Il pleut à nouveau

Chris Iggo, AXA IM

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À l’instar de la météo des îles britanniques, les marchés peuvent souvent être décevants en août.

En raison de l’abaissement de la note souveraine américaine, de la crainte d’une augmentation de l’offre et de la prise de conscience grandissante que les taux directeurs ne seront guère abaissés en cas d’atterrissage en douceur, les rendements des emprunts d’État américains ont presque atteint leur plus haut niveau depuis le mois d’octobre. Et bien que les résultats du deuxième trimestre publiés par les entreprises aient été conformes aux attentes, ils sont inférieurs de 8% à ceux d’il y a un an. Les valorisations commencent à réagir - en s’adaptant à des perspectives de bénéfices plus incertaines et à des taux d’intérêt qui se maintiendront sans doute à un niveau élevé pendant encore fort longtemps. Les inquiétantes conditions météorologiques extrêmes, l’environnement politique toxique aux États-Unis et la faible liquidité du marché ne contribuent guère à dissiper la morosité. Certains investisseurs sont peut-être en train de se prélasser au bord de la mer, après avoir engrangé leurs bénéfices issus de la reprise des marchés de ces derniers mois. Après l’été, les obligations devraient redevenir attrayantes, surtout si l’inflation recule - mais gardons à l’esprit que même dans les périodes fastes, le marché évolue rarement de façon positive au troisième trimestre. Dans cet environnement incertain, la caisse représente peut-être le choix le plus judicieux - un peu comme si on se rendait à la plage muni d’un parapluie.

Un anticyclone estival sur le marché de l’emploi

Tout au long de ces dernières semaines, j’ai écrit que les marchés seraient de plus en plus déterminés par la perspective d’un atterrissage en douceur de l’économie américaine. Une récession imminente devenant moins probable, les actions sont parvenues à dépasser les obligations. Bien qu’en raison de la hausse générale des rendements, les titres à revenu fixe aient offert des rendements courants plus élevés que ceux obtenus au cours des années précédentes, il ne s’est pas avéré profitable de miser sur une croissance et une inflation moindres, et finalement sur une politique monétaire plus souple, en optant pour une duration longue. En effet, les données conjoncturelles laissaient clairement envisager une conjoncture plus robuste. S’il est vrai que certains indicateurs étaient faibles, par exemple l’indice ISM du secteur manufacturier, le marché du travail est malgré tout resté stable. Notre équipe d’analyse quantitative des actions a examiné la situation à l’aide de programmes de traitement automatique du langage naturel (‘Natural Language Processing’, NLP) et a cherché à déterminer si cette année, les annonces de bénéfices des entreprises contenaient des éléments indiquant de futurs licenciements (ou laissant entrevoir un affaiblissement du marché du travail). Ces analyses ont montré que par rapport à 2022, la situation s’est légèrement détériorée, mais sans que cela ne soit alarmant. Les suppressions d’emplois se limitent pour l’essentiel à des secteurs tels que les services financiers et la santé. En revanche, dans des secteurs tels que la fourniture de logiciels, le mot «embauche» était beaucoup plus d’actualité et les données chiffrées indiquent également que le marché de l’emploi américain reste stable. Il est donc probable qu’il continuera à soutenir la dynamique de consommation ces prochains temps.

«Août peut être un mois impitoyable»

Et pourtant, début août, tout n’était pas au beau fixe. Avant même que Fitch n’abaisse la note souveraine des États-Unis, on craignait déjà une offre pléthorique d’obligations d’État américaines. Le ministère des Finances avait annoncé une importante série de nouvelles émissions. Si l’on ajoute à cela des prévisions de croissance plus positives pour les prochains trimestres et la faible marge de manœuvre de la Fed en matière de baisse des taux, cela pourrait plaider en faveur d’un taux d’intérêt d’équilibre à long terme plus élevé à l’avenir. Que ce soit en raison des rendements accrus, ou pour d’autres motifs - depuis le début du mois, les actions ont nettement perdu du terrain. Mais dans l’ensemble, les résultats du deuxième trimestre n’ont pas été si mauvais et ont surpris positivement, du moins jusqu’au au moment de la rédaction de ces lignes. Après la publication des chiffres de plus de 400 sociétés du S&P 500, il apparaît que jusqu’à présent, les bénéfices sont inférieurs d’environ 8% à ceux d’il y a un an. Ceci est principalement dû à quelques résultats faibles dans les secteurs des matériaux de base, de l’énergie et de la santé. Ceux-ci avaient bénéficié d’effets particuliers ces dernières années: l’augmentation des prix de l’énergie, ainsi que le développement de nouveaux médicaments et programmes thérapeutiques après la pandémie de Covid. Certains rapports trimestriels ne semblent toutefois pas bien cadrer avec le tableau général d’une conjoncture plus faible. Dans les secteurs de l’industrie, des biens de consommation courante, des biens de consommation non durables et des services de communication, les chiffres d’affaires et les bénéfices ont augmenté par rapport à l’année précédente. Caterpillar, par exemple, a présenté des chiffres bien meilleurs que ceux auxquels on aurait pu s’attendre sur la base d’indicateurs économiques tels que l’indice ISM. Par ailleurs, les résultats de la Tech ont été presque tous réjouissants. Les performances des divisions cloud d’Amazon et d’Apple montrent que l’IA est de plus en plus mise en œuvre.

Peu de revenus supplémentaires provenant du crédit par rapport à la caisse

Les taux d’intérêt actuels constituent un environnement qui ne facilite pas la tâche des investisseurs. Aussi bien aux États-Unis qu’en Europe, seules les obligations spéculatives offrent des rendements nettement supérieurs au taux de l’argent au jour le jour, tandis que les indices de marché pour les obligations de type ‘investment grade’ ne laissent guère espérer plus que le simple taux directeur. Avant la récente vague de ventes sur le marché obligataire, il régnait une situation similaire, ce qui est très inhabituel, car on aurait pu s’attendre à une prime de risque plus élevée par rapport au taux d’intérêt des placements sans risque. Quoi qu’il en soit, quand on traverse une période difficile, les placements à court terme, sans risque, comme les bons du Trésor américain, semblent une option plus intéressante que les titres offrant un rendement comparable avec un risque de crédit et de duration plus élevé. «Cash is King» reste la devise à appliquer.

La politique monétaire pourrait nuire durablement aux marchés

Les grandes banques centrales défendent toutes une position similaire, à savoir que la politique monétaire demeure certes restrictive, mais qu’il s’agit d’attendre de voir si cela suffira à freiner davantage l’inflation. Dans le meilleur des cas, la politique monétaire restera donc inchangée pendant un bon moment - car il faut du temps pour que le renchérissement redescende au niveau visé par les banques centrales. Mais dans le pire des cas, les taux d’intérêt seront relevés encore davantage - s’il se produit un évènement qui entraîne une nouvelle hausse des prix.

Les investisseurs doivent évaluer si l’inflation tend à se maintenir durablement à un niveau relativement élevé ou si elle est simplement plus fluctuante. Si l’inflation dépasse temporairement les objectifs des banques centrales, la politique monétaire devra bientôt être aménagée plus fréquemment. L’évolution des taux d’intérêt deviendrait alors plus incertaine, ce qui entraînerait une hausse de la prime de risque sur le marché à terme, et par conséquent, également de la prime de terme. Dans une telle situation, les rendements devraient être plus élevés qu’en cas de stabilisation de l’inflation dans la fourchette de tolérance des banques centrales. Ce mécanisme pourrait expliquer en partie pourquoi les rendements à long terme ne baissent pas et pourquoi les courbes de rendement se redressent progressivement. Je dois cependant admettre que compte tenu de l’inflation et des perspectives de la politique monétaire américaine, la hausse des rendements a de quoi surprendre. Mais d’un point de vue fondamental, elle peut se révéler tout à fait plausible, surtout si les États-Unis émettent encore davantage d’obligations.

La bonne nouvelle, c’est que les rendements du crédit commencent à remonter. Et pourtant, jusqu’à présent, ils sont à peine supérieurs au taux directeur. Les taux d’intérêt à court terme ne devraient toutefois pas rester éternellement à un niveau aussi élevé. Avec un horizon d’investissement de plus de six à douze mois, les obligations de type ‘investment grade’ permettent éventuellement de dégager des bénéfices rarement vus au cours des dix dernières années. À cela s’ajoute le fait qu’une grande partie du marché obligataire - avec des risques de crédit plus ou moins élevés - cote encore nettement en dessous du pair. Malgré une volatilité à court terme, des opportunités intéressantes continuent donc de se présenter.

Un été britannique problématique

Nulle part ailleurs cela est plus évident qu’au Royaume-Uni, où les obligations d’État à long terme sont très avantageuses. Dès que le cycle des taux d’intérêt change, il se crée un potentiel considérable de gain sur les cours. Cette semaine, la Banque d’Angleterre a relevé son taux directeur à 5,25% en faisant comprendre, comme d’autres banques centrales, qu’il resterait élevé pendant un certain temps encore. Les salaires semblent être la principale source d’inquiétude, car la main-d’œuvre reste rare. Les hausses de taux d’intérêt ne sont pas un instrument particulièrement précis. En outre, la politique monétaire ne peut pas faire apparaître une nouvelle main-d’œuvre, comme par enchantement, et globalement, le gouvernement ne semble pas faire grand-chose pour remédier aux goulots d’étranglement des chaînes d’approvisionnement. Des propositions telles que celle d’employer les chômeurs de plus de 50 ans comme forces auxiliaires au comptoir ou pour des services de livraison à domicile semblent peu réalistes et ne permettent pas vraiment de remédier à la pénurie structurelle de main-d’œuvre. Je pense que la Grande-Bretagne finira par pâtir réellement de la hausse des taux d’intérêt. Les prix de l’immobilier y sont déjà en baisse et les ménages sont de plus en plus pessimistes quant à leurs revenus. Les entreprises ne procèdent pas à des augmentations de salaires si elles ne trouvent pas d’acheteurs pour leurs biens et leurs services. Compte tenu de la situation économique du pays, les obligations d’État britanniques semblent avantageuses.

Pluie et chaleur

Cet été, les risques économiques liés au changement climatique sont certainement apparus plus clairement. De nombreuses régions du monde ont connu des températures extrêmes. De violentes tempêtes ont apporté des pluies torrentielles et des inondations, et souvent, le temps a été bien trop froid et humide. Il est évident quelles en sont les répercussions économiques. Dans une grande partie du bassin méditerranéen, le tourisme souffre des incendies de forêt, en Chine des inondations, et dans de nombreux endroits de la planète, l’agriculture est également affectée. En raison d’un volume de production réduit de l’OPEP et de certains problèmes dans les raffineries et les entrepôts de produits raffinés, les prix du pétrole et de l’essence sont également repartis à la hausse. Aux États-Unis, l’essence s’est renchérie en moyenne de 5,6% en juillet. Dans l’ensemble, les évènements de l’été ne devraient toutefois avoir que peu d’impact sur l’inflation des prix à la consommation. Mais ils nous rappellent une fois de plus pourquoi nous devons impérativement agir pour endiguer le changement climatique. Plus que jamais, il apparaît clairement pourquoi un meilleur système énergétique et une gestion plus intelligente des risques climatiques revêtent une telle importance.

Des vacances au soleil

Je prends une semaine de vacances, de sorte que la semaine prochaine, il n’y aura pas de billet écrit par mes soins. Ce n’est pas exagéré de dire que jusqu’à présent, cet été britannique n’a pas été brillant sur le plan météorologique. Il a plu abondamment. Wimbledon et les Ashes n’en ont heureusement pas trop souffert, même si la météo a finalement empêché l’Angleterre de l’emporter sur l’Australie dans cette traditionnelle série de parties de cricket. Les Ashes restent donc en possession australienne. L’Angleterre aura néanmoins une nouvelle chance de prendre sa revanche, dans 18 mois en Australie. J’espère qu’en août, le temps se montrera plus clément et que je pourrai faire quelques randonnées en Cornouailles. Avant même que vous ne vous en rendiez compte, le championnat de Premier League aura bientôt repris en Angleterre. Et une fois de plus, Manchester United mettra mes nerfs à rude épreuve. Je piaffe d’impatience ! Jusque-là, je vous souhaite de passer une agréable période de vacances.

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