictions touchant les exportations technologiques américaines. Dans ce contexte, je pense que pour les actions chinoises, des opportunités intéressantes peuvent se présenter. Mais à court terme, les perspectives économiques incertaines, de même qu’une situation géopolitique mondiale tout aussi indécise, restent des obstacles importants à un tel développement.

Un manque de confiance notable

Lors de mes entretiens avec des investisseurs chinois, certaines questions sont régulièrement venues alimenter la discussion: Les États-Unis vont-ils entrer en récession? Comment les taux d’intérêt vont-ils évoluer? L’inflation va-t-elle s’accroître structurellement? À l’heure actuelle, la confiance est une denrée rare. Compte tenu du climat qui règne actuellement, il est peu probable qu’au cours du premier semestre nous connaissions une répétition des bonnes performances des prêts à effet de levier, du segment du haut rendement, du NASDAQ et des actions japonaises. Mais nous ne pouvons pas non plus exclure que ces performances poursuivent sur leur lancée et qu’une fois de plus, de nombreux investisseurs préfèrent se tenir à l’écart. Cela sera notamment la cas si la conjoncture réussit un atterrissage en douceur et si l’on s’attend à des baisses de taux l’année prochaine.

Des revenus plus importants

Les investisseurs devraient faire preuve de prudence pour un bon bout de temps encore. Le sentiment du marché plaide en faveur d’une duration longue sur les marchés obligataires et d’un positionnement plus défensif sur le crédit et les actions. En juin, l’indice ISM manufacturier américain est tombé à 46, son niveau le plus bas depuis mai 2020. À l’époque, l’économie mondiale était en situation de confinement et son faible niveau actuel laisse encore envisager une récession. Or, le taux de chômage américain reste faible. Au cours des 18 derniers mois, il a été de seulement 3,5%, et au cours du premier semestre, l’emploi en dehors du secteur agricole a augmenté chaque mois d’environ 260’000 en moyenne. Plus d’emploi signifie plus de revenu. Nous aurions une vision plus précise de l’économie américaine si le taux de chômage se mettait à grimper - ce qui indiquerait un ralentissement général et rendrait plus probable une baisse des taux d’intérêt pour la nouvelle année - ou si les indicateurs économiques reprenaient des couleurs plus réjouissantes. Nous avons donc tous les yeux rivés sur les données chiffrées. Et c’est pourquoi les investisseurs ne renonceront pas de sitôt aux revenus sûrs qu’ils réalisent actuellement sur le marché monétaire.

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