Des jours heureux? Ou un été aux apparences trompeuses?

Chris Iggo, AXA IM

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Les raisons d’être optimistes sont nombreuses mais les fonds d’actions ont subi d’importants retraits cette année.

©Keystone

Faut-il à nouveau se montrer optimiste? Ou pour le moins ne plus se soucier autant des maux de ce monde? La pandémie de Covid semble terminée depuis longtemps, l’inflation était sans doute due principalement à un choc de l’offre, un choc dont les effets s’estompent en ce moment, et les hausses de taux devraient bientôt prendre fin. Dans un an, on pourrait alors dire que la Fed de Jerome Powell aura une nouvelle fois réussi un atterrissage en douceur. Les dernières années ont peut-être été difficiles, mais l’avenir se présente sous un jour passionnant. Pour les investisseurs, la transition énergétique et la prochaine révolution technologique pourraient représenter de grandes opportunités. Au lieu de craindre la faiblesse des valeurs technologiques, on se réjouira peut-être de la «remontada» des valeurs de consommation. Le marché s’attend à ce que l’intelligence artificielle (IA) et les technologies connexes génèrent d’énormes bénéfices, mais il se peut également que nous assistions à une reprise classique des valeurs cycliques. On ferait bien d’y réfléchir à deux fois avant de parier contre un tel scénario. Mais à court terme, l’attention des banques centrales reste accaparée par l’inflation. Cela pourrait quelque peu tempérer l’optimisme de certains.

Taux d’intérêt directeur maximal

Une véritable baisse résulte presque toujours d’un resserrement de la politique monétaire. A court terme cependant, les pertes peuvent aussi avoir d’autres causes; il suffit de penser au début d’une pandémie, par exemple. Mais à long terme, c’est surtout la politique monétaire qui est susceptible de provoquer des dommages massifs. Quand les banques centrales relèvent leurs taux, les cours chutent, en général. C’est ce que nous avons vécu l’année dernière. Mais maintenant, la plupart des investisseurs s’attendent à ce que, pour l’essentiel, les hausses de taux soient terminées. Cela se confirmera peut-être si, à l’occasion de la réunion du comité de l’open market du 14 juin, la Réserve fédérale américaine renonce à opérer une nouvelle hausse des taux d’intérêt. Quant à la probabilité d’une nouvelle hausse, l’estimation du marché ne se situe plus qu’à 40%.

«Je suis sûr que l’inflation sous-jacente continuera de reculer au cours des prochains mois, mais les banques centrales ne veulent pas prendre de risques.»

Néanmoins, jusqu’au point culminant des taux, il peut s’écouler encore quelque temps. La Reserve Bank of Australia et la Bank of Canada ont toutes deux relevé leurs taux directeurs de 25 points de base supplémentaires cette semaine. Cette action a été accompagnée d’une rhétorique plutôt énergique, surtout au Canada. Je suis sûr que l’inflation sous-jacente continuera de reculer au cours des prochains mois, mais les banques centrales ne veulent pas prendre de risques. La conjoncture est encore si forte qu’il existe de bons arguments en faveur de nouvelles hausses de taux. Sur le court terme, c’est le principal élément qui risque de venir troubler la bonne humeur qui règne actuellement sur les marchés boursiers.

Que se passerait-il si ...?

Mais si la Fed laisse ses taux inchangés, le marché s’imaginera que la messe est dite. Par conséquent, les cours prendront l’ascenseur. Après la fin des hausses de taux, les rendements obligataires ont pour habitude de baisser. Depuis novembre, le rendement à dix ans s’est toujours situé entre 4% et 3,25%, des niveaux au-dessous desquels on risque de passer bientôt. Il n’en demeure pas moins que 2023 peut encore être une année obligataire.

Des taux plus élevés, des rendements moindres

Quand les taux d’intérêt augmentent, on s’attend à une croissance économique plus faible. Les récessions sont généralement déclenchées par le resserrement de la politique monétaire menée par les banques centrales, même si tous les cycles de hausse des taux ne conduisent pas forcément à une récession. Les crédits et les actions souffrent d’une récession, car les entreprises gagnent alors moins d’argent, leur solvabilité diminue et parfois, elles sont même contraintes de jeter l’éponge. Après une bulle des prix, la correction est encore plus néfaste. C’est ce qui s’est passé après la bulle des ‘dotcoms’ au début du nouveau millénaire et après la débâcle des subprimes, qui a déclenché une crise financière mondiale en 2008/2009. Les taux d’intérêt se sont envolés et les bulles ont éclaté.

Les bulles des prix

Au risque de me tromper, je ne vois actuellement aucun signe réel de bulle des prix (à l’exception de West Ham United...). L’endettement n’est pas exagérément fort. Au contraire - grâce à la forte croissance économique nominale, les entreprises ont pu réduire leurs dettes. Et les marchés ne se laissent nullement emporter par une euphorie exagérée. Ils tendent plutôt à penser que l’entrée en récession n’est qu’une question de temps. Les taux de défaut augmenteraient alors et les cours des actions chuteraient à nouveau - un ‘double dip’ classique. Les marchés ne sont pas non plus inondés d’argent frais. Les données montrent même que les fonds d’actions ont subi d’importants retraits cette année. Les investissements se sont principalement orientés vers les fonds du marché monétaire et les titres à court terme à haut rendement. Le cash règne en maître - et rien n’a changé à cet égard. Les raisons d’être pessimiste sont nombreuses: la hausse des taux d’intérêt, la lutte contre l’inflation, les ventes de titres effectuées par les banques centrales, les tensions géopolitiques mondiales et la faible largeur de marché des actions. Mais les prophéties de malheur restent sans écho (ou sont tweetées dans le vide). En effet, le marché ne veut pas en entendre parler.

Une hausse?

D’aucuns ont beau penser le contraire, mais il y a des raisons d’être optimiste. La pandémie de Covid, l’inflation et les hausses de taux d’intérêt sont derrière nous, et la pandémie a rendu le marché de l’emploi plus flexible. Les entreprises ne s’attendent pas à une baisse significative de leur chiffre d’affaires. Cette semaine, l’OCDE a certes prévu un affaiblissement de la conjoncture mondiale, mais pas de récession. On semble également percevoir des signes de dégel entre les Etats-Unis et la Chine, et plus la guerre en Ukraine se prolonge, moins la Russie est considérée comme une menace.

Le cas singulier des états-Unis

Les Etats-Unis ne sont plus menacés de défaut de paiement. Maintenant que ce danger est écarté, il convient de considérer les Etats-Unis pour ce qu’ils sont réellement: l’économie la plus dynamique du monde, avec le plus gros potentiel à long terme pour les investisseurs. La China est certainement un concurrent, mais les dernières données chiffrées se sont révélées décevantes. Sa démographie défavorable fait qu’il est plutôt improbable qu’elle puisse prendre le dessus sur le long terme. La bonne performance des méga-capitalisations américaines, en l’occurrence des actions technologiques à forte capitalisation, montre de manière impressionnante que les Etats-Unis occupent une position tout à fait particulière, malgré l’œil critique que l’on peut porter sur son système politique. Il y a quelques semaines, j’écrivais que cette année, les gains du S&P 500 étaient exclusivement dus au secteur technologique. Rien n’a changé sur ce plan. Des titres comme ceux de NVIDIA et Apple ont atteint de nouveaux records, et on entend de plus en plus souvent dire que l’IA est sur le point d’ouvrir une nouvelle ère technologique. Cette semaine, on a toutefois pu noter quelques signes indiquant que la surperformance des actions technologiques pourrait prendre fin d’ici peu, car d’autres secteurs sont en train de rattraper leur retard. Le mois de mai a été favorable pour les valeurs industrielles et les biens de consommation durables.

Le marché de l’emploi américain pourrait se replier, tout comme le marché de l’immobilier résidentiel.
La question que chacun se pose automatiquement

L’IA constitue-t-elle une bulle des prix? Pratiquement toutes les personnes cherchant à investir en actions souhaitent s’engager dans l’IA, que ce soit directement ou indirectement. Par ailleurs, la question de savoir si la recherche en IA doit être réglementée fait l’objet de nombreux débats. Les machines finiront-elles par être plus intelligentes que les hommes et nous menaceront-elles dans notre existence? Pour moi, la question est plutôt de savoir comment évaluer les actions du secteur de l’IA. Penchons-sur les nombreuses chances et les risques qu’elle comporte. Si l’IA continue à progresser de la sorte et à être mise en œuvre dans une grande variété de secteurs et d’industries, elle laisse entrevoir d’énormes gains de prospérité. Ne serait-elle pas en mesure d’améliorer le dépistage précoce des affections cancéreuses? Ou de contribuer à la protection du climat en optimisant les réseaux de distribution électrique, en rendant les bâtiments plus efficaces sur le plan énergétique et en permettant des systèmes de transport moins dommageables pour le climat? Et si l’IA permettait de freiner la disparition des espèces - grâce à une exploitation plus intelligente des terres, à des récoltes plus abondantes et à une gestion des déchets plus respectueuse de l’environnement? Je ne saurais aborder ici toutes les facettes du sujet, mais une recherche rapide sur Google montrera l’étendue et la diversité des possibilités. Il s’agit notamment de l’automatisation, des transports, de la santé, de la production alimentaire, de l’éducation, de la commercialisation, du droit, des divertissements et de la sécurité. Le nouveau casque VR Vision Pro d’Apple illustre de manière exemplaire l’énorme potentiel commercial qui naît de l’association de l’IA et de la réalité virtuelle. Cela va très largement au-delà des réseaux sociaux, du monde du divertissement et des gains de productivité.

Les risques

Bien entendu qu’ils existent. Les machines apprenantes peuvent également être utilisées pour réaliser des objectifs moins louables. Des robots «malfaisants» pourraient devenir des armes de guerre, commettre des attentats terroristes et mettre en péril la liberté et la démocratie. C’est ce qu’a écrit George Soros cette semaine sur le site ‘Project Syndicate’. Il appelle les responsables politiques à réglementer rapidement la recherche sur l’IA. Tous les grands acteurs du secteur seraient alors obligés de jouer le jeu. Le Congrès américain avait déjà ciblé le secteur technologique. En raison des risques qu’elle comporte, l’intelligence artificielle devrait sans aucun doute devenir un enjeu politique majeur.

Comment valoriser l’IA?

Il est impossible de calculer la valeur du capital de l’IA - c’est-à-dire la différence entre les avantages et les risques économiques et sociaux futurs. Etant de nature optimiste, je suis porté à croire que les avantages l’emporteront sur les coûts, comme cela a été le cas pour toutes les révolutions technologiques, jusqu’à présent. La hausse des actions technologiques américaines observée au cours des dernières semaines, de même que la bonne performance des titres coréens et taïwanais, indiquent que de plus en plus d’investisseurs partagent cet avis, du moins jusqu’à ce que les risques apparaissent plus clairement. Mais même dans une telle éventualité, la réglementation n’empêcherait pas l’utilisation légale de l’IA dans le contexte économique.

Ne serait-il pas envisageable que les Etats-Unis échappent à la récession grâce à la révolution de l’IA et que les «ours» doivent se retirer, déçus, dans leur tanière - même si l’on craint de voir se poursuivre le recul des bénéfices dans de nombreux secteurs? Je pense qu’il est tout à fait possible que dans les semaines à venir, nous assistions à la publication de chiffres encore plus faibles. Le marché de l’emploi américain pourrait se replier, tout comme le marché de l’immobilier résidentiel. Mais jusqu’à présent, l’économie américaine, confrontée à la hausse de 500 points de base des taux directeurs, n’a pas encore réagi de sa façon coutumière. Ces dernières semaines, on a même enregistré une dominance des révisions positives des bénéfices de la part des analystes - sur l’ensemble du marché des actions, et plus particulièrement dans le secteur technologique. Après les deux années de forte croissance de mi-2020 à mi-2022, les valeurs industrielles semblent avoir un peu plus de mal maintenant, mais même des indicateurs comme l’indice des nouvelles commandes de l’Institute for Supply Management semblent désormais avoir atteint leur point le plus bas.

Il est vrai qu’il est difficile d’être optimiste lorsque la croissance de la masse monétaire s’effondre, que l’on prévoit une croissance économique plus que médiocre et que partout dans le monde, on juge nécessaire d’appliquer une politique fiscale plus restrictive. Sauf que sur les lignes d’horizon des marchés, on finira toujours par trouver des nuages noirs, quelle que soit l’époque. Peut-être sommes-nous justement en train de faire le point et de réévaluer la situation. Certains des grands tourments sont derrière nous. L’inflation va diminuer, les banques centrales vont changer de cap et un atterrissage en douceur n’est somme toute pas si improbable. Or, il est possible que ce que bon nombre d’investisseurs appellent de leur vœux, ce n’est justement pas un atterrissage en douceur. Des cours qui continuent de monter, voilà peut-être ce qui leur porte réellement préjudice. Je m’en suis entretenu la semaine dernière avec un partenaire commercial que je connais bien, dans une banque d’investissement. A propos de nuages noirs: sale temps pour les vendeurs à découvert?

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