Guère de changements à noter en septembre

Chris Iggo, AXA IM

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Il n’y a de nouveaux arguments ni en faveur de la baisse des cours, ni en faveur de la lutte contre les faucons qui tiennent encore les commandes dans les banques centrales.

Les vacances d’été sont finies et une fois de plus, les spéculations sur la future évolution du marché vont bon train. Or, en fait, pratiquement rien n’a changé. Il n’y a de nouveaux arguments ni en faveur de la baisse des cours, ni en faveur de la lutte contre les faucons qui tiennent encore les commandes dans les banques centrales. La croissance est faible, mais pas préoccupante. L’inflation recule, mais reste élevée. Un véritable changement pourrait être déclenché par un évènement inattendu, voire un choc. Peut-être une escalade de la guerre technologique sino-américaine, après que la Chine a interdit cette semaine l’utilisation de certains modèles d’iPhone ? Peut-être un faiblissement du commerce mondial et un ralentissement de l’économie mondiale en raison de la déflation touchant la Chine ? Peut-être un hiver rigoureux dans l’hémisphère nord, occasionné par le phénomène El Niño, de sorte que le gaz naturel retrouverait les mêmes hauts niveaux de prix qu’en 2022 ? Mais si rien de tout cela ne se produit et que l’on continue à tabler majoritairement sur un « atterrissage en douceur », l’attention se portera principalement sur l’évolution des taux d’intérêt et les données conjoncturelles mensuelles. Vous cherchez à déceler une tendance claire du marché, avec des rendements prévisibles ? Franchement, c’est peine perdue.

Les temps sont durs: le dernier mois n’a pas été facile ; tant les actions que les obligations se sont trouvées en zone négative. Mais rien n’a vraiment changé dans le sentiment du marché et le positionnement des investisseurs. Sur le marché à terme, on ne s’attend pas à ce que la Réserve fédérale américaine (Fed) augmente à nouveau son taux directeur, qui se situe actuellement entre 5,25 % et 5,5 %. Il en va de même pour la Banque centrale européenne (BCE). Là aussi, on ne s’attend plus à une augmentation du taux de dépôt au-delà des 3,75 % actuels. Au Royaume-Uni, on prévoit que les taux d’intérêt seront relevés, une fois de plus, mais en s’attendant à ce que le taux directeur maximal soit moins élevé que ce qui semblait encore probable au début de l’été. En matière de croissance, les attentes n’ont guère changé non plus. On pense généralement que les États-Unis échapperont à la récession, et les données économiques continuent de laisser présager un atterrissage en douceur. En août, le rapport sur le marché du travail a certes fait état d’une nouvelle augmentation du niveau de l’emploi, mais plus faible qu’auparavant. Les indices PMI de l’industrie et des services ont légèrement augmenté. Certains observateurs du marché estiment même qu’il ne faut pas se préparer à une récession, mais plutôt à un retour à une conjoncture plus forte.

Les taux d’intérêt sont-ils suffisamment élevés - ou trop hauts ? Les marchés ne tablent plus sur de nouveaux relèvements des taux d’intérêt, mais il se peut qu’ils aient tort. La Fed ne verrait pas d’un bon œil un nouveau renforcement de la croissance, car il serait alors encore plus difficile de ramener l’inflation au niveau souhaité. Et si le recul de l’inflation se met à caler dans le monde entier, la Fed et d’autres banques centrales pourraient bien continuer à augmenter les taux d’intérêt. Rares sont en effet les économistes qui excluent catégoriquement une hausse des taux d’intérêt en novembre. Les avis divergent également sur le niveau du taux d’intérêt neutre d’équilibre, le fameux r*, dont la valeur n’est pas vraiment mesurable. Selon un récent blog d’économistes de la Fed de New York, r* pourrait être plus élevé que ce que la banque centrale s’imagine. En fin de compte, de larges pans de l’économie n’ont que faiblement réagi aux précédents relèvements des taux, effectués à raison de 500 points de base.

Dans les systèmes complexes, il est difficile d’évaluer les effets à long terme que produisent les modifications de paramètres importants - tels que les taux d’intérêt - et la manière dont elles se traduisent dans les différents secteurs économiques. Les changements de taux d’intérêt ont certes une influence sur l’inflation, la croissance et l’emploi, et leur impact se manifeste tantôt plus lentement, tantôt plus rapidement, mais en aucun cas immédiatement. Les entreprises qui ont accumulé des liquidités en thésaurisant leurs bénéfices ou en émettant des obligations à des taux extrêmement bas durant la pandémie de Covid peuvent désormais se réjouir de pouvoir profiter de taux d’intérêt à court terme élevés. On entend souvent dire que les ménages ont entre-temps dépensé le fruit des économies substantielles réalisées durant la pandémie, mais leurs avoirs restent encore importants. Dans l’ensemble, les dépôts auprès des banques commerciales américaines ont certes légèrement baissé en 2023, mais leur volume est encore supérieur de 30 % à ce qu’il était juste avant la pandémie. De plus, les actifs des fonds monétaires se situent juste en dessous de leur plus haut niveau historique.

Pas vraiment convaincus : contrairement à ce qui se passe habituellement, la conjoncture n’a pas encore fléchi de manière perceptible malgré le resserrement de la politique monétaire. On spécule que cela ne va pas tarder à venir - il suffit de regarder ce qui se passe dans le commerce de détail. La Fed devra peut-être attendre que l’économie ralentisse de façon nette avant de baisser ses taux d’intérêt - voire de les augmenter davantage. Les investisseurs hésitent encore à se positionner clairement. Par conséquent, il semble que 2024 sera l’année de presque tous les possibles.

Rien n’a changé : le consensus reste toutefois celui d’un atterrissage en douceur - et il se peut que cela soit dû uniquement à l’absence de signes clairs indiquant une récession ou une reprise économique. Si la croissance n’est que légèrement plus faible, avec un nouveau léger recul de l’inflation - sans récession ni hausse brutale du chômage - on finira bientôt par entendre des appels à une baisse des taux d’intérêt réels et à un assouplissement de la politique monétaire. Pour 2024, on s’attend à de légères baisses des taux d’intérêt, ce qui irait bien dans ce sens. À l’heure actuelle, il n’y a donc que peu d’arguments pour plaider en faveur d’une sortie du marché monétaire. Les crédits continueront à offrir des revenus courants corrects, même si leurs rendements, du moins dans le domaine de l’investment grade, ne sont guère supérieurs aux taux du marché monétaire. Pour ce qui est des actions, je m’attends à ce que les titres de croissance de grande qualité génèrent des revenus accrus. En cas d’atterrissage en douceur, une partie de l’économie continuera de croître, une autre non. Ce sont les facteurs structurels qui seront déterminants: les dépenses vouées aux infrastructures, la décarbonation et les nouvelles technologies. Les actions peuvent continuer à avoir un bon potentiel.

Une chose importante à garder à l’esprit : en cas d’atterrissage en douceur, l’économie connaîtra une croissance modérée jusqu’à ce que l’inflation revienne au niveau visé par les banques centrales. Dans ce contexte, les taux d’intérêt seront en moyenne plus élevés qu’auparavant. L’époque des crédits presque gratuits est révolue, et les investisseurs en obligations pourront se considérer chanceux s’ils parviennent à réaliser encore des bénéfices, au moins grâce aux plus-values sur les cours résultant de la baisse des taux d’intérêt.
La récession s’accompagne de taux d’intérêt plus bas et de titres à risque plus avantageux : dans les scénarios alternatifs, l’impact exercé sur l’allocation d’actifs est plus clair. Les augmentations des taux d’intérêt finiraient malgré tout par entraîner une récession. L’inflation reculerait plus fortement et les taux d’intérêt seraient alors baissés de manière plus marquée. En période de récession, les actions sont généralement faibles, et les crédits ainsi que les titres à haut rendement sont également susceptibles de connaître une baisse de rendement. Les obligations d’État maintiendraient leur position de pointe. Mais étant donné que dans de nombreux pays du G7 la croissance est inférieure à la tendance à long terme, la conjoncture y est vulnérable aux chocs venant de l’extérieur. Si la Chine affaiblit le commerce mondial, si une nouvelle crise énergétique survient ou si les investisseurs se laissent déconcerter par la situation mondiale, l’économie pourrait s’effondrer.

Le pire scénario serait toutefois une stagflation dans laquelle l’inflation resterait élevée ou repartirait à la hausse et où les taux d’intérêt continueraient d’être relevés. Toutes les classes d’actifs, à l’exception des placements monétaires et peut-être des biens réels (foncier, or et matières premières), se trouveraient alors dans le rouge. Une telle évolution est toutefois hautement improbable, car l’économie mondiale est aujourd’hui plus flexible et plus interconnectée que lors des précédentes stagflations.

Plans à court et à long terme : les investisseurs doivent se préparer à affronter l’évolution conjoncturelle et son impact sur les marchés. En période d’incertitude, ils évitent généralement de prendre des risques, de sorte que ce n’est guère le moment d’acheter plus d’actions et de crédits. Cette année, il a souvent été payant d’opter pour les actions après avoir subi des pertes. Mais est-ce encore le cas ? En l’état des choses, il n’est nullement question d’éviter entièrement le risque, mais certaines actions et certains crédits pourraient perdre du terrain si la situation économique devait se détériorer.

Il faut néanmoins rechercher également des opportunités de croissance à long terme. Ce n’est pas chose facile. Je pense que les diverses stratégies axées sur la durabilité (zéro net, intégration ESG, stratégies d’actions tenant compte des objectifs de durabilité de l’ONU, stratégies de capital naturel et de biodiversité) continuent d’avoir le vent en poupe et se prêtent encore à la diversification. Il convient aussi de prêter attention aux marchés émergents. La Chine a sans doute connu ses heures de gloire, mais des opportunités se présentent encore dans les pays à forte croissance démographique, par exemple l’Inde, l’Indonésie et le Nigeria. Certes, investir dans ces pays représente toujours un défi. Mais comme dans la croissance économique mondiale leur part est en augmentation, les temps pourraient s’avérer favorables aux entreprises qui livrent dans ces pays. Si le monde compte réellement s’engager sérieusement dans les énergies renouvelables et l’objectif du zéro net, ce sont ces pays, ainsi que d’autres pays de l’hémisphère sud, qui devraient en profiter le plus.

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